Extrait de : Droit européen et international

Loi applicable à la dissolution du lien conjugal « franco-marocain ou marocain ».

Par Nisrine Ez-Zahoud, Avocat

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Explorer : # conflit de lois # divorce international # droit marocain # convention franco-marocaine

Ce nouvel article sur la loi applicable au divorce d’un couple franco-marocain ou marocain sera soit une « piqûre » de rappel ou soit une réelle information… Peu importe le cas de figure, l’objectif est d’assurer une meilleure application de la Convention franco-marocaine du 10 août 1981 dans l’intérêt du justiciable !

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La solution du conflit de lois, en d’autres termes la détermination du droit à appliquer à la solution du litige [ici le divorce et le cas particulier du divorce franco-marocain / marocain] peut être parfois épineuse… Appliquer une loi étrangère quand on en ignore le contenu n’est pas toujours chose aisé ! Se retrancher derrière le droit français que nous maîtrisons mieux (normalement…sourires…), ou parce qu’il est plus avantageux pour notre client, est souvent très tentant… cependant agir de la sorte n’est pas rendre service aux justiciables, au contraire... !

Des avis que j’ai pu recueillir sur la question, il en ressort le constat suivant qui est de dire que nombreux sont les confrères qui éludent purement et simplement l’élément d’extranéité que présente leur dossier…soit par méconnaissance de la règle (la Convention franco-marocaine du 10 août 1981), soit parce qu’ils considèrent le droit marocain contraire à l’OPI français nonobstant la réforme intervenue en 2004.

Dans ces circonstances, j’évoquerai d’abord le principe existant en la matière, pour ensuite en faire une illustration, et tenter in fine d’expliquer en quoi l’application de la “mauvaise loi”, au divorce d’un couple marocain, est préjudiciable pour celui-ci.

Ce présent article ne portera donc que sur la loi applicable à la dissolution du lien conjugal franco-marocain… j’aurai tout le loisir à l’occasion d’autres articles de revenir sur les différents cas de divorces en droit marocain, les nouveautés du Nouveau code de la famille entrée en vigueur le 5 février 2004, ou encore l’impact de ce Nouveau Code et de montrer (sur le fondement de la jurisprudence et de la doctrine connues à ce jour) que les dispositions du Nouveau code marocain en matière familiale ne semblent plus être contraires à l’OPI français… à une exception !

Dans l’attente de ces prochaines indications, voyons les règles de conflits de lois – française et marocaine – en matière de divorce.


I- Mise en évidence du Principe :

En droit français, c’est l’article 309 du Code civil qui pose la règle de conflit de lois en matière de divorce :


« Le divorce et la séparation de corps sont régis par la loi française :

• Lorsque l’un et l’autre des époux sont de nationalité française ;

• Lorsque les époux ont, l’un et l’autre, leur domicile sur le territoire français,

• Lorsqu’aucune loi étrangère ne se reconnaît compétence alors que les tribunaux sont compétents pour connaître de la procédure de divorce ou de séparation de corps. »

En droit marocain, c’est à l’article 9 de la Convention franco-marocaine du 10 août 1981 entrée en vigueur le 13 mai 1983, que l’on retrouvera cette règle :

« La dissolution du mariage est prononcée selon la loi de celui des deux Etats dont les époux ont tous deux la nationalité à la date de la présentation de la demande.

Si à la date de la présentation de la demande, l’un des époux a la nationalité de l’un des deux Etats et le second celle de l’autre, la dissolution du mariage est prononcée selon la loi de l’Etat sur le territoire duquel les époux ont leur domicile commun ou avaient leur dernier domicile commun ».

Sur la base de la règle de conflit de lois française, en l’absence de nationalité française commune des époux et en application de l’alinéa second de l’article 309 du Code civil : la loi française s’applique sans nul doute possible au divorce de deux époux étrangers de même nationalité et ayant leur domicile en France. La loi française du domicile commun des époux prévaut donc devant le juge français, sur la loi de la nationalité commune des époux.

Toutefois, en présence d’une convention bilatérale qui prévoit une règle de conflit de lois en la matière, celle-ci écarte sans discussion possible l’application de l’article 309 du Code civil.

C’est ainsi que, dans les divorces impliquant un époux marocain ou les deux étant marocain, il faudra faire application de la convention bilatérale existante, à savoir :

- La Convention franco-marocaine du 10 août 1981 entrée en vigueur le 13 mai 1983 relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire.

Cette convention neutralise l’article 309 du Code civil en permettant à des couples marocains et domiciliés en France, de se voir appliquer leur loi nationale, plutôt que la loi française de leur domicile commun désignée par la règle de conflit de lois prévue à l’article 309, alinéa 2.


II- Mise en pratique de ce Principe :

1- Le couple de nationalité marocaine

Dans l’hypothèse où les époux sont tous les deux de nationalité marocaine et que les juridictions françaises sont saisies :

- le juge français est compétent sans nul doute et il a pour obligation d’appliquer d’office sa règle de conflit de lois, car il sera en présence d’un élément d’extranéité : la nationalité marocaine des époux.

Note : Ce principe – de l’application d’office de la règle de conflit de lois – est rappelé de manière constante par la Cour de cassation. Il est de la responsabilité du magistrat de soulever d’office l’application de la loi étrangère dès lors qu’elle ressort des pièces de la procédure. Il se doit également de rechercher la teneur du droit étranger, avec l’aide des parties éventuellement (les époux pourront produire un Certificat de coutume qu’ils auront obtenu auprès du service compétent du Consulat du Maroc dans lequel ils sont immatriculés). Contrairement donc à ce qui peut être pensé, ce n’est pas aux parties d’apporter la preuve du contenu du droit étranger (Cass.1er civ. 1er juillet 1997 Driss Abbou (RC.DIP 1998, p. 60, note Mayer, Bull. n° 222 p. 148). Quant aux avocats leur responsabilité est également très importante… n’avons-nous pas connaissance de l’élément d’extranéité avant le Juge !?

L’article 9 alinéa 1er de la convention franco-marocaine dispose de manière claire et non équivoque que « la dissolution du mariage est prononcée selon la loi de celui des deux Etats dont les époux ont tous deux la nationalité à la date de la présentation de la demande ».

Par conséquent, la loi marocaine devra être appliquée et ce, même si elle est moins favorable aux époux !

Pour y faire obstacle, l’avocat pourra toujours soulever s’il l’estime nécessaire et fondée, l’exception d’ordre public international, afin de tempérer autant que faire ce peu les effets de la loi marocaine. Si aucune contrariété n’est avérée, la loi marocaine trouvera alors application ! Nous verrons par d’autres articles que la réforme du Code de la famille marocain rend cette possibilité plus rare… (Sur le fait d’écarter la loi marocaine car contraire à l’OPI français…).

2- Le couple franco-marocain

La convention franco-marocaine, qui est notre fil conducteur, prévoit en son article 9 alinéa 2 que « si à la date de la présentation de la demande, l’un des époux a la nationalité de l’un des deux Etats et le second celle de l’autre, la dissolution du mariage est prononcée selon la loi de l’Etat sur le territoire duquel les époux ont leur domicile commun ou avaient leur dernier domicile commun ».

Pour notre couple franco-marocain, le divorce sera donc prononcé soit en application de la loi du dernier domicile commun des époux soit de la loi de l’Etat où les époux avaient leur dernier domicile commun.

Cette règle conventionnelle prime là aussi sur la règle hiérarchisée de l’article 309 du Code civil.

Cela étant, soulignons que la Convention franco-marocaine n’est pas en contradiction avec la règle posée par l’article 309 du Code civil. Elle repose sur des règles de conflits bilatérales.

= Dès lors, pour un couple franco-marocain ayant son domicile commun ou avait son dernier domicile commun en France, seule la loi française s’applique.

Ces deux cas d’application de la loi marocaine, que je viens d’énoncer, ne sont pas compliqués en soi. Il faudra d’abord relever l’élément d’extranéité, puis rechercher s’il existe une convention : avec le Maroc il y en a une… Il faudra ensuite faire application de la Convention franco-marocaine pour appliquer le code de la famille marocain si besoin en est (cas du couple marocain). A ce moment là, il faudra être vigilant et veiller à viser et appliquer le bon texte du code marocain fondant le divorce demandé…

Attention à ne pas invoquer un divorce pour l’époux, alors qu’il n’est ouvert qu’à la seule épouse… (Exemple : Sans pour autant être contraire à l’OPI français, le Divorce pour faute en droit marocain ne peut être invoqué que par l’épouse…Il n’est pas contraire à l’OPI français car il existe pour l’époux, d’autres formes de dissolution du lien matrimonial qui lui sont possibles ! C’est ainsi qu’il en a été jugé par la Cour de Cassation).

Dans le cas d’une non-application de la loi marocain au divorce d’un couple marocain, celui-ci peut et va rencontrer des difficultés a posteriori …

3- Les situations « boiteuses »

Ces situations peuvent apparaitre en cas de la non-application de la Convention franco-marocaine de 1981 à un couple marocain….

Le juge français doit garder à l’esprit que c’est également à la lumière des principes du DIP et de la législation marocaine, que son homologue marocain donnera ou non effets aux décisions qu’il aura rendues en application du nouveau droit marocain.

Exemple  : Le Juge aux Affaires familiales du TGI de Lille, est saisi d’une requête en divorce. Il s’agit d’un couple marocain sans aucune demande de naturalisation en cours.

Si la procédure est régie par la loi du For, il en va autrement pour le prononcé du divorce. Le Juge devra faire application d’office de la Convention franco-marocaine du 10 août 1981 relative aux statuts des personnes et son article 9 alinéa 1er en particulier, lequel dispose (comme il a été rappelé) que « La dissolution du mariage est prononcée selon la loi de celui des deux Etats dont les époux ont tous deux la nationalité à la date de la présentation de la demande ».

Si le Juge lillois n’applique pas cette Convention et prononce le divorce du couple marocain en application de la loi française… notre couple marocain se trouvera dans une situation « boiteuse ». Je m’explique…

Le divorce de ressortissants marocains prononcé, par un Tribunal Français n’est reconnu au Maroc, que si l’Exequatur du Jugement de divorce a été demandé et obtenu. Pour cela, l’un des ex-époux doit nécessairement saisir, le Tribunal de Première Instance compétent, et engager une procédure d’Exequatur (il en communiquera ensuite une copie à l’autre…).

La saisine est une chose…la reconnaissance et l’exequatur en est une autre…

Si le Jugement de divorce français a eu pour fondement les articles du Code civil français pour le prononcé du divorce d’un couple marocain : l’exequatur ne sera pas accordé !

Notre couple marocain est donc dans une situation de blocage : divorcé en France – marié au Maroc. Le Jugement français étant devenu définitif, il devra sans aucune autre issue possible, saisir les autorités judiciaires marocaines d’une nouvelle demande de divorce. Est-ce là, la meilleure solution… ?

Dans l’intérêt donc, essentiellement des justiciables concernés, le Professionnel ne peut pas se désintéresser de cet aspect et doit être vigilant.

Cette précision étant faite… la loi marocaine est finalement applicable dans deux hypothèses par le Juge aux affaires familiales français :

- Soit les époux ont tous les deux la nationalité marocaine,

- Soit les époux [dont l’un est français et l’autre marocain] ont ou avaient leur domicile commun en France (mais dans ce dernier cas, sans aucune incidence sur l’application de la loi française).

J’espère que ces précisions ou simples rappels vous seront utiles… ou au moins seront pour vous une référence sûre en cas de doute…

Nisrine EZ-ZAHOUD
Avocat au Barreau de Lille
nisrine.ezz chez gmail.com

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