Un sujet proposé par la Rédaction du Village de la Justice

Les actions de groupe et les actions collectives.

Par Nejma Labidi, Avocat.

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Explorer : # actions collectives # actions de groupe # indemnisation des victimes # réforme juridique

La possibilité pour plusieurs personnes physiques ou morales, mues par un intérêt commun, d’agir collectivement, par l’intermédiaire d’une plainte collective, ou d’une procédure judiciaire dans le cadre d’une action civile « collective », est issue de la pratique, faute d’avoir été prévue par des textes spécifiques.

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I. L’action collective ou commune.

La plainte pénale collective ou commune, rédigée et adressée par l’avocat au Procureur ou au Doyen des juges d’instruction dans le cadre d’une plainte avec constitution de partie civile, consiste à saisir le Parquet ou un juge d’instruction des doléances de plusieurs justiciables victimes des mêmes infractions pénales, imputables aux mêmes personnes, afin de solliciter de la justice qu’elle enquête sur ces faits, puis, s’ils s’avèrent constitués, qu’un procès pénal se tienne afin que les mis en causes puissent être condamnés, et les victimes indemnisées si l’infraction est constituée.

L’action collective ou « commune » en justice, qui tend à atteindre des objectifs communs, est gérée par un seul avocat. Il s’agit d’une défense groupée, où plusieurs procédures individuelles sont déclenchées en même temps, parfois devant différends tribunaux, ou alors d’une seule procédure regroupant plusieurs demandeurs, parfois plusieurs centaines, devant un seul tribunal.

Dans le premier cas, il y a presque autant de procédures que de plaignants, et chaque plaignant agit de manière autonome, avec les mêmes moyens juridiques, en développant des demandes propres pour l’indemnisation de ses préjudices. La définition de « contentieux massifs » est souvent employée pour définir ce cas de figure, en raison du volume d’affaires judiciaires qu’ils génèrent, pouvant parfois donner lieu à des jurisprudences divergentes.

Dans le second, une unique procédure, regroupant plusieurs demandeurs, est mise en œuvre par un avocat, afin de solliciter l’engagement de la responsabilité d’une personne juridique ayant commis les mêmes manquements à l’encontre des plaignants, notamment dans le cadre d’un contrat d’adhésion, tout en individualisant leurs préjudices.

Les actions collectives, qu’elles soient pénales, ou civiles, ont permis à de nombreux justiciables d’obtenir gain de cause, dans le cadre des crédits à la consommation en francs suisses, dans l’affaire du Médiator, dans des affaires mettant en cause la responsabilité de banques, ou d’assurances.

II. La Consécration de l’action de groupe.

L’action de groupe est une action en justice intentée par une association de défense, généralement des consommateurs, dans le but d’obtenir la réparation de pratiques anticoncurrentielles ou de préjudices individuels patrimoniaux résultant des dommages matériels subis par des consommateurs placés dans une situation similaire ou identique.

L’action de groupe a fait son entrée en droit français avec la Loi dite « Hamon », du 17 mars 2014 relative à la consommation. Auparavant, le Code de la consommation connaissait l’action en représentation conjointe, qui permettait à une association de consommateurs agréée d’agir en réparation au nom de ces consommateurs.

Initialement réservées aux consommateurs victimes placés dans des situations similaires en conflit avec des professionnels ayant méconnu leurs obligations légales ou contractuelles, les actions de groupe ont été étendues aux domaines de la concurrence, de la santé (2016), de l’environnement, des discriminations, des données personnelles (2018) et des locations immobilières (loi ELAN de 2018) par quatre lois en cinq ans.

Les personnes morales, et en particulier les PME, qui n’ont pas la qualité de consommateurs, sont donc évincées de ce dispositif alors qu’elles sont parfois victimes de pratiques de professionnels (non-respect des délais de paiement, etc).

Seule une association de défense de consommateurs agréé au niveau national pourra mener l’action (il en existe 16 à ce jour), sauf pour les domaines où d’autres acteurs sont agréés (ex : organisations syndicales de salariés représentatives en cas de discrimination fondée sur un motif de l’article L1132-1 du Code du travail…).

1. Le régime des actions de groupe.

Le régime des actions diverge de façon importante selon la matière considérée s’agissant des actions de groupe en droit de la consommation et de la concurrence (1) et des actions de groupe dans les autres domaines (2).

1.1. Régime des actions de groupe en droit de la consommation et de la concurrence.

1. Dans la procédure « normale », deux phases se succèdent devant le Tribunal Judiciaire (TJ).

La première phase est à l’initiative de l’association de défense des consommateurs, dont l’assignation doit exposer expressément les cas individuels présentés au soutien de son action. Au terme de cette phase, un jugement statue sur la responsabilité du professionnel et précise les critères d’indemnisation. Le juge devra constater la réunion des conditions de recevabilité, statuer sur la responsabilité du professionnel, définir le groupe des victimes et les critères de rattachement, déterminer les préjudices réparables et leur montant, ordonner aux frais du professionnel les mesures de publicité, fixer les délais et les modalités d’adhésion au groupe.

Puis, vient la phase d’indemnisation après l’épuisement des voies de recours.

Informés, les consommateurs lésés peuvent adhérer au groupe conformément aux prescriptions du juge. Le professionnel procédera à l’indemnisation des préjudices conformément aux conditions, limites et délais fixés par le jugement. Les demandes insatisfaites sont portées devant le TJ, le professionnel pouvant alors faire valoir ses arguments de défense.

2. La procédure « simplifiée » suppose que le nombre et l’identité des consommateurs qui ont subi un préjudice identique soient connus grâce à des fichiers clients (téléphonie mobile, vente à distance, établissements de crédit). Dans un même jugement, le juge statue alors sur la responsabilité du professionnel et le condamne à indemniser directement et individuellement les victimes.

3. S’agissant des préjudices indemnisés, ils relèvent des domaines de la consommation et de la concurrence. En effet, le préjudice réparable doit résulter du « manquement [de] professionnels à leurs obligations légales, relevant ou non du présent code, ou contractuelles à l’occasion de la vente de biens ou de la fourniture de services ainsi que dans le cadre de la location d’un bien immobilier ».

Sont également concernés les « préjudices [résultant] de pratiques anticoncurrentielles au sens du titre II du livre IV du Code de commerce ou des articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne », autrement dit ceux qui découlent d’ententes et d’abus de position dominante. Dans ces domaines, les préjudices réparables sont uniquement les « préjudices patrimoniaux résultant des dommages matériels subis par les consommateurs » ce qui exclut de l’action les préjudices extrapatrimoniaux - notamment les préjudices moraux - et les préjudices résultant d’un dommage non matériel - notamment les préjudices corporels - qui nécessitent une évaluation individualisée.

1.2. Régime des actions de groupe dans les autres domaines.

L’action de groupe issue du titre V de la loi du 18 novembre 2016 bénéficie d’un cadre général applicable devant le juge judiciaire, sous réserve des dispositions particulières prévues pour chaque action de groupe admise : santé (CSP, art. L1143-1 et s.) discriminations (L. n° 2008-496 du 27 mai 2008, art. 10.), discriminations au travail (C. trav., art. L1134-6 et s.), environnement ( C. envir., art. L142-3-1 et s.) , données personnelles numériques (L. n° 78-17 du 6 janv. 1978, art. 43 ter.) - qui déterminent les conditions de l’action et sa procédure.

En outre, l’action de groupe peut désormais être engagée devant le juge administratif.

Dans les secteurs visés, lorsque plusieurs personnes placées dans une situation similaire subissent un dommage causé par une même personne, ayant pour cause commune un manquement de même nature à ses obligations légales ou contractuelles, une action de groupe peut être exercée en justice, devant le TJ, au vu des cas individuels présentés par le demandeur.

Avant d’introduire une action de groupe, « la personne ayant qualité pour agir met en demeure celle à l’encontre de laquelle elle envisage d’agir par la voie de l’action de groupe de cesser ou de faire cesser le manquement ou de réparer les préjudices subis ».

L’action de groupe ne peut toutefois être introduite qu’à l’expiration d’un délai de quatre mois à compter de la réception de la mise en demeure, sauf en matière de santé, étant précisé que cette mise en demeure « suspend les délais de prescription ».

2. Un premier bilan révélant une application décevante.

Plus de huit ans après la consécration de l’action de groupe, les sombres pronostics élevés par le monde de l’entreprise (baisse de l’innovation, augmentation des coûts de l’assurance, impact négatif en termes de prise de risque…) ne se sont nullement réalisés.

Les décisions rendues en la matière se comptent sur les doigts d’une main, ou deux, et sont particulièrement décevantes. A ce jour, seule une action, en droit de la santé a été déclarée recevable, dans l’affaire dite de la Dépakine.

Comment expliquer un tel échec ?

Les explications avancées sont de deux ordres, d’une part, le fait que seules les associations agréées aient qualité à ester en justice, et d’autre part, un champ d’application beaucoup trop limité par les textes spécifiques épars, les régimes des actions variant selon la matière considérée.

En effet, il n’existe qu’une petite quinzaine d’associations de consommateurs représentatives au plan national et agréées, qui doivent changer de philosophie d’action et soumettre leurs critiques à l’appréciation de juge indépendants, tout en mettant en œuvre une organisation juridique et financière importante pour introduire et poursuivre l’action judiciaire.

La stratégie de défense des entreprises, qui consiste à transiger quand le nombre des consommateurs est faible et le coût de l’indemnisation « absorbable », et à faire durer les procédures pour réduire le groupe est dissuasive pour les associations contraintes de faire un effort financier très important (salariés, gestion, frais irrépétibles en cas d’action jugée irrecevable)

Le champ d’application de l’action de groupe était originellement trop restreint, avec une interprétation encore plus restrictive par la jurisprudence ayant jugé, s’agissant des actions de groupe « consommation », qu’une action de groupe portant sur un bail d’habitation n’entrait pas dans le Code de la consommation et devait obéir à des règles spécifiques qui n’existaient pas en l’état afin de juger l’action de groupe irrecevable, et de condamner l’association agréée à des frais irrépétibles de 15 000 euros. D’où l’extension par le législateur au domaine des baux d’habitation avec la loi Elan. Il est regrettable que le législateur ait cru devoir adopter de nombreux régimes spécifiques, plutôt qu’un régime général qui pourrait s’appliquer à toutes les hypothèses, puisque, si une matière échappe à l’avenir aux régimes spécifiques des actions de groupe de droit positif, il faudra qu’une réforme intervienne afin d’étendre le champ de l’action au nouveau besoin, entrainant lenteur, et inflation législative.

Le régime de l’action de groupe, en raison des nombreuses incertitudes de cette procédure, largement exploitées par les professionnels pour se défendre (fins de non-recevoir ou au fond : représentativité des cas individuels, critères de rattachement au groupe) reste donc largement à construire.

Si le périmètre de l’action de groupe a par la suite été étendu aux domaines de la santé, des discriminations, des données personnelles, de l’environnement et du logement par quatre lois en cinq ans, il n’est à ce stade pas encore possible de savoir si ces velléités de procédure déboucheront sur des indemnisations (ex : recours sur la problématique des données personnelles…) qui ne pourront en tout état de cause intervenir qu’après épuisement de toutes les voies de recours cassation incluse.

3. Pistes d’amélioration.

Première proposition d’amélioration : l’ouverture de l’action de groupe à la défense d’intérêts communs, ou à des conflits dits « de masse », sans distinction opérée selon les règles juridiques spécifiques des droits en présence, ce qui aurait évité des actions de se heurter à une irrecevabilité faute d’avoir été prévues par le texte.

Les intérêts des justiciables qui souhaitent agir collectivement pour avoir plus de poids devraient pouvoir être portés collectivement, sans qu’il soit nécessaire d’opérer une distinction selon les spécialités des règles juridiques en cause, puisqu’en l’absence de régime général, les règles spécifiques gouvernant chacune des actions prévues par catégorie juridique des droits s’imposent, conformément à l’adage « specialia generalibus derogant ».

Dès lors, et afin que le droit puisse évoluer en fonction des évolutions de la société et des besoins, il apparaitrait opportun que l’action de groupe puisse être exercée dans tous les domaines, dès lors qu’une homogéneité des droits permet un regroupement des demandes en justice pour faire cesser des pratiques ou obtenir réparation.

Convient-il de rappeler les mots prononcés par Portalis lors de l’édiction du Code civil de 1804 ?

« L’office de la loi est de fixer, par de grandes vues, les maximes générales du droit : d’établir des principes féconds en conséquences, et non de descendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière.
C’est au magistrat et au jurisconsulte, pénétrés de l’esprit général des lois, à en diriger l’application
 ».

Dès lors, la mise en œuvre d’un régime général de droit commun pour l’action de groupe apparaît indispensable.

Il conviendrait d’introduire l’action de groupe au sein du Code civil et du Code de procédure civile afin d’harmoniser les règles et de les rendre d’abord générales avant de prévoir des régimes spéciaux disséminés dans de multiples textes de loi et codes épars comme cela a été le cas, le système actuel mérite ainsi d’être largement repensé.

Ensuite, toutes les actions de groupe devraient prévoir la possibilité pour le juge d’ordonner tant des mesures visant tant à la réparation des préjudices, qu’à la cessation d’agissement illicites, alors que les régimes actuels prévoient, selon la catégorie juridique qu’ils concernent, des possibilités différentes.

De la même manière, et selon le principe de réparation intégrale des préjudices, tous les préjudices subis par les justiciables devraient pouvoir être indemnisés lors d’une action de groupe, sans les limiter à des catégories, afin de purger le contentieux tout en évitant la multiplication d’actions indemnitaires qui n’auraient pas été prévues par les textes.

En effet, dans le système actuel, certains postes de préjudices sont exclus de l’action de groupe, selon la matière considérée. Ainsi, seuls les préjudices corporels peuvent être indemnisés dans le cadre de l’action de groupe « santé », et seuls les préjudices matériels ont vocation à être indemnisés dans le cadre de l’action de groupe « consommation » alors que préjudices moraux en découlent souvent.

Il serait opportun de ne pas limiter l’office du juge, afin de lui laisser toute latitude pour mettre fin à des contentieux de masse, grâce à des jugements déclaratoires, ou des condamnations à des indemnisations forfaitaires par justiciables lésés, ou par compensation au profit d’un projet d’intérêt général.

Enfin, l’exclusion des personnes morales de ce dispositif, alors que les petites et moyennes entreprises se voient de plus en plus souvent imposer des contrats d’adhésion, sans qu’elles disposent des compétences et des outils nécessaires pour peser, ou subissent de très longs délais de paiement imposés par des grandes firmes, est regrettable.

L’adoption de la directive européenne 2020/1828 le 24 novembre 2020 tendant à imposer à l’ensemble des Etats membres de se doter d’un mécanisme d’action collective se rapprochant de celui de l’action de groupe, et permettant au consommateur de disposer d’un recours supplémentaire dans le cadre d’une action de groupe « transfrontalière » au champ d’application particulièrement vaste en cas de violation du droit de l’UE en plus du recours national n’apparait pas satisfaisante, puisqu’il ne semble pas qu’une telle action puisse être plus efficace au niveau européen qu’au niveau national conformément au principe de subsidiarité, selon lequel l’UE ne peut agir que si son action est plus efficace qu’au niveau national, et ne devrait pas bouleverser le droit existant, mais s’y surajouter.

L’avenir le dira, puisque les Etats membres ont jusqu’au 25 décembre 2022 pour transposer cette directive.

Rien ne justifie à ce jour de conserver des régimes juridiques spécifiques et épars selon la nature juridique des droits pouvant permettre une action de groupe, ni de maintenir le monopole des associations de consommateurs dans la mise en œuvre des actions de groupe en maintenant les avocats en dehors de ce dispositif, puisqu’il n’existe aucun risque que les dérives constatées outre Atlantique, qui ne sont dues qu’au système judiciaire américain, ne se produisent.

L’avocat est un auxiliaire de justice dont l’activité est réglementée par une déontologie, et un acteur central de la représentation en justice.

Alors que les actions de groupe n’ont produit aucunes avancées, à une exception très récente, les avocats ont au contraire su mettre en œuvre des actions collectives couronnées de succès, et sauront, dans ces conditions, contribuer largement à l’efficacité des actions de groupe, ce qui permettra en outre d’éviter l’engorgement des tribunaux par des contentieux massifs concernant les mêmes pratiques, et d’éviter les divergences de jurisprudence facteurs d’insécurité juridique et d’allongement des procédures dans l’attente de l’unification de la jurisprudence par la Cour de cassation.

Nejma Labidi
Avocat au Barreau de Paris

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