1. Les principes fondamentaux de la preuve des heures supplémentaires.
1.1. Le cadre légal du partage de la preuve.
L’article L3171-4 du Code du travail pose le principe fondamental selon lequel la preuve des heures de travail effectuées n’incombe spécialement à aucune des parties.
Cette règle traduit la volonté du législateur d’instaurer un équilibre procédural dans le contentieux des heures supplémentaires.
La Cour de cassation a régulièrement réaffirmé ce principe, notamment dans ses arrêts du 10 mai 2007 [1] et du 21 janvier 2009 [2], en rappelant que le juge ne peut fonder sa décision sur la seule insuffisance des preuves apportées par le salarié.
1.2. Les obligations de l’employeur en matière de décompte du temps de travail.
L’article L3171-2 du Code du travail impose à l’employeur une obligation spécifique d’assurer le décompte du temps de travail effectif.
Cette obligation est essentielle car elle conditionne la capacité de l’employeur à justifier des horaires réellement accomplis par ses salariés.
Dans un arrêt du 13 février 2002 [3], la Cour de cassation a précisé que l’employeur doit conserver ces éléments pendant toute la durée de la prescription applicable aux salaires.
Plus récemment, dans une décision du 7 février 2024 [4], la Haute juridiction a toutefois nuancé cette exigence en indiquant que l’absence de système de décompte ne prive pas l’employeur de son droit de contester la réalité des heures réclamées.
2. La nature et la portée des éléments probatoires exigés.
2.1. Les éléments de preuve recevables du côté du salarié.
La jurisprudence a progressivement défini les éléments probatoires admissibles du côté du salarié.
Ainsi, dans un arrêt du 24 novembre 2010 [5], la Cour de cassation a admis qu’un simple décompte mensuel des heures réalisées, même dépourvu d’explication complémentaire, constitue un élément probant.
Cette position a été confirmée et élargie par une décision du 27 janvier 2021 [6] qui retient un décompte hebdomadaire ne mentionnant pas les pauses déjeuner.
La Haute juridiction a également reconnu la validité d’autres modes de preuve.
Un arrêt du 1ᵉʳ juin 2022 [7] accepte des relevés ne mentionnant pas les temps de trajet domicile-travail, tandis qu’une décision du 8 décembre 2010 [8] admet la production d’un agenda personnel corroboré par des attestations.
Plus récemment encore, les arrêts du 14 décembre 2022 [9] et du 15 mars 2023 [10] ont validé la production de tableaux récapitulatifs même en l’absence de détail horaire précis.
2.2. Les moyens de preuve à disposition de l’employeur.
S’agissant des moyens de preuve dont dispose l’employeur, la jurisprudence a fixé un cadre à la fois souple et encadré. Les documents de contrôle établis unilatéralement par l’employeur ne bénéficient pas d’une force probante absolue.
La Cour de cassation, dans son arrêt du 27 mars 2019 [11], a d’ailleurs exclu la recevabilité des tickets de restauration trop détaillés, considérant qu’ils portaient une atteinte disproportionnée à la vie privée du salarié.
En revanche, lorsque le salarié établit lui-même des fiches de temps à la demande de l’employeur, celles-ci revêtent une force probante particulière, comme l’a souligné l’arrêt du 19 janvier 1999 [12].
3. L’apport spécifique de l’arrêt du 15 janvier 2025.
3.1. Le contexte factuel.
L’affaire soumise à la Cour de cassation concernait un salarié employé à temps partiel dans un restaurant.
Son contrat de travail ayant été requalifié en temps complet, il réclamait le paiement d’heures supplémentaires.
Pour étayer sa demande, il avait produit plusieurs attestations de clients ainsi que la page Google de l’établissement mentionnant les horaires d’ouverture.
Face à ces éléments, l’employeur s’était contenté de verser aux débats deux témoignages de salariés, dont l’impartialité était contestée par le demandeur en raison de leurs liens familiaux avec l’employeur.
3.2. La censure de l’analyse restrictive des juges du fond.
La Cour de cassation, au visa des articles L3171-2 et L3171-4 du Code du travail, censure l’analyse de la cour d’appel qui avait rejeté la demande du salarié au motif que ses éléments de preuve n’étaient pas suffisamment précis.
La Haute juridiction rappelle qu’il n’appartient pas au salarié de prouver de manière exacte les heures effectuées, mais simplement de fournir des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre.
Cette position s’inscrit dans la droite ligne de sa jurisprudence antérieure, notamment l’arrêt du 18 mars 2020 [13].
4. Le rôle déterminant du juge dans l’appréciation des preuves.
4.1. L’obligation d’un examen exhaustif des éléments probatoires.
Le juge est tenu d’examiner l’ensemble des éléments fournis par les parties, comme le souligne l’arrêt du 18 mars 2020 [14].
Cette obligation implique qu’il ne peut se contenter d’examiner les seuls éléments du salarié, ni rejeter la demande sur la seule base de l’insuffisance des preuves de ce dernier.
De même, il ne saurait négliger les éléments produits par l’employeur.
Cette approche globale garantit le respect du principe du contradictoire et assure une appréciation équilibrée des prétentions des parties.
4.2. Le pouvoir souverain d’appréciation et ses limites.
Une fois l’existence d’heures supplémentaires établie, le juge dispose d’un pouvoir souverain pour en évaluer l’importance et fixer les créances salariales correspondantes.
Toutefois, ce pouvoir est encadré par plusieurs limites posées par la jurisprudence.
L’arrêt du 11 mai 2022 [15] prohibe toute évaluation forfaitaire des heures supplémentaires.
De même, les décisions du 15 octobre 2002 [16] et du 23 février 2005 [17] interdisent la substitution de dommages-intérêts au paiement des heures effectuées.
En revanche, comme le précise l’arrêt du 18 mars 2020 [18], le juge n’est pas tenu de détailler le calcul retenu.
5. Les implications pratiques de cette jurisprudence.
5.1. Pour la pratique des employeurs.
L’arrêt du 15 janvier 2025 renforce la nécessité pour les employeurs d’adopter une approche rigoureuse du suivi du temps de travail.
Il leur appartient de mettre en place un système fiable de décompte des heures et de conserver l’ensemble des éléments de preuve pendant la durée de prescription.
Face à une réclamation d’heures supplémentaires, l’employeur ne peut se contenter de contester les éléments produits par le salarié, mais doit être en mesure d’apporter ses propres éléments justificatifs.
5.2. Pour la défense des droits des salariés.
La décision confirme que les salariés, s’ils doivent présenter des éléments suffisamment précis à l’appui de leurs demandes, ne sont pas tenus d’apporter une preuve absolue des heures effectuées.
L’exigence porte davantage sur la cohérence et la précision des éléments fournis que sur leur caractère exhaustif.
Cette approche équilibrée permet de préserver les droits des salariés tout en assurant le respect du principe du contradictoire.
En conclusion, l’arrêt du 15 janvier 2025 consolide une jurisprudence protectrice des droits des salariés tout en maintenant un équilibre procédural nécessaire.
Il rappelle que la preuve des heures supplémentaires repose sur un « dialogue probatoire » entre les parties, sous le contrôle d’un juge dont le rôle est d’apprécier l’ensemble des éléments produits pour forger sa conviction.