1) Faits et procédure.
M. S été engagé le 19 juin 2015, en qualité de chauffeur livreur par la société Ludo Express.
La période d’essai a été rompue par l’employeur, le 19 août 2015, en raison d’une insuffisance de résultats.
L’employeur a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes en remboursement de salaire trop-perçu et en paiement de dommages-intérêts.
L’union départementale des syndicats Force Ouvrière d’Indre-et-Loire est intervenue à l’instance.
2) Sur le moyen du salarié.
Le salarié fait grief à l’arrêt de la Cour d’appel d’Orléans du 28 mars 2019 (RG 17/00373) le débouter de sa demande en dommages-intérêts pour violation de la durée maximale du travail, alors
« que le dépassement de la durée maximale de travail hebdomadaire cause nécessairement au salarié un préjudice qu’il appartient aux juges du fond de réparer, dans le respect des principes d’équivalence et d’effectivité, par l’octroi soit de temps de repos supplémentaire soit de dommages-intérêts.
Qu’en considérant, après avoir constaté un dépassement de la durée maximale de travail hebdomadaire, que ce manquement n’avait été la source d’aucun préjudice pour le salarié, la Cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l’article 6 b) de la directive n°2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2005, ensemble l’article L3125-35 du Code du travail ».
3) Motivation de la Cour de cassation.
Au visa de l’article L3121-35, alinéa 1er, du Code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, interprété à la lumière de l’article 6 b) de la directive n°2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, la Cour de cassation, dans son arrêt du 26 janvier 2022 (n°20-21.636), donne gain de cause au salarié.
Elle affirme ainsi qu’aux termes du texte susvisé, au cours d’une même semaine, la durée du travail ne peut dépasser quarante-huit heures.
Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne que le dépassement de la durée moyenne maximale de travail hebdomadaire fixée à l’article 6, sous b), de la directive 2003/88 constitue, en tant que tel, une violation de cette disposition, sans qu’il soit besoin de démontrer en outre l’existence d’un préjudice spécifique [1].
La Cour de justice de l’Union européenne a précisé que c’est au droit national des Etats membres qu’il appartient, dans le respect des principes d’équivalence et d’effectivité, d’une part, de déterminer si la réparation du dommage causé à un particulier par la violation des dispositions de la directive 2003/88 doit être effectuée par l’octroi de temps libre supplémentaire ou d’une indemnité financière et, d’autre part, de définir les règles portant sur le mode de calcul de cette réparation [2].
Pour débouter le salarié de sa demande en dommages-intérêts pour violation de la durée maximale du travail, l’arrêt, après avoir constaté que le salarié avait travaillé 50,45 heures durant la semaine du 6 au 11 juillet 2015, retient que celui-ci doit démontrer très exactement en quoi ces horaires chargés lui ont porté préjudice et, qu’en l’état des éléments soumis, ce préjudice n’est pas suffisamment démontré.
En statuant ainsi, alors que le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail ouvre droit à la réparation, la Cour d’appel a violé le texte susvisé.
4) Analyse.
Le rapport du conseiller à la Cour de cassation rappelle que dans une série d’arrêts la chambre sociale a abandonné la théorie du « préjudice nécessaire » pour retenir que l’existence et la preuve du préjudice relèvent du pouvoir souverain des juges du fond.
Selon cette théorie, le seul constat d’un manquement de l’employeur à l’une de ses obligations légales ou conventionnelles permet de déduire l’existence d’un préjudice pour le salarié.
Ainsi, à partir d’un arrêt du 13 avril 2016, la Cour de cassation a peu à peu abandonné cette jurisprudence, imposant désormais aux salariés de prouver l’existence d’une faute de l’employeur, d’un préjudice et d’un lien de causalité lorsqu’ils sollicitent l’octroi de dommages et intérêts (Cass. soc., 13 avr. 2016, n°14-28.293).
Elle a cependant continué de l’appliquer dans de rares exceptions telles que lorsque l’employeur n’accomplit pas les diligences nécessaires à la mise en place des représentants du personnel, celui-ci pouvant alors être condamné à verser des dommages et intérêts aux salariés sans que la démonstration de l’existence d’un préjudice ne soit nécessaire (Cass. soc., 15 mai 2019, n°17-22.224).
L’employeur qui met en œuvre une procédure de licenciement économique, alors qu’il n’a pas accompli, bien qu’il y soit légalement tenu, les diligences nécessaires à la mise en place d’institutions représentatives du personnel et sans qu’un procès-verbal de carence ait été établi, commet une faute qui cause un préjudice aux salariés, privés ainsi d’une possibilité de représentation et de défense de leurs intérêts (Cass. soc., 17 oct. 2018, n°17-14.392).
Dans l’arrêt publié au bulletin du 26 janvier 2022, la chambre sociale pose une nouvelle exception à l’abandon de sa théorie en affirme que « le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail ouvre droit à réparation ».
Sources.
Cass. Soc., 26 janvier 2022, n°20-21.636.
Rapport du conseiller à la Cour de cassation.
Cass. soc., 13 avr. 2016, n°14-28.293.