Le XIXème siècle a été marqué par une jurisprudence très libérale au terme de laquelle les juges ne daignaient pas préciser la notion de préjudice et faisaient droit aux demandes indemnitaires de dizaines de personnes pour une seule victime.
Les largesses de la justice de l’époque contribuaient, de fait, à l’afflux de demandes émanant d’individus dont la proximité de vie ou affective avec la victime directe n’était aucunement établie.
Le système laissait donc indubitablement la place à l’abus.
Devant cette problématique factuelle critiquée par de nombreux auteurs [2], la réaction des tribunaux et notamment de la Cour de cassation s’est fait attendre et une première limite, entre les tiers admis à solliciter l’indemnisation de leur préjudice moral et les autres, a été posée au début des années 1930.
Dans un premier temps, ce bornage s’est articulé autour de la notion de liens de parenté ou d’alliance [3], lesquels devaient être prouvés par le demandeur dans la perspective d’une compensation monétaire de ses préjudices.
Dans les suites immédiates, a été posée l’exigence de la lésion d’un « intérêt légitime juridiquement protégé » [4]. En d’autres termes, il n’existait pas de victime indirecte ou par ricochet en dehors de la famille légitime.
L’instauration de ce critère permettait ainsi d’évincer du champ de la réparation, la concubine et l’enfant naturel qui s’étaient vus, sous l’empire de l’ancienne jurisprudence, reconnaître des droits en cas de décès du conjoint ou du père.
Les mêmes principes étaient posés un peu plus tard pour les proches de la victime directe non décédée [5].
Cette situation n’a pas donné lieu à évolution jusqu’au début des années 1960, le Conseil d’État prenant également le pli de la haute juridiction judiciaire [6].
Le revirement a été initié au terme d’un arrêt « Cheval Lunus » rendu en 1962 [7], la condition relative au lien de parenté ou d’alliance étant battue en brèche par la réparation du préjudice moral subi par le propriétaire de l’animal décédé accidentellement du fait d’un tiers.
La Cour de cassation revoyait définitivement sa position et confirmait l’abandon de toute restriction à l’indemnisation du dommage moral par ricochet par un arrêt « Dangereux », daté du 27 février 1970 et confirmé à de nombreuses reprises [8].
La Chambre mixte prenait ainsi le parti d’annuler l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris au motif que le désormais ancien article 1382 du Code civil n’exigeait « pas, en cas de décès, l’existence d’un lien de droit entre le défunt et le demandeur en indemnisation ».
La concubine de la victime d’un accident mortel de la circulation était ici de nouveau admise à demander la réparation de son préjudice personnel à l’auteur de cet accident.
Les années 1980, marquées notamment par l’adoption de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 dite « BADINTER », voyait cette même solution être appliquée aux proches de la victime directe non décédée [9].
Aujourd’hui, il ne demeure potentiellement aucune limite relative à la teneur, la nature du lien entre la victime directe et son pendant par ricochet.
En effet, si les liens familiaux peuvent permettent de faire présumer l’existence d’un préjudice « réfléchi » (notamment pour les parents, la fratrie ou les grands parents), la Haute cour censure de façon automatique les juges du fond qui rejettent la demande indemnitaire en raison notamment de l’éloignement de ces liens [10].
Désormais et peu importe la proximité de la relation entretenue entre victimes directes et indirectes, les seuls critères retenus pour admettre l’indemnisation sont ceux exigés en droit commun, c’est à dire l’existence d’un préjudice personnel, direct, certain et licite [11].