Où en est-on de la distinction dispositif médical/médicament après les arrêts de la CJUE du 13 mars 2025 et du 19 janvier 2023 ?

Par Jean-François Laigneau, Avocat.

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Explorer : # requalification juridique # action pharmacologique # insécurité juridique

Jusqu’à ces deux décisions, un opérateur prudent pouvait raisonnablement penser que la règle d’application prioritaire de la définition du médicament était relativement neutralisée pour les dispositifs médicaux.

Pour mémoire, dispositif médical et médicament ont un point commun : l’un comme l’autre ont une finalité médicale qu’ils sont en droit de revendiquer. En revanche, ces deux qualifications juridiques se distinguent quant à leur mode d’action : la qualification de médicament suppose un mode d’action principalement pharmacologique, métabolique ou immunologique alors que celle de DM au contraire l’exclut. Ainsi, le mécanisme d’application prioritaire de la définition du médicament, qui trouve surtout à s’appliquer lorsque la différence entre deux produits est davantage une question de degré que de nature, semblait peu opératoire pour les DM :

  • en matière de présentation, aucune distinction ne pouvant véritablement être faite entre les deux catégories juridiques ;
  • en matière de mode d’action/fonction, les deux définitions étant exclusives l’une de l’autre, de sorte que l’attractivité de la définition du médicament ne jouait guère.

Les deux récents arrêts rendus par la Cour de Luxembourg, sous l’apparence d’une tentative de clarification, ne sont pas sans introduire une certaine insécurité juridique en donnant toute sa force à la règle d’application prioritaire du médicament face à un DM, que ce soit au regard de sa présentation ou de son mode d’action (ou sa fonction).

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Pour ce qui est de la présentation.

Jusqu’à l’arrêt de la CJUE du 19 janvier 2023, il était permis de penser qu’un médicament ne se distinguait guère d’un DM par sa présentation, l’un comme l’autre pouvant revendiquer une finalité médicale. C’était d’ailleurs le facteur différenciant de ces deux catégories de produits par rapport aux autres ; étant les seules à pouvoir faire mention d’allégations thérapeutiques, elles disposent d’un pouvoir de pénétration sans égal sur le marché de la santé. Pour résumer, tant que les revendications d’un DM étaient conformes à son mode d’action (mécanique), son fabricant pouvant raisonnablement considérer que le risque de requalification en médicament était nul.

La décision du 19 janvier 2023 (C-495/21 et C-496/21, L. GmbH et H. Ltd contre Bundesrepublik Deutschland) a malheureusement brouillé les pistes et introduit une insécurité juridique dont se seraient bien passés les opérateurs. Cet arrêt concerne deux opérateurs différents qui ont tout deux mis sur le marché sous le statut de DM des produits proches : gouttes nasales contre la rhinite virale et spray nasal dans l’indication de rhinosinusite, requalifiés en médicaments par les autorités alllemandes.

Pour la CJUE, un DM peut être bien requalifié en médicament, au regard de sa présentation, si cette dernière (i) fait état d’allégations thérapeutiques, (ii) fait référence à des mentions habituellement retrouvées sur le conditionnement de médicaments (interactions et effets indésirables) et (iii) mentionne qu’il est exclusivement distribué en pharmacie.

Ce risque de requalification invite le fabricant à une prudence qui ne va pas nécessairement dans l’intérêt du consommateur (retirer les risques d’interaction ou d’effets indésirables ou encore ne plus réserver le produit au circuit officinal, pour minorer le risque de requalification.

Pour ce qui est du mode d’action ou de la fonction.

L’arrêt du 13 mars 2025 (Cassella-med GmbH & Co. KG, MCM Klosterfrau Vertriebsgesellschaft mbH contre Verband Sozialer Wettbewerb eV) marque lui aussi une certaine rupture, qui invitera l’opérateur vigilant à réinterroger la qualification juridique du produit qu’il a mis sur le marché.

Le litige portait sur des produits mis sur le marché comme DM, cette fois-ci indiqués contre les infections des voies urinaires, que les autorités allemandes avaient là encore requalifiés en médicaments. La question qui se posait pour ces produits composés notamment de canneberge (plante qui, on s’en souvient (Décision d’exécution (UE) 2017/1445 de la Commission du 8 août 2017 concernant le groupe de produits dont l’action principale voulue, s’appuyant sur les proanthocyanidines (PAC) présentes dans la canneberge (Vaccinium Macrocarpon), est de prévenir ou de traiter les cystites), avait déjà divisé les agences il y a une dizaine d’années sur son mode d’action) était celle de la réversibilité de l’action de la substance active sur les bactéries : ce caractère réversible exclut-il de considérer que le mode d’action de la substance soit pharmacologique ?

En s’appuyant notamment sur le document d’orientation GCDM [1] relatif aux produits frontières qui détaille ce qu’il convient d’entendre par « action pharmacologique », la CJUE répond par la négative et confirme en creux l’appréciation des autorités allemandes.

Il est intéressant de remarquer que les juges fondent également leur analyse sur deux principes. D’une part, sur la règle d’application prioritaire de la définition du médicament, dont elle fait jouer pleinement les effets sur la ligne de démarcation entre médicament et DM, ce qui invite les fabricants à une nécessaire prudence.

D’autre part, et de façon plus surprenante, en affirmant qu’il convient d’éviter d’avoir une lecture « restrictive » de la notion d’action pharmacologique. Cette dernière considération peut surprendre, alors que l’observateur avisé sait que jusque-là la CJUE opposait, d’un côté, la définition du médicament par présentation qui reposait sur une approche extensive et, de l’autre, celle du médicament par fonction, qui supposait au contraire une approche restrictive. En prônant une appréciation extensive de la notion d’action pharmacologique, la Cour de Luxembourg ne crée-telle pas davantage de confusion qu’elle ne clarifie l’état du droit ?

Jean-François Laigneau, Avocat
Barreau de Paris
Jasper Avocats

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