Télérecours : la justice administrative en mode 2.0.

Par Pierrick Gardien, Avocat.

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Explorer : # dématérialisation # justice administrative # télérecours # communication électronique

A l’instar des juridictions judiciaires (civiles et pénales), la juridiction administrative s’apprête à faire son big-bang technologique en s’engageant pleinement dans la voie de la dématérialisation.

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Le décret n° 2012-1437 du 21 décembre 2012 relatif à la communication électronique devant le Conseil d’Etat, les cours administratives d’appel et les tribunaux administratifs entérine ainsi dans le Code de Justice Administrative (CJA), la possibilité de la dématérialisation des échanges entre les parties par l’intermédiaire d’une nouvelle plateforme électronique de communication dénommée « Télérecours » (article 1 de l’arrêté du 12 mars 2013 relatif aux caractéristiques techniques de l’application permettant la communication électronique devant le Conseil d’Etat, les cours administratives d’appel et les tribunaux administratifs). Les spécificités techniques de cette plateforme ont été fixées par l’arrêté du 12 mars 2013.

Qu’en est-il concrètement de ce nouveau dispositif ?

1/ Entrée en vigueur de Télérecours

La nouvelle plateforme électronique de communication « Télérecours  » a été expérimentée pendant plusieurs années par le Conseil d’Etat et les juridictions administratives franciliennes en matière de contentieux d’assiette en matière fiscale.

Une nouvelle étape a d’ores et déjà été franchie avec la mise en service officielle de Télérecours :

- Pour le Conseil d’Etat, le 2 avril 2013 (article 1 de l’arrêté du 12 mars 2013 relatif à l’entrée en vigueur du décret relatif à la communication électronique devant le Conseil d’Etat, les cours administratives d’appel et les tribunaux administratifs et portant modification du code de justice administrative (partie réglementaire)) ;

- Pour certaines juridictions pilotes, le 3 juin 2013 (la CAA de Nancy et la CAA de Nantes, ainsi que les tribunaux administratifs de leur ressort [Besançon, Caen, Châlons-en-Champagne, Nancy, Nantes, Orléans, Rennes et Strasbourg]).

La généralisation de cette nouvelle procédure est prévue, à l’automne 2013, pour toutes les juridictions administratives de France métropolitaine (les CAA de Bordeaux, Douai, Lyon, Marseille, Paris et Versailles, ainsi que les tribunaux administratifs métropolitains de leur ressort).

La généralisation aux juridictions administratives d’outre-mer est prévue pour l’année 2015.

2/ Qui peut utiliser Télérecours ?

A compter de son entrée en vigueur, la plateforme électronique de communication avec la juridiction administrative « Télérecours » pourra être utilisée, pour l’envoi de requêtes, de mémoires et de pièces, ainsi que pour la réception des actes de procédures par (article R414-1 du CJA) :


- Les avocats,
- Les avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation,
- Les personnes morales de droit public,
- et les organismes de droit privé chargé de la gestion d’un service public (à titre d’exemple, les Caisses Primaires d’Assurance Maladie).

Bien entendu, les juridictions seront les premiers utilisateurs de ce nouvel outil, pour communiquer avec les parties enregistrées sur l’application.

Il convient de souligner, en la matière, que les justiciables non représentés (hors personnes morales de droit public et organismes de droit privé chargé de la gestion d’un service public), sont exclus du dispositif. Une ouverture de la plateforme à ces justiciables pourrait toutefois s’envisager dans le futur. 

On note par ailleurs que l’utilisation de Télérecours ne sera, dans un premier temps, qu’une simple possibilité pour les personnes susvisées. L’évolution probable du dispositif tend toutefois vers une obligation d’utilisation, à moyen terme. 

3/ Comment accéder à Télérecours ?

L’accès à la plateforme Télérecours s’effectue par internet :


- pour le Conseil d’Etat, depuis le site http://www.telerecours.conseil-etat.fr ;
- pour les cours administratives d’appel et les tribunaux administratifs, depuis le site http://www.telerecours.juradm.fr.

Cet accès nécessite une inscription préalable, qui s’effectue sur invitation de la juridiction administrative (les invitations sont envoyées par courrier postal, suivant le calendrier de mise en œuvre sus rappelé).

L’invitation faite par la juridiction administrative comporte un identifiant et un mot de passe provisoire dont la durée de validité est d’un mois. Pour procéder à son inscription, l’utilisateur saisit son identifiant et son mot de passe dans les rubriques prévues à cet effet sur la page d’inscription du site Télérecours. Il accède ainsi au formulaire d’inscription dans lequel il complète son identité et ses coordonnées et communique une adresse de messagerie électronique. Un courriel lui est alors adressé comportant un lien sécurisé vers le site de l’application Télérecours. Ce dernier lui permet de confirmer son inscription et de se voir attribuer de nouveaux identifiants définitifs (article 2 de l’arrêté du 12 mars 2013).

Il est toutefois prévu que les avocats adhérents au réseau privé virtuel des avocats (RPVA) peuvent s’inscrire directement à Télérecours en utilisant une procédure simplifiée (article 3 de l’arrêté du 12 mars 2013).

4/ Utilisation de Télérecours

a) Utilisation de Télérecours par les parties

Télérecours permet aux parties inscrites et identifiées, de déposer officiellement à la juridiction, de manière dématérialisée, toute pièce de procédure (requête, mémoire, etc.) et ses pièces jointes.

Les fichiers acceptés par l’application sont les fichiers aux formats PDF, DOC, DOCX, RTF, TIF, TIFF, JPG, JPEG et ODT (article 8 de l’arrêté du 12 mars 2013). Toutefois, tout fichier déposé sera automatiquement converti par Télérecours au format « Adobe PDF ».

Il convient de préciser que l’identification régulière sur la plateforme vaut signature électronique de la requête, du mémoire et des pièces déposés (articles R.414-2 et R.611-8-4 du CJA).

Télérecours est doté d’un système d’horodatage garantissant la date et l’heure de la mise à disposition d’un document dans l’application, ainsi que celles de sa première consultation par son destinataire. Ces dates et heures sont certifiées par l’envoi d’un message délivré automatiquement par l’application dans une boîte aux lettres applicative dédiée à la traçabilité des échanges dématérialisés. Celui-ci est accompagné de l’envoi d’un message électronique aux adresses électroniques communiquées par le destinataire lors de son inscription dans l’application Télérecours, sauf demande contraire de sa part (article 6 de l’arrêté du 12 mars 2013).

Par ailleurs, les parties inscrites et identifiées disposent d’une interface personnalisée sur la plateforme, qui recense l’ensemble de leurs dossiers en cours, et l’état de l’instruction de ces dossiers. Concrètement, les fonctionnalités de Sagace sont reprises par Télérecours. Il est dès lors possible de penser que l’évolution probable de Sagace tend vers une utilisation exclusive par les parties n’utilisant pas Télérecours dans un premier temps, et une disparition par absorption à moyen terme.  

b) Utilisation de Télérecours par les juridictions

Toute juridiction peut adresser par le moyen de Télérecours, à une partie ou à un mandataire, toutes les communications et notifications prévues par le Code de Justice Administrative (notification de jugements, demande de pièces, convocation à une audience, inscription d’une affaire au rôle, etc.) et l’inviter à produire ses mémoires et ses pièces par le même moyen (article R611-8-2 du CJA). 

Les parties ou leur mandataire sont réputés avoir reçu la communication ou la notification à la date de première consultation du document qui leur a été ainsi adressé, certifiée par l’accusé de réception délivré par l’application informatique, ou, à défaut de consultation dans un délai de huit jours à compter de la date de mise à disposition du document dans l’application, à l’issue de ce délai (même article).

Sauf demande contraire de leur part, les parties ou leur mandataire sont alertés de toute nouvelle communication ou notification par un message électronique envoyé à l’adresse choisie par eux (même article).

5/ Limites techniques de Télérecours

L’utilisation de la plateforme Télérecours requiert, à ce jour, la disposition d’un navigateur de type Internet Explorer (version 7 et supérieure) ou Mozilla Firefox (version 13 et supérieure) (article 7 de l’arrêté du 12 mars 2013).

Si Télérecours constitue un pas certain de la justice administrative vers la modernité, ceci témoigne toutefois d’un réel déphasage avec les usages actuels de l’informatique et ses dérivés. Ainsi, quid de l’utilisation de Télérecours sous Google Chrome, Opéra, Safari (Mac OS), sans parler de Linux ? Dans le même sens, quid de l’accessibilité mobile de la plateforme, sur tablettes ou smartphones ?

Si l’accessibilité de Télérecours sera très certainement améliorée dans le futur, après retour d’expérience, rien n’empêchait, à notre sens, d’effectuer un pas franc vers la modernité en offrant d’ores et déjà un accès large au dispositif, par tous supports.

Enfin, nous ne pouvons que relever la disposition relative à la taille maximale de chacun des fichiers pouvant être transmis via Télérecours, fixée actuellement à 32 Mo (article 8 de l’arrêté du 12 mars 2013). Si l’intention du pouvoir réglementaire se comprend aisément (limiter le poids des fichiers pour ne pas saturer les serveurs, et entrainer des dysfonctionnements), une telle limite doit toutefois être critiquée, dans la mesure où elle s’applique indistinctement à tous les contentieux. Or certains contentieux spécifiques, comme le contentieux de l’urbanisme, nécessitent des pièces volumineuses (que l’on pense aux dossiers de permis de construire, ou aux divers plans, au demeurant parfois concrètement impossibles à scanner). Imposer, a priori, une taille maximale, par fichier, de 32 Mo, pourrait ainsi s’avérer contre-productif pour la justice administrative, dans la mesure où l’utilisateur de Télérecours pourrait être amené à diminuer considérablement la qualité de l’image scannée, afin de respecter cette limite de poids. Le risque serait alors de perdre en lisibilité sur certaines pièces fondamentales, ce qui nuirait à l’instruction. Envisager une limite de taille maximale de fichiers plus haute pour certains contentieux spécifiques (urbanisme, ou même contrats publics), nous semble par conséquent d’ores et déjà pertinent, sous réserve de retours d’expérience.

***

Bien que tardive, au regard de l’état d’avancement des juridictions judiciaires sur ce plan, l’initiative « Télérecours » ne peut qu’être saluée. A notre sens, la mise en place de Télérecours ne pourra en effet qu’augmenter l’interactivité entre la juridiction administrative, et les justiciables (sur ce point, l’application Sagace, dont l’avenir semble désormais scellé, a clairement démontré ses limites). Par ailleurs, cette dématérialisation constitue une avancée écologique majeure, au regard de la volumétrie des écritures et pièces souvent produites devant la juridiction administrative (on peut toutefois regretter, en pratique, malgré les outils informatiques, une tendance généralisée à systématiquement imprimer compulsivement tout fichier dématérialisé). Il est également possible d’escompter un impact positif de ce nouvel outil sur les finances publiques (baisse des coûts de reprographie, d’affranchissement, et de stockage des fichiers volumineux). Enfin, il est indéniable que ces nouvelles modalités de communication allègeront le travail des greffes (l’un des derniers bastions d’utilisation du fax à ce jour), ce qui pourrait diminuer quelque peu les délais de jugement devant la juridiction administrative.

Ces avancées positives indéniables vont toutefois de pair avec un certain nombre de nouveaux risques, qui doivent être mentionnés. Ainsi, une confiance aveugle dans l’outil informatique (qui n’est pas propre à la justice administrative) pourrait être de nature à générer des risques en termes de conservation, de confidentialité, et surtout de sécurisation des données. On pense au risque de piratage du système (hacking) qui pourrait entraîner comme conséquences, à titre d’exemple, un effacement de données, une réinitialisation de toutes les procédures en cours, ou, pire encore, une large publication des écritures, au mépris des règles de confidentialité (l’actualité nous a démontré l’extrême vulnérabilité inhérente à tout système informatique sur ce point). A plus petite échelle, les lenteurs et dysfonctionnements informatiques ponctuels (que les juridictions judiciaires rencontrent déjà régulièrement depuis la dématérialisation) pourraient également être de nature à nuire à la qualité de la justice administrative. 

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