Les solutions apportées par la Cour de cassation dans les arrêts du 13 septembre 2023 sont les suivantes :
- les salariés malades ou accidentés auront droit à des congés payés sur leur période d’absence, même si cette absence n’est pas liée à un accident de travail ou à une maladie professionnelle ;
- en cas d’accident du travail, le calcul des droits à congé payé ne sera plus limité à la première année de l’arrêt de travail ;
- la prescription du droit à congé payé ne commence à courir que lorsque l’employeur a mis son salarié en mesure d’exercer celui-ci en temps utile.
La Cour de cassation met en conformité le droit français avec le droit européen en matière de congé payé pour garantir une meilleure effectivité des droits des salariés à leur congé payé.
I- Congé payé et maladie non professionnelle.
Dans cet arrêt du 13 septembre 2023 (pourvois n°22-17.340 ; 22-17.341 et 22-17.342), la Cour de cassation affirme que les salariés malades ou accidentés auront droit à des congés payés sur leur période d’absence, même si cette absence n’est pas liée à un accident de travail ou à une maladie professionnelle.
1) Faits et procédure.
Trois salariés de la société Transdev ont saisi la juridiction prud’homale de demandes au titre des congés payés qu’ils soutenaient avoir acquis pendant la suspension de leur contrat de travail à la suite d’un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle.
La Cour d’appel de Reims a, en date du 6 avril 2022, écarté partiellement les dispositions de droit interne contraires à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, et décidé que les salariés avaient acquis des droits à congé payé pendant la suspension de leur contrat de travail pour cause de maladie non professionnelle.
L’employeur se pourvoit alors en cassation.
2) Moyens.
L’employeur fait grief aux arrêts de dire que les salariés sont en droit de récupérer des jours de congés et qu’il doit comptabiliser un certain nombre de jours annuels de congés payés en plus des droits à congés annuels acquis et en cours, alors :
- Que l’article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ne permettant pas, dans un litige entre des particuliers, d’écarter les effets d’une disposition de droit national contraire, le salarié ne peut prétendre, au regard des dispositions des articles L3141-3 et L3143-5 du Code du travail, à l’acquisition de congés payés au titre d’une période de suspension du contrat de travail pour maladie d’origine non professionnelle ;
- Que l’article 31, § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ne fixe pas de durée minimale pour la période annuelle de congés payés.
3) Solution.
La chambre sociale de la Cour de cassation rejette les pourvois formés par l’employeur.
Elle se fonde sur l’article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui prévoit que tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés.
Elle rappelle que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, n’opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d’un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période.
Les juges de la haute Cour en déduisent en conséquence que :
« Il convient en conséquence d’écarter partiellement l’application des dispositions de l’article L3141-3 du Code du travail en ce qu’elles subordonnent à l’exécution d’un travail effectif l’acquisition de droits à congé payé par un salarié dont le contrat de travail est suspendu par l’effet d’un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L3141-3 et L3141-9 du Code du travail ».
II- Congé payé et accident du travail.
Dans cet arrêt du 13 septembre 2023, la Cour de cassation affirme qu’en cas d’accident du travail, le calcul des droits à congé payé ne sera plus limité à la première année de l’arrêt de travail.
1) Faits et procédure (pourvoi n°22-17.638).
Un salarié a été engagé en qualité de conducteur receveur par la société Transports Daniel Meyer.
Le 21 février 2014, le salarié a été victime d’un accident du travail. Il a fait l’objet d’un arrêt de travail jusqu’au 8 octobre 2015.
Après la délivrance par le médecin du travail d’un avis d’inaptitude définitive, le salarié a été licencié le 19 novembre 2015 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Le 4 novembre 2016, le salarié a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes relatives à l’exécution du contrat de travail.
La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 9 février 2022, a limité à une certaine somme la condamnation de l’employeur au titre de l’indemnité de congé payé, au motif que l’article 7 de la directive 2003/88/CE, qui doit guider le juge dans l’interprétation des textes, n’est pas d’application directe en droit interne quand l’employeur n’est pas une autorité publique.
L’arrêt d’appel ajoute que la période écoulée entre la date de l’arrêt de travail du 21 février 2014 et expirant un an après, soit le 21 février 2015, ouvre droit à congés payés, mais nullement la période qui a suivi.
Le salarié a alors formé un pourvoi en cassation.
2) Moyens.
Le salarié fait grief à l’arrêt de limiter à une certaine somme le rappel d’indemnité de congés payés.
Il invoque, à titre principal que :
- Il résulte de l’article L3141-5 du Code du travail interprété à la lumière de l’article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 et de l’article 31, paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, que les salariés absents du travail en vertu d’un congé maladie au cours de la période de référence sont assimilés à ceux ayant effectivement travaillé au cours de cette période ;
- Qu’il s’en infère que le salarié dont le contrat de travail est suspendu pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle, assimilé au travailleur ayant effectivement travaillé, acquiert des droits à congés payés pendant la totalité de la période de suspension du contrat.
Subsidiairement, le salarié fait valoir que :
- Lorsqu’il n’est pas possible d’interpréter la réglementation nationale de manière à en assurer la conformité avec l’article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 et l’article 31, paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux, la juridiction nationale doit laisser la réglementation nationale inappliquée ;
- A supposer qu’il ne soit pas possible d’interpréter l’article L3141-5 du Code du travail de manière à en assurer la conformité avec l’article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 et l’article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux, il appartenait à la cour, en application du second de ces textes, de laisser cet article inappliqué.
3) Solution.
La chambre sociale de la Cour de cassation considère que le premier moyen relatif à une interprétation de l’article L3141-5 du Code du travail à la lumière de la directive 2003/88/CE n’est pas fondé, car l’interprétation est contraire aux termes de la loi française.
Les juges de la haute cour accueillent en revanche le second moyen et casse et annule l’arrêt de la cour d’appel.
Après avoir méticuleusement expliqué son raisonnement, la Cour de cassation en conclu, sur le fondement de l’article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, que le droit interne ne permet pas une interprétation conforme au droit de l’Union et que :
« Il convient en conséquence d’écarter partiellement l’application des dispositions de l’article L3141-5 du Code du travail en ce qu’elles limitent à une durée ininterrompue d’un an les périodes de suspension du contrat de travail pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle assimilées à du temps de travail effectif pendant lesquelles le salarié peut acquérir des droits à congé payé et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L3141-3 et L3141-9 du Code du travail ».
III- Prescription du droit à l’indemnité de congé payé.
Dans cet arrêt du 13 septembre 2023, la Cour de cassation affirme que la prescription du droit à congé payé ne commence à courir que lorsque l’employeur a mis son salarié en mesure d’exercer celui-ci en temps utile.
1) Faits et procédure (pourvois n°22-10.529 et 22-11.106).
Madame G a collaboré au sein de l’Institut des métiers du notariat devenu l’Institut national des formations notariales (INFN).
La relation contractuelle a été rompue par lettre du 20 juin 2018.
S’estimant liée avec l’Institut par un contrat de travail, l’intéressée a saisi, le 28 septembre 2018, la juridiction prud’homale de diverses demandes à caractère salarial et indemnitaire.
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans un arrêt du 26 novembre 2021, a débouté Madame G de sa demande en paiement de l’indemnité financière correspondant aux congés payés pour les périodes de référence 2005-2006 à 2014-2015 inclus, au motif que l’action en paiement de l’indemnité de congés payés était soumise à la prescription triennale, applicable aux salaires.
L’INFN et Madame G ont formé un pourvoi contre cet arrêt.
2) Moyens.
Madame G fait grief à l’arrêt de limiter à une certaine somme la condamnation de l’employeur au titre des congés payés pour les périodes 2015-2016 et 2016-2017 et de la débouter de ses demandes en paiement des indemnités de congés payés pour les périodes de référence 2005-2006 à 2014-2015, alors que :
- le salarié tire son droit aux congés payés directement de l’article 31 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne et de l’article 7 de la Directive 2003/88 de l’Union Européenne ;
- la CJUE a dit pour droit que ces dispositions s’opposent à ce que puisse être opposé au salarié l’extinction de son droit aux congés payés dès lors que l’employeur n’établit pas avoir tout mis en œuvre pour mettre le salarié en mesure d’exercer ses droits aux congés payés, que dans le cas où la relation de travail a pris fin, le droit aux congés payés acquis par le salarié mais non pris du fait de l’employeur prend la forme d’une indemnité financière de congés payés.
3) Solution.
La chambre sociale casse et annule l’arrêt de la cour d’appel en ce qu’il a limité la condamnation de l’INFN au paiement de rappels d’indemnité de congé payé pour les années 2015/2016 à 2016/2018.
La Cour de cassation rappelle que selon jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne le droit européen s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle le droit au congé annuel payé acquis par un travailleur au titre d’une période de référence est prescrit à l’issue d’un délai de trois ans qui commence à courir à la fin de l’année au cours de laquelle ce droit est né, lorsque l’employeur n’a pas effectivement mis le travailleur en mesure d’exercer ce droit.
En conséquence :
« Il y a donc lieu de juger désormais que, lorsque l’employeur oppose la fin de non-recevoir tirée de la prescription, le point de départ du délai de prescription de l’indemnité de congés payés doit être fixé à l’expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris dès lors que l’employeur justifie avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement afin d’assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé ».
IV- Analyse.
L’article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, prévoit que :
« 1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales.
2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail ».
Le délai de transposition de la directive 2003/88/CE, qui codifie la directive 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993 dont le délai de transposition expirait le 23 novembre 1996, a expiré lui-même le 23 mars 2005.
Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne [1] que la directive doit être interprétée en ce sens que :
- Elle fait obstacle à ce que les États membres limitent unilatéralement le droit au congé annuel payé conféré à tous les travailleurs, en appliquant une condition d’ouverture dudit droit qui a pour effet d’exclure certains travailleurs du bénéfice de ce dernier ;
- Elle s’oppose à des dispositions ou à des pratiques nationales qui prévoient que le droit au congé annuel payé est subordonné à une période de travail effectif minimale pendant la période de référence.
Cette directive n’est toutefois pas invocable dans un litige entre particuliers [2].
Elle produit effet uniquement à l’égard des employeurs de droit public ou assimilés. Les salariés de ces employeurs peuvent donc s’en prévaloir [3].
En revanche, depuis le traité de Lisbonne entré en vigueur en décembre 2009, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne a la même valeur juridique que les traités de l’Union européenne.
La charte peut donc être invoquée dans un litige entre particuliers.
Or, le droit au congé payé est consacré par l’article 31 paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui prévoit que :
« Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés ».
La France a déjà été sanctionnée à plusieurs reprises par la Cour de Justice de l’Union Européenne en raison de la non-conformité de sa législation relative aux congés payés vis-à-vis du droit européen.
La Cour de cassation, quant à elle, a suggéré à de nombreuses reprises au législateur de mettre le droit français en conformité avec le droit européen, au sein de ses rapports annuels.
Le 13 avril 2023 (n°21-23.054), la Cour de cassation avait déjà écarté les dispositions françaises contraires à la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, dans un litige opposant un salarié à un employeur assimilé à un organe étatique. La chambre sociale avait alors considéré que le salarié avait droit à des congés payés d’au moins quatre semaines du seul fait de sa qualité de travailleur, peu important qu’il ait été absent à raison d’un arrêt de travail pour maladie.
Ainsi, la Cour de cassation assume pleinement son rôle de juge de droit commun de l’application du droit de l’Union européenne, chargé de veiller à l’application des conventions internationales [4].
Cette série d’arrêt du 13 septembre 2023 laisse toutefois de nombreuses questions sans réponses.
Ce véritable bouleversement au cœur du droit du travail français n’est donc pas terminé.
Sources.
Communiqué de la Cour de cassation : Congé payé et droit de l’Union européenne
C. cass. 13 septembre 2023, n° 22-17.340
C. cass. 13 septembre 2023, n° 22-17.638
C. cass. 13 septembre 2023, n° 22-10.529
Discussions en cours :
Bonjour Maitre , je travaille dans une société étrangère basée en France .
Je suis en C.D.I. , combien de jours est mon congés annuel ?
Bien à vous .
Bonjour
Vous avez droit à 30 jours ouvrables de congés payés
Bien à vous
Bonjour Maître,
Suite à la décision de la cour de cassation du 13 septembre 2023, est ce que les fonctionnaires sont aussi concernés et peuvent-ils aussi avoir droit à des congés payés sur les périodes liées à une maladie ?
Le terme "les salariés" inclut-il les fonctionnaires ?
D’avance merci pour votre réponse