Le Dossier Médical Electronique (DME) : son rôle en cas de litige.

Par Allem Boufallous, Juriste.

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Explorer : # dossier médical électronique # traçabilité des soins # santé numérique # preuve juridique

Le dossier médical électronique (DME) représente une avancée dans le domaine de la santé numérique. Il assure, d’un côté, une traçabilité des actes médicaux, garantissant ainsi la qualité des soins. Il constitue, de l’autre côté, un moyen de preuve fiable, permettant de vérifier la conformité des actes médicaux fournis et de déterminer la faute commise par le professionnel de santé traitant.

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D’une manière classique, le dossier médical du patient (ci-après DMP) est « le lieu de recueil et de conservation des informations administratives, médicales et paramédicales, formalisées et actualisées, enregistrées pour tout patient accueilli, à quelque titre que ce soit. Le dossier du patient assure la traçabilité de toutes les actions effectuées. Il est un outil de communication, de coordination et d’information entre les acteurs de soins et avec les patients. Il permet de suivre et de comprendre le parcours hospitalier du patient. Il est un élément primordial de la qualité des soins en permettant leur continuité dans le cadre d’une prise en charge pluriprofessionnelle et pluridisciplinaire » [1].

Dans ce sens, le DMP doit inclure « des éléments diagnostiques et thérapeutiques nécessaires à la coordination des soins de la personne prise en charge » [2], ainsi que « des résultats d’examen, comptes rendus de consultation, d’intervention, d’exploration ou d’hospitalisation, des protocoles et prescriptions thérapeutiques mis en œuvre, feuilles de surveillance, correspondance entre professionnels de santé » [3].

Mais dans le cadre de la santé numérique, notamment en télémédecine, on parle essentiellement d’un dossier médical électronique (ci-après DME), autrement désigné le dossier médical informatisé. Ce dossier « se veut un système de gestion informatisé du dossier patient destiné à remplacer le traditionnel dossier papier. Il permet de consigner de façon structurée toutes les informations pertinentes sur le patient, d’en suivre l’évolution et de faciliter le partage des données entre les intervenants autorisés dans le cadre des interventions interprofessionnelles. Le DME regroupe, également, des outils d’aide à la prescription et à la prise de décision clinique […] » [4].

Partant, le DME représente une évolution remarquable dans le domaine médical, transformant la manière dont les données des patients sont collectées, stockées et partagées entre les professionnels de santé impliqués. Ainsi, le DME offre une accessibilité plus souple, renforcée par une sécurité significative des données.

Pour une telle raison, ce sujet suscite la curiosité de savoir : quel est le rôle du DME dans le cadre de la santé numérique ?

Le DME revêt une importance capitale dans le domaine de la santé numérique. Il joue un rôle crucial non seulement dans la qualité des soins (I), mais aussi dans le cadre du litige (II).

I. Le rôle du DME dans la qualité des soins.

Pour assurer une prise en charge médicale de qualité, le professionnel de santé doit garantir la traçabilité de l’acte médical réalisé, ce qui l’incite à mentionner davantage d’informations dans le DME.

Parmi les éléments qui doivent figurer dans le DME, le praticien doit mentionner l’identité de tous les professionnels de santé impliqués dans la prise en charge à distance, les données médicales relatives au patient, les actes médicaux réalisés, les prescriptions médicales rédigées à cet effet et la décision du praticien de remplacer l’acte de télémédecine par un acte médical en présentiel lorsqu’il juge que la prise en charge à distance n’est pas adaptée à la situation du patient [5].

Il doit, également, indiquer la date et l’heure de la réalisation de l’acte de télémédecine ainsi que les incidents techniques éventuels survenus [6].

De plus, le praticien doit mentionner dans le DME qu’il a bien informé et recueilli le consentement de son patient :

« […] le médecin ou le médecin dentiste traitant ne doit procéder à aucun acte dans le cadre de télémédecine qu’après en avoir informé le patient et, le cas échéant, son tuteur légal et avoir recueilli son consentement éclairé, et ce, par tout moyen laissant une trace écrite ou électronique » [7].

D’une manière générale, le professionnel de santé doit garantir « la traçabilité de toutes les informations relatives à l’acte de télémédecine […] » [8]. Précisément, « chacun, qu’il soit médecin requérant, requis ou auxiliaire médicale est chargé, pour sa part, de tracer dans le dossier les informations pertinentes concernant son intervention auprès du patient » [9].
Par ailleurs, le DME joue un rôle crucial dans le cadre du litige.

II. Le rôle du DME dans le cadre du litige.

Le DME ne peut être considéré comme un moyen de preuve (A) que s’il respecte certains critères (B).

A) Le DME comme un moyen de preuve.

Le DME constitue un moyen de preuve en cas de litige pour évaluer le dommage subi par le patient. Il constitue un document électronique, défini comme

« l’écrit composé d’un ensemble de lettres et de chiffres ou autres signes numériques y compris celui qui est échangé par les moyens de communication à condition qu’il soit d’un contenu intelligible, et archivé sur un procédé fiable qui garantit sa lecture et sa consultation en cas de besoin » [10].

Par exemple, en cas d’une perte du dossier médical ou en cas d’insuffisance d’informations tracées dans ce dossier, la Cour de cassation française a affirmé dans un arrêt rendu le 16 octobre 2024 que « dans le cas d’une absence ou d’une insuffisance d’informations sur la prise en charge du patient, plaçant celui-ci ou ses ayants droit dans l’impossibilité de s’assurer que les actes de prévention, de diagnostic, ou de soins réalisés ont été appropriés, il incombe alors au professionnel de santé d’en apporter la preuve » [11]. Ainsi, la charge de la preuve est inversée, et il incombe au professionnel de santé traitant de prouver qu’il n’a pas commis de faute.

Le renversement de la charge de la preuve s’étend, aussi, à la preuve de la réalisation des obligations d’humanisme. Dans ce contexte, le législateur français affirme dans l’article L1111-2 du CSP qu’

« […] en cas de litige, il appartient au professionnel ou à l’établissement de santé d’apporter la preuve que l’information a été délivrée à l’intéressé […]. Cette preuve peut être apportée par tout moyen ».

Pour sa part, le législateur tunisien prévoit que la délivrance de l’information et le recueil du consentement doivent être matérialisés par tout moyen laissant une trace sur un support électronique et, au besoin, papier [12]. Il ajoute qu’

« hormis les cas d’urgence médicale qui nécessitent de porter secours pour sauver la vie du patient et au cours desquels son information et le recueil de son consentement ou celui de son tuteur légal s’avèrent impossibles, le médecin ou le médecin dentiste traitant ne doit procéder à aucun acte dans le cadre de télémédecine qu’après en avoir informé le patient et, le cas échéant, son tuteur légal et avoir recueilli son consentement éclairé, et ce, par tout moyen laissant une trace écrite ou électronique » [13].

Il en découle que « dans le contexte de l’information médicale, la charge de la preuve est inversée et le soignant doit prouver par tout moyen qu’une information claire, loyale et appropriée a bien été transmise et comprise du patient » [14].
Mais pour que le DME soit admis en tant qu’un moyen de preuve, il doit répondre à certains critères.

B) Les critères d’admissibilité du DME devant le tribunal.

Pour que le DME soit admis en tant que preuve, il doit être fiable. En ce sens, la fiabilité consiste en la capacité d’un document à refléter avec précision les faits qui le constituent. Ainsi, la valeur d’une telle preuve est étroitement liée à sa fiabilité [15].

À ce titre, le législateur français prévoit qu’il

« est présumée fiable jusqu’à preuve du contraire toute copie résultant d’une reproduction à l’identique de la forme et du contenu de l’acte, et dont l’intégrité est garantie dans le temps par un procédé conforme à des conditions [..] » [16].

Partant de-là, on déduit que la fiabilité n’est assurée que si les critères d’authenticité et d’intégrité sont garantis.

En ce qui concerne l’authenticité « elle comporte deux volets. On qualifie d’authentique un écrit, d’une part, dont la source apparente est la source réelle, c’est-à-dire qu’il a véritablement été fait et signé par la personne identifiée et, d’autre part, qui n’a pas été altéré, c’est-à-dire qui est dans le même état qu’au moment où il a été signé » [17].

Quant à l’intégrité, elle est assurée « lorsqu’il est possible de vérifier que l’information n’est pas altérée et qu’elle est maintenue dans son intégralité, et que le support qui porte cette information lui procure la stabilité et la pérennité voulue » [18].
De même, le DME

« fait preuve comme acte sous seing privé s’il est conservé dans sa forme définitive par un procédé fiable et est renforcé par une signature électronique » [19].

En ce sens, la signature électronique se définit comme un

« ensemble d’éléments de chiffrement personnels créées conformément à un procédé d’identification fiable garantissant le lien entre ladite signature et le document électronique auquel elle se rattache » [20].

Elle doit contenir « une marque personnelle identifiant le médecin, une preuve que l’acte de signature représente l’acquiescement du signataire, un mécanisme créant un lien entre le médecin et un mécanisme assurant l’intégrité du document après qu’il a été signé » [21].

En somme, le DME représente une avancée dans le domaine de la santé numérique, en offrant à la fois un outil de gestion des données de la santé et un moyen de preuve en cas de litige. D’un côté, il assure une traçabilité des actes médicaux, garantissant ainsi la qualité des soins. De l’autre côté, il constitue un moyen de preuve fiable, permettant de vérifier la conformité des actes médicaux fournis et de déterminer la faute commise par le praticien, ce qui permet de mettre en jeu sa responsabilité juridique.

Allem Boufallous, Juriste

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Notes de l'article:

[1Kervegant (M.-L.) et Leroy-Frangeul (A.), in « Le dossier du patient : un outil pour la recherche de la vérité ? », La Gazette des Archives, n° 255, 2019, p. 242, disponible sur https://www.persee.fr/doc/gazar_0016-5522_2019_num_255_3_5846.

[2Article L1111-15 du Code de la santé publique.

[3Article L1111-7 du Code de la santé publique.

[4Viens (C.), « Le dossier médical électronique : les avantages augmentent avec l’usage ! », in Le Médecin du Québec, vol. 48, n° 10, 2013, p. 27, disponible sur https://lemedecinduquebec.org/media/140027/le-dossier-mediacl-electronique-les-avantages-augmentent-avec-lusage.pdf.

[5Article 6 de l’arrêté du ministre de la santé du 13 juin 2024, fixant les conditions spécifiques de réalisation des actes de télémédecine pour chaque spécialité, JORT n° 73 du 14 juin 2024.

[6Article 22 du décret présidentiel n° 2022-318 du 8 avril 2022, fixant les conditions générales d’exercice de la télémédecine et les domaines de son application, JORT n° 40 du 12 avril 2022.

[7Article 23 (bis) de la loi n° 2018-43 du 11 juillet 2018 relative à l’exercice et à l’organisation de la profession de médecin et de médecin dentiste, ayant modifié l’article 23 de la loi n° 91-21 du 13 mars 1991 relative à l’exercice et à l’organisation de la profession de médecin et de médecin dentiste, JORT n° 57 du 17 juillet 2018.

[8ibid.

[9Direction Générale de l’Offre de Soins, Rapport sur les responsabilités juridiques engagées en télémédecine, p. 4, 2012, disponible sur https://sante.gouv.fr/ministere/organisation/organisation-des-directions-et-services/article/organisation-de-la-direction-generale-de-l-offre-de-soins-dgos.

[10Article 453 bis-1 du Code des obligations et des contrats.

[11Cass. Civ. 1ère. 16 octobre 2024, n° 22-23.433.

[12Article 21 du décret présidentiel n° 2022-318 du 8 avril 2022, fixant les conditions générales d’exercice de la télémédecine et les domaines de son application, op. cit.

[13Article 23 (bis) de la loi n° 2018-43 du 11 juillet 2018 relative à l’exercice et à l’organisation de la profession de médecin et de médecin dentiste, ayant modifié l’article 23 de la loi n° 91-21 du 13 mars 1991 relative à l’exercice et à l’organisation de la profession de médecin et de médecin dentiste, op. cit.

[14Garbacz (L.), Les problèmes éthiques et juridiques de la prise en charge du patient face à l’émergence de nouvelles pratiques médicales, Thèse de Doctorat en droit de la santé, Sous la direction des Professeurs Hervé (Ch.) et Claudot (F.), Université de Laurraine - Université Paris Descartes, 2014, p. 165, disponible sur https://theses.hal.science/tel-01127556v1.

[15Frey (V.), « La préservation de l’authenticité dans un environnement numérique », in Documentation et Bibliothèque, vol. 55, n° 3, 2009, p. 125, disponible sur https://www.erudit.org/fr/revues/documentation/2009-v55-n3-documentation01752/1029099ar.pdf.

[16Article 1379-2 du Code civil français.

[17Fabien (C.), « La preuve par document technologique », in R.J.T, vol. 38, 2004, p. 571, disponible sur https://ssl.editionsthemis.com/uploaded/revue/article/rjtvol38num3/fabien.pdf.

[18ibid.

[19Article 453 bis-2 du Code des obligations et des contrats.

[20Article 2 du décret-loi du chef de gouvernement n°2020-31 du 10 juin 2020, relatif à l’échange électronique des données entre les structures et leurs usagers et entre les structures, JORT n° 54, du 10 juin 2020.

[21Collège des Médecins du Québec, Guide d’exercice sur le médecin, la télémédecine et les TIC, 2014, p. 26, disponible sur https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2435420.

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