Si son encadrement ne fait que se renforcer au fil des années, dans le but d’assurer toujours plus de protection des salariés concernés au titre de leur santé et de leur droit au repos, force est de constater que la pratique des entreprises en la matière reste pourtant très régulièrement en contradiction avec la loi.
Les condamnations sur le sujet restent ainsi légion devant les Conseils de prud’hommes, ce qui donne l’occasion aux praticiens de s’interroger sur les raisons justifiant un refus des employeurs de se conformer à leurs obligations et les moyens de les y contraindre.
Qu’est-ce que le forfait annuel en jours ?
Le forfait jours offre aux salariés la possibilité de travailler un nombre déterminé de jours par an, au lieu d’un nombre d’heures précis.
Cette flexibilité est particulièrement attractive pour les employeurs, car elle dispense de la comptabilisation des heures travaillées et, par conséquent, des éventuelles heures supplémentaires, ce qui peut représenter des économies substantielles en termes de coûts salariaux.
Afin de limiter les dérives liées à l’utilisation du forfait jours, le législateur a limité ce dispositif aux seuls salariés disposant d’une autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps (cadres ou non cadres).
Dans la pratique, de nombreuses entreprises y ont pourtant systématiquement recours pour l’ensemble des salariés cadres, sans se soucier réellement du caractère autonome ou non des salariés.
Accenture, ainsi que son PDG, avaient été ainsi condamné en 2017, par le Tribunal de Police, à 99.000 euros d’amende pour usage abusif des forfaits jours, suite à un contrôle de l’inspection du travail.
Quelles sont les règles visant à protéger les salariés et rendant valable ce dispositif ?
Le forfait jours soulève une sérieuse difficulté liée au fait que l’employeur n’a plus à respecter les durées maximales - quotidienne et hebdomadaire - de travail, exposant les salariés à un risque de surmenage et de déséquilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.
Face aux abus de certaines entreprises en la matière, le juge, puis le législateur, ont rapidement dû intervenir pour protéger la santé des salariés se retrouvant à travailler jour et nuit, sous prétexte de bénéficier d’un forfait jours.
La première pierre à l’édifice a été apportée par la Cour de cassation, dès 2011, en imposant que l’accord collectif mettant en place le forfait jours contiennent des stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que les temps de repos journaliers et hebdomadaires.
Une série d’arrêts de la Cour de cassation ont alors bouleversé les différentes branches professionnelles en faisant tomber un à un les conventions collectives.
Et cela n’est toujours pas terminé. Encore récemment, c’était ainsi au tour de la branche de l’automobile et des prestations de service d’être remis en cause par la Cour de cassation.
Le législateur n’a eu d’autres choix que de réagir par le biais de la loi travail du 8 août 2016 prévoyant désormais expressément l’obligation de contrôler la charge de travail des salariés.
Quels sont les risques afférents au forfait jours ?
Si le forfait jour est un formidable outil offert à l’employeur pour ne pas payer d’heures supplémentaires à ses salariés, il existe néanmoins un revers de la médaille.
A défaut de respect des règles afférentes au suivi de la charge de travail la sanction est alors radicale : le salarié est considéré comme travaillant selon la durée légale du travail, soit 35 heures par semaine et est en droit de solliciter devant le conseil de prud’hommes le paiement d’heures supplémentaires.
Il est facile d’imaginer les montants faramineux pouvant être atteints pour des salariés réalisant un nombre d’heures de travail très conséquent et disposant d’un salaire élevé.
A titre d’exemple, la Cour de cassation, par le biais d’un arrêt du 19 juin 2019, condamnait ainsi une société du secteur de l’optique, à payer à un ancien délégué commercial la somme de 1,2 million d’euros !
Les raisons d’une absence d’adhésion des employeurs.
Au regard des risques évoqués ci-dessus, on peut se demander légitiment pour quelles raisons les employeurs ne respecteraient pas les obligations à leur charge, s’agissant d’obligations relativement simples à mettre en œuvre.
La raison la plus évidente concerne les petites entreprises et résulte d’une simple absence de connaissance des règles en la matière.
Mais se pose alors la question des grandes entreprises ne pouvant ignorer les obligations légales.
Le nombre de condamnations les concernant ne laisse pas de doutes sur une absence de volonté d’assurer un suivi de la charge de travail des salariés en forfait jours.
Les raisons sont probablement multiples et résultent notamment d’un risque jugé au final limité en comparaison avec les contraintes supposées de la mise en place d’un suivi du travail des salariés.
Il apparait plus simple de ne pas mettre en place les process nécessaires, la majorité des salariés ne contestant pas la validité de leur forfait jours.
D’autres entreprises ont des raisons moins avouables découlant d’une pratique consistant à ne pas respecter délibérément la législation française s’agissant de salariés cadres travaillant sept jours sur sept (le secteur bancaire en est un très bon exemple).
Il n’étonnera personne que des banquiers d’affaires, payés parfois plusieurs millions d’euros, ne bénéficient évidemment pas d’une charge de travail raisonnable.
Face à ce constat, la question qui se pose alors est de savoir comment rétablir un équilibre permettant d’éviter des dérives pouvant pousser des salariés au burn out.
Un durcissement des sanctions semble être la piste la plus à même à faire réagir les employeurs récalcitrants ne voyant pas l’intérêt à ce jour de ménager leurs salariés.