Prohibition catégorique de la répudiation : la Cour de cassation est intransigeante.

Par Nisrine Ez-Zahoud, Avocat.

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Explorer : # répudiation # Égalité des époux # ordre public international # divorce

Le principe de la Haute Juridiction est sans appel « la décision, qui constate la répudiation unilatérale par le mari sans donner d’effet juridique à l’opposition éventuelle de la femme, était contraire au principe d’égalité entre époux lors de la dissolution du mariage, énoncé par l’article 5 du protocole 7 du 22 novembre 1984, additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, que la France s’est engagée à garantir à toute personne relevant de sa juridiction, et donc à la conception française de l’ordre public international »

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Un rapide rappel de la position de la Haute Juridiction semble s’imposer…

Pour mémoire et/ou pour information, par cinq arrêts de 2004, d’une importance considérable, la Cour de cassation affirmait avec fermeté la contrariété au principe d’égalité des époux et à l’ordre public international de la répudiation unilatérale et discrétionnaire par le mari de son épouse dès lors que la femme répudiée était domiciliée sur le territoire français (Civ. 1re, 17 févr. 2004).

Deux de ces arrêts de principes concernaient des répudiations marocaines en application de l’ancienne Moudawanna.

Plus récemment, par deux arrêts, du 4 novembre 2009, la première Chambre civile de la Cour de cassation confrontait certaines dispositions du nouveau Code de la famille marocain en matière de divorce à l’ordre public international.

Seule la première affaire (pourvoi n° 08-20.574) retiendra notre attention, puisque à nouveau, la Haute Juridiction a été saisie et confrontée à la fâcheuse et épineuse question de la « Répudiation » qui a du mal à s’effacer des mœurs, bien qu’il y ait eu une certaine atténuation en la matière.

La Cour de cassation estime donc que le jugement marocain de divorce de deux époux marocains domiciliés en France, rendu en application des dispositions du nouveau Code marocain de la famille relatives au « divorce sous contrôle judiciaire » est contraire au principe d’égalité des époux énoncé par l’article 5 du Protocole n° 7 additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme et donc à l’ordre public international.

L’intérêt de cette décision (du 4 novembre 2009) est qu’elle est ici rendue en application du nouveau Code marocain de la famille.

Promulgué le 4 février 2004, le Code de la famille marocain, a conservé le talaq appelé désormais « divorce sous contrôle judiciaire », qui permet au mari de mettre fin au mariage par sa seule volonté. L’exercice de ce droit est conditionné par l’obtention d’une autorisation du tribunal, destinée à permettre à la femme d’être entendue et de garantir ses droits ainsi que ceux des enfants. Malgré une procédure marocaine plus rigoureuse, la Cour de cassation estime ces garanties insuffisantes car elles méconnaissent le principe d’égalité des époux et sont donc contraires à l’ordre public international. Ceci bien que l’autorisation de dresser l’acte n’est délivrée qu’après la consignation au secrétariat-greffe par le mari de la somme, fixée par le tribunal, couvrant les droits de l’épouse.

Si la promulgation de ce Code fut une révolution au Maroc, pays de droit musulman, la Haute Juridiction française n’adhère pourtant pas au divorce sous contrôle judiciaire, qui reste au sens du droit français assimilé à une répudiation malgré l’effort du législateur marocain s’agissant de l’encadrement au niveau de la procédure.

Ceci rappelé, le principe est sans appel et restera à mon sens, sans appel pour l’avenir « la décision, qui constate la répudiation unilatérale par le mari sans donner d’effet juridique à l’opposition éventuelle de la femme, était contraire au principe d’égalité entre époux lors de la dissolution du mariage, énoncé par l’article 5 du protocole 7 du 22 novembre 1984, additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, que la France s’est engagée à garantir à toute personne relevant de sa juridiction, et donc à la conception française de l’ordre public international s’agissant d’époux qui y étaient domiciliés »

C’est donc en ce sens que par deux arrêts récents rendus le 23 Octobre 2013 [1] la Cour de cassation fidèle et sans la ligné de sa jurisprudence depuis 1994, a refusé la reconnaissance de décisions l’une algérienne et l’autre marocaine, qui constataient la répudiation unilatérale par les maris.

Ces messieurs n’ont pas encore compris qu’il ne servait strictement à rien de s’empresser de se rendre devant le Juge de son pays d’origine pour y obtenir une décision en fraude aux droits de l’épouse : elle n’aura aucun effet en France ! Si pour certains l’intention frauduleuse est manifeste, pour d’autres c’est en toute bonne foi qu’ils saisiront le Juge de leur pays d’origine, en l’état gardons le cas de la saisine du juge marocain, l’expérience de ce contentieux me fait dire que cette seconde catégorie ne fait pas la majorité (malheureusement…).

In fine la procédure de divorce devra à nouveau être initiée en France. De fait, l’effet escompté à savoir, rapidité et gain de l’indemnité éventuelle à verser à l’épouse, n’aura pas été obtenu. Tout sera à refaire en France.

Attention, le principe doit être bien compris, ce qui est reproché n’est pas la saisine du Juge marocain mais bel et bien la procédure choisie et comment celle-ci est instrumentée.

Une récente et agréable consultation en Cabinet, me conduit à terminer mon propos en prenant l’exemple du divorce marocain pour discorde dit « CHIQAQ » (non contraire à l’ordre public français) qui est aujourd’hui le plus utilisé au Maroc. Par ce divorce, le justiciable est assuré d’obtenir l’exequatur de la décision marocaine en France, mais encore faut-il que la procédure soit poursuivie de manière régulière, c’est-à-dire que l’épouse soit régulièrement citée (à la dernière adresse et non à l’adresse de ses parents au Maroc), qu’elle est représentée par un avocat, que l’ensemble des débats se soient fait de manière contradictoire, que les droits de chacune des parties soient préservés et en particulier ceux de l’épouse.

Je termine sur ce propos et espère que ces éclaircissements puissent vous être un support à toute réflexion.

Nisrine EZ-ZAHOUD
Avocat au Barreau de Lille
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Notes de l'article:

[1Arrêt 1ere Ch. civ. pourvoi n°12-25.802 et 12-21.344

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