Le bon de visite, un moyen de preuve pour l’agent immobilier ?

Par Pascal Bellanger, Avocat.

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Explorer : # bon de visite # preuve juridique # agent immobilier # mandat de vente

La pratique du bon de visite a tendance à disparaitre chez de nombreux professionnels. Pourtant sa force probante reste entière, et son intérêt toujours actuel à la condition que son contenu apporte un preuve irréfutable.

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La question de la signature d’un bon de visite lors de la présentation d’un bien par l’agent immobilier est une difficulté pratique que tout professionnel rencontre.

Commercialement, il peut être compliqué de solliciter des prospects afin d’obtenir la régularisation d’un document pouvant être ressenti comme la manifestation d’un manque de confiance.

Aussi, cette pratique professionnelle est aléatoire, de nombreux professionnels l’ayant abandonné.

Elle présente, il est vrai, pratiquement aucun intérêt pour les agents immobiliers titulaires d’un mandat exclusif de vente.

En effet, le propriétaire ne peut vendre ni directement, ni par l’intermédiaire d’un autre agent immobilier, aussi toute vente intervenant pendant la durée du mandat exclusif doit permettre à l’agent immobilier de percevoir sa commission.

Si la vente intervenait sans le concours de l’agent immobilier, il serait fondé à solliciter sa commission contractuelle en vertu du mandat exclusif, sans que l’existence d’un bon de visite soit utile, puisque l’identité de l’acquéreur est sans intérêt.

Naturellement, s’il prouvait que non seulement, une fraude au mandat a été commise avec une vente à un acquéreur auquel il a présenté le bien, sa position est renforcée.

En pratique, la rédaction d’un bon de visite est plus utile lorsque l’agent immobilier est titulaire d’un mandat simple, aussi les développements ci-après ne concernent que cette hypothèse.

Or, la valeur juridique du bon de visite est une question essentielle pour les agents immobiliers en tant qu’instrument de preuve de la présentation et justificatif de l’origine de la mise en relation entre vendeurs et acheteurs.

Juridiquement, la position de la Cour de Cassation semble établie quant à la valeur du bon de visite.

En cas de concours d’agent immobilier, ce document ne procure aucun bénéfice à l’agent immobilier ayant pris cette précaution puisque seul, le mandataire qui est parvenu à obtenir la rencontre des volontés et la conclusion de la vente peut prétendre à rémunération

Cela n’empêchera jamais l’indélicatesse des uns ou des autres invoquant ce document pour tenter d’obtenir le paiement de commissions ou pour tenter de l’éviter !

Il faut donc pour analyser les avantages et inconvénients de ce document, le définir avant d’examiner sa valeur juridique, toujours dans l’hypothèse du mandat simple de vente.

I/ Le bon de visite.

C’est un document que l’agent immobilier soumet à la signature d’un prospect à l’occasion de la visite d’un bien commercialisé.

Il n’y a pas de formulaire obligatoire ou normalisé de type CERFA, chaque agence ou réseau utilisant son propre document.

Il n’y a donc pas de texte ou de définition réglementaire à respecter, s’agissant d’une création prétorienne.

En revanche, il est utile de prévoir quelques mentions de nature à rapporter la preuve souhaitée de la mise en relation, s’il y avait une difficulté ou un litige.

Les mentions qu’il convient de conseiller sont les suivantes :

En premier lieu, l’individualisation de l’agence immobilière et pas seulement l’indication de la franchise, du réseau, ou du groupe immobilier auquel elle appartient.

Il faudra classiquement y faire figurer l’état civil de l’agent immobilier titulaire de la carte professionnelle pour les agents personnes physiques ou la dénomination sociale, le siège social, le numéro d’immatriculation au RCS, les caractéristiques professionnelles en matière de carte professionnelle, caisse de garantie, etc. ainsi que les nom et prénom de la personne physique assurant la visite.

Cela aura un double intérêt au plan commercial pour rapporter la preuve de la visite qui devra être communiquée au mandant pour justifier de cette action dans l’exécution du mandat, et au plan financier de déterminer le salarié ou l’agent commercial ayant pratiqué la mise en relation en cas de commissions à rétrocéder après la vente.

La transmission du bon de visite au vendeur présente aussi l’intérêt de mettre en échec une éventuelle tentative de contourner l’agent immobilier puisque pour démontrer une collusion entre acheteur et vendeur, en cas de vente hors intervention de l’agent immobilier, il faut rapporter la preuve que le vendeur avait connaissance que la visite initiale a été réalisée par l’agent immobilier.

En transmettant l’identité des visiteurs à son mandant, l’agent immobilier se préserve d’une telle tentation.

De plus, s’il y a un litige suite à la visite (dégâts, intrusion postérieure, etc…), ce document pourra constituer une preuve de l’identité des prospects ayant visités, motif pour lequel quelques réseaux d’agence y font figurer les références de leur assurance responsabilité civile professionnelle.

En deuxième lieu, il convient d’y faire figurer les références du mandat, ce qui permet aux visiteurs de vérifier que l’agence immobilière est bien titulaire d’un mandat, condition incontournable de son intervention.

En troisième lieu, y figurera une mention selon laquelle, l’acquéreur s’engage dans un délai prévu au document (en pratique, au plus la durée du mandat de vente) à ne pas procéder à l’achat du bien présenté hors intervention de l’agent immobilier.

Il peut y figurer une mention selon laquelle le prospect atteste que le bien ne lui a pas été présenté antérieurement, ce qui est généralement absent des « modèles-maison » utilisés par la plupart des agents immobiliers, pour éviter en cas de litige, la production opportune d’un bon de visite providentiel et antérieur…

En revanche, il est inutile d’y ajouter une clause d’exclusivité ou de paiement de la commission d’agence même si le bien est acheté sans agent immobilier, ces clauses ayant été écartées par la Cour de cassation par une jurisprudence constante depuis le début des années 2 000.

Enfin en quatrième lieu, son intérêt en matière de preuve est d’y faire figurer l’identité complète des visiteurs.

Il faut recueillir leurs nom, prénom, adresse et naturellement la signature en fin de visite précédée de la mention manuscrite des jour et heure de la visite à défaut de quoi, ce document devient parfaitement inutile, puisqu’il n’est pas rare que les visites d’un prospect s’enchainent le même jour avec divers professionnels.

C’est du reste, cette seule formalité qui permettra d’accorder à ce document une force probante déterminant sa valeur juridique.

II/ Valeur du bon de visite.

La régularisation d’un tel document qui n’entre pas dans les documents prescrits par la loi du 2 janvier 1970, dite loi Hoguet, ne permet pas à l’agent immobilier de contourner les règles du mandat.

Il ne peut à l’occasion d’une visite d’un bien qui est en vente, mais pour lequel il n’est pas titulaire d’un mandat, prétendre à commission s’il obtenait l’accord des parties pour la vente.

Il ne peut arguer de sa visite et d’une prétendue recherche de bien par l’un de ses clients pour fonder sa demande de commission à l’égard du vendeur.

L’article 73 de la loi Hoguet est explicite en la matière et la Jurisprudence particulièrement rigoureuse dans l’application de ce texte.

Si le bien visité est présenté avec l’accord d’un vendeur pour lequel l’agent n’a pas de mandat, il devra faire régulariser un mandat de recherche aux prospects pour assoir sa demande de commission.

Le bon de visite ne vaut en effet, ni mandat, ni contrat.

C’est du reste ce qui a été jugé depuis fort longtemps par la Cour de cassation :

« Le bon de visite n’est pas un contrat de mandat entre l’agent immobilier et le visiteur du bien » [1].

C’est simplement une preuve matérielle et il ne présente pas d’autre intérêt, même s’il a donné lieu à une Jurisprudence assez importante.

Son intérêt est en fait double :
- Déterminer la préséance de la mise en relation ;
- Eviter le risque de collusion vendeur - acquéreur.

A - Le bon de visite et la préséance des mises en relation.

En cas de mandat simple contracté par le vendeur, il est d’usage que celui-ci en contracte avec plusieurs agents immobiliers.

Dès lors, le même bien est proposé par diverses agences qui peuvent le faire visiter.

En cas de concours d’agents immobiliers, l’application des articles 72 et 73 de la loi du 2 Janvier 1970 dite Hoguet, fait que seul l’agent immobilier ayant mené la transaction jusqu’à la réalisation de l’acte authentique peut percevoir sa commission.

A l’égard de l’acquéreur, l’agent immobilier qui aura fait visiter le bien avant l’agence ayant fait aboutir la rencontre des volontés puis la vente, ne peut agir sur le fondement d’un contrat, car il n’a régularisé aucun contrat avec l’acquéreur.

En effet, la Cour de cassation a rappelé à de nombreuses reprises que l’acquéreur ne pouvait être amené à payer des honoraires pour un mandat qu’il n’avait pas signé [2].

L’agent immobilier ne pourra qu’envisager d’engager la responsabilité délictuelle de l’acquéreur et obtenir des dommages-intérêts pour le préjudice subi, lequel ne peut en principe être supérieur au montant de la commission évincée.

Il faudra démontrer la faute de l’acquéreur qui a visité le bien par l’intermédiaire de l’agent immobilier, et la première preuve à produire sera le bon de visite.

Sans ce document, la réclamation de l’agent immobilier sera illusoire, car même s’il existe des courriels ou échanges à propos d’un bien, la preuve de l’antériorité de la présentation du bien sera fort difficile à établir, ce qu’un bon de visite, bien documenté, démontrera.

Il peut s’avérer utile même si le bon a été signé par des acquéreurs de mauvaise foi, se présentant sou un nom d’emprunt. Dans une espèce jugée par la Cour de cassation, il a fallu un arrêt de la Chambre Plénière du 5 mai 2008 [3] pour que l’agent immobilier obtienne des dommages intérêts, l’avis de l’avocat général publié au bulletin de la Cour de cassation étant éloquent quant aux circonstances.

A l’égard du vendeur, la situation juridique est différente puisqu’il existe un mandat de vente et que les relations sont purement contractuelles.

Dans l’hypothèse d’un mandat simple, ou d’un mandat mixte, le vendeur a la possibilité de vendre le bien à commercialiser directement.

La faute du vendeur peut permettre à l’agent immobilier d’obtenir des dommages intérêts mais il s’agit d’une hypothèse peu vraisemblable puisque si la fraude est envisagée voire réalisée, elle le sera par le concours entre vendeurs et acquéreurs.

En pratique, l’agent immobilier évincé recherchera la collusion entre ces derniers.

B - Le bon de visite et la collusion vendeurs - acquéreurs.

Pour qu’une collusion soit envisagée, il sera indispensable qu’un bon de visite ait été rédigé et communiqué aux vendeurs.

A défaut, il suffira à ces derniers de soutenir qu’ils n’ont pas eu connaissance du fait que les acquéreurs avaient visité préalablement, par l’entremise de l’agent immobilier pour éviter de voir leur responsabilité engagée.

Le bon de visite deviendra essentiel dans la preuve de la duplicité des vendeurs et acquéreurs et ce mode de preuve est communément admis par les juridictions [4].

Si la preuve de la prise de contact est rapportée par le bon de visite et si la collusion est retenue par les Juges, l’agent immobilier aura droit à des dommages intérêts qui peuvent être du montant de sa commission [5].

Mais la réalisation d’un bon de visite ne suffira pas, il faudra également que l’agent immobilier justifie de la communication de l’identité des visiteurs à son mandant, lequel a dans l’hypothèse d’un mandat simple, la possibilité de vendre sans intermédiaire.

L’acquéreur potentiel peut parfaitement se présenter sans informer le vendeur de la visite assistée d’un agent immobilier, et le vendeur conclure de bonne foi.

Cette hypothèse renforce la nécessité pour l’agent de rendre compte assidument de ses opérations de mandataire.

En conclusion, il semble recommandé pour l’agent immobilier de faire régulariser à l’occasion de toute visite, un tel document qui n’aura qu’une valeur de preuve et ne remplira son plein effet qu’à la condition d’être porté à la connaissance du mandant de l’agent immobilier.

Pascal Bellanger
Avocat au Barreau de Nîmes

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Notes de l'article:

[1Civ. 1ère, 27 avril 2004, pourvoi n°01-13868.

[2Par exemple pour un mandat de recherche irrégulier, Cass. 1ère, 2 octobre 2013, pourvoi 12-22.761, inédit, Legifrance.

[3Pourvoi 07-12.449, Légifrance.

[4Cass. civ. 1re ch., 21 mars 1995 (pourvoi n° 93-11.009) ; 6 octobre 1993, Bull., I, n° 266 et 267 ; 26 mai 1993 (pourvoi n° 92-10.067) ; 3 avril 2002, Bull., I, n° 103.

[5Cass civ. 1re, 27 Mai 1998, Légifrance, pourvoi 95-14.652.

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