Notre système juridico-judiciaire contient donc à la fois des textes et des décisions exécutoires appliqués à chaque espèce avec souvent des modalités d’application explicites : l’avantage est sans nul doute un souci accru de compréhension, voire d’intelligibilité de la décision rendue directement transposable dans le quotidien des parents (les décisions s’orientent de plus en plus vers une précision pratico-pratique laissant entrevoir, ce que nous percevons tous ès qualité, le besoin d’assistance et d’accompagnement pas-à-pas des parents face aux tensions post séparation).
Alors pourquoi songer que l’autorité parentale conjointe (APC) par des parents séparés serait un fantasme si nos décisions les fixent avec des détails si parfaitement applicables ?
La réponse, valable dans d’autres domaines, est-ce que pour s’assurer de l’effectivité d’une règle une sanction doit exister : quid des sanctions en cas de non respect ?
De prime abord, les parents peuvent être rassurés, des sanctions pénales existent :
- en cas de non-présentation d’enfant, c’est un délit passible d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 15 000 euros,
- en cas de manquement à l’information de communiquer la nouvelle adresse dans le mois qui suit le déménagement, c’est un délit passible de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende,
- en cas de non-paiement de pension alimentaire, c’est un délit passible de deux ans d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
L’ordre public s’érige ainsi en garant des règles les plus importantes et élémentaires : le droit de voir son enfant et le devoir de contribuer financièrement à son entretien.
À observer que le délit en cas de non-information du changement d’adresse protège aussi le droit de visite et d’hébergement, par exemple, le départ précipité d’un parent dans une région éloignée pour évincer les droits de l’autre.
Le Code civil, socle de l’APC (Autorité parentale conjointe), fixe-t-il expressément des sanctions ?
Il y a là tout l’enjeu lors de la séparation des parents, thématique spécifiquement consacrée dans un paragraphe dudit code [1].
Le principe est clairement posé "chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant et respecter les liens de celui-ci avec l’autre parent".
La puissance de ce principe, salué de tous, est renforcé par la possibilité à titre exceptionnel de saisir le Procureur de la république pour requérir le concours de la force publique pour faire exécuter une décision du juge aux affaires familiales [2].
Le parent qui ne peut maintenir un lien avec son enfant par obstruction délibérée de l’autre parent peut donc saisir le Procureur pour forcer l’autre ; celui qui est totalement exclu de la vie de son enfant sur les décisions importantes peut donc frapper à la porte du Procureur et obtenir le concours de la force publique pour que ce soit respecter.
La théorie nous éloigne de la réalité pratique : l’action étant "à titre exceptionnel" limite de facto l’illusion de sa mise en pratique.
En tout état de cause, cette possibilité relève du mirage : d’une part, les désaccords entre parents séparés sont bien trop fréquents pour que la force publique puisse intervenir pour chacun de ces cas, sauf à créer une catégorie spécifique de force de l’ordre à cet effet, inimaginable en l’état, et d’autre part une telle intervention revêt une violence intrinsèque inadaptée à mon sens au but recherché : le leitmotiv étant l’intérêt de l’enfant et sa sérénité.
Cette sanction codifiée du recours à la force publique est donc rassurante par son existence, mais exceptionnelle.
Alors les droits et devoirs de l’APC sont une chimère pour des parents séparés ?
Impensable, d’autant plus que le Code civil s’évertue à maintenir des droits au parent déchu de l’APC :
"le parent qui n’a pas l’exercice de l’autorité parentale conserve le droit et le devoir de surveiller l’entretien et l’éducation de l’enfant. Il doit être informé des choix importants relatifs à la vie de ce dernier" [3].
Ainsi détenteur de l’APC ou déchu, ces droits et ces devoirs de veiller à l’enfant sont bel et bien gravés dans le marbre légal.
Pour autant le Code civil, dans ce même paragraphe consacré aux parents séparés, ne fixent pas de sanction à l’instar du Code pénal.
Alors l’illusion d’une sanction en cas de non-respect tombe ? Alors le parent agissant en violation desdites règles est impuni ?
Que nenni : les droits du parent non respectés ne sont pas mis en sommeil ni étouffés par l’autre.
Le juge aux affaires familiales est le garant du respect : il peut sous couvert de l’article 373-2-6 du Code civil, ordonner d’office une astreinte pour assurer l’exécution de sa décision (et même assortir d’une astreinte la décision rendue par un autre juge si les circonstances en font apparaître la nécessité).
L’astreinte est une contrainte, elle oblige et réveille pour reprendre de façon forcée le chemin du respect de la décision. En outre, elle doit éviter toute envie de récidive pour le parent irrespectueux. Le rêve pour certains d’évincer l’autre parent abdique face à la réalité du porte-monnaie.
De plus, le juge aux affaires familiales garantie "la continuité et l’effectivité du maintien des liens de l’enfant avec chacun de ses parents" [4], pourtant il statue en tenant compte de "l’aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et respecter les droits de l’autre" [5] : la nébulosité que peuvent ressentir les parents démis malgré eux est ainsi éradicable. Là réside la vraie sanction : saisir le juge aux affaires familiales en prouvant le non-respect par l’autre parent et obtenir une décision pouvant alors conduire à un transfert de résidence de l’enfant à son domicile, à un lieu neutre, voire à une demande de droits réservés.
Ce faisant, le parent impertinent est sanctionnable civilement : financièrement par l’astreinte et affectivement par l’amoindrissement de ses propres droits par effet boomerang.
Enfin, le parent supplanté et souvent dépité peut saisir le juge des enfants considérant que l’entrave qu’il subit a des répercussions sur l’équilibre et le bien-être de son enfant et solliciter dudit juge toutes mesures idoines, contraignantes pour certaines à l’égard du parent irrespectueux. La rêverie momentanée du parent qui a cru pouvoir agir seul se trouvera de facto abrégée par l’obligation qui lui sera faite de rendre des comptes, toujours dérangeant et dont l’effet sur son éventuel souhait de perdurer dans ce schéma sera fort probablement salutaire.
Ce n’est donc pas une fiction, il n’y a aucune raison de s’absoudre à cette violation des droits parentaux en cas de séparation : la Justice garante des droits et des devoirs annihile l’idée de fantasme, trop souvent présente dans l’esprit du parent injustement évincé.