Réparation du préjudice moral : aller au-delà du barème, c’est possible.

Par Aurélie Poli, Avocat.

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Explorer : # indemnisation # préjudice moral # référentiels # individualisation des victimes

La réparation du préjudice moral subi après le décès d’un proche est un sujet tabou.

S’il est facile d’affirmer que la perte d’un être cher n’a pas de prix, la tâche est plus ardue lorsqu’il s’agit, tant bien que mal, de chiffrer le montant de l’indemnisation à proposer aux proches du défunt.

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Parfaitement conscients de la complexité (et de la délicatesse) d’une telle évaluation, plusieurs travaux ont été opérés au niveau des Cours d’appel pour établir des référentiels d’indemnisation permettant de se faire une idée plus précise des sommes accordées par les juridictions, tant en matière de préjudice corporel que moral.

Avec la prudence qui s’impose, les rédacteurs de ces référentiels précisent qu’il ne s’agit pas d’un barème mais d’une « aide méthodologique » dont la valeur n’est qu’indicative.

Toujours est-il que, dans les faits, on assiste à une uniformisation progressive des indemnisations, accélérée par la pression de certaines compagnies d’assurances qui n’hésitent pas à affirmer, en phase transactionnelle, que les montants accordées par un Tribunal ne dépasseront pas les montants évoqués, à savoir :

-  De 20 000 € à 30 000 € pour le décès d’un conjoint, père, mère ou enfant,
-  De 9 000 € à 12 000 € pour le décès d’un frère ou d’une sœur,
-  De 7 000 € à 10 000 € pour le décès d’un petit-enfant.

Le recours systématique et mathématique à des référentiels, s’il peut se révéler confortable et entretenir l’illusion d’une harmonisation des indemnisations proposées, nous paraît toutefois dangereux.

En effet, non seulement l’absence d’individualisation des victimes peut conduire à une incompréhension totale du sort qui leur est réservé, mais l’indemnisation finalement accordée relèvera plus du forfait égalitaire que d’une véritable réparation.

Heureusement, la pratique des tribunaux confirme qu’il est bel et bien possible d’obtenir une indemnisation sensiblement supérieure aux chiffrages proposés dans les référentiels… pour autant que les victimes envisagent de la réclamer.

Car, contrairement aux idées reçues, c’est souvent cet obstacle qui reste infranchissable tant les proches du défunt sont mal à l’aise avec l’idée de discuter le chiffrage de leur préjudice moral et n’entendent pas étaler leur souffrance devant une juridiction pour faire « grimper la note ».

Il ne s’agit toutefois pas de cela.

Le rôle de l’avocat qui plaide un préjudice moral devant le Tribunal n’est pas de se complaire avec indécence dans de sordides détails pour obtenir une indemnisation record.

Il consiste au contraire à porter la voix des victimes qu’il représente, avec respect et dignité, afin de permettre aux magistrats de mieux appréhender la situation particulière qui leur est soumise.

La détermination du montant de l’indemnisation résulte alors, non pas de l’application machinale de chiffres proposés dans un référentiel, mais d’une évaluation plus fine du préjudice moral effectivement subi.

Dans un jugement définitif du 17 décembre 2013, le Tribunal correctionnel du Puy en Velay, confronté à la difficulté de chiffrer le préjudice moral subi par les proches d’un jeune enfant décédé dans un accident de la circulation, n’a pas cédé à la facilité et, après avoir analysé les circonstances de la cause, a accordé un montant de dommages et intérêts de 100 000 € aux parents du défunt.

Le quantum finalement obtenu, on l’aura compris, n’a pas grande importance.

Ce qui est primordial, en revanche, c’est qu’en écartant le chiffrage prédéterminé qui leur était proposé et en préférant livrer un examen attentif de la situation individuelle des victimes pour évaluer, en toute indépendance, le préjudice subi, les juges ont refusé le rôle réducteur dans lequel certaines compagnies d’assurance aimeraient les cantonner.

Il est heureux de constater, à la lumière de cette décision, que les aides méthodologiques proposées aux magistrats du siège ne leur font pas oublier l’essence même de leur profession, celle qui donne tout son sens à leur fonction : juger.

Maître Aurélie POLI

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Discussions en cours :

  • par Tortuga , Le 5 juin 2014 à 10:08

    Qu’est-ce qui justifie que toutes les victimes n’aient pas la même indemnisation ?
    La mort de tel enfant porterait plus préjudice que la mort de telle autre ?

    L’indemnisation devrait reposer sur des critères prévisibles, connus de tous et identiques pour tous. Pas sur une décision arbitraire de quelques magistrats. Il n’est pas normal qu’au début du procès, les parties n’aient aucune idée de ce qui va pouvoir se passer.

  • par Meunier Sylvain , Le 26 mai 2014 à 10:13

    Le dommage moral, en France, qu’il soit exclusif tel le droit à l’image ou inclus dans le dommage corporel qui par essence à une double nature (matériel et moral) est l’objet d’une appréhension problématique par les juges.
    En effet, le juge comme le justiciable peut être influencé par les barèmes d’indemnisation établit par les assurances au nom du respect des conditions contractuelles.
    Cependant, si ces barèmes ont le mérite de favoriser une prévisibilité de la réparation, elle tend également à en minorer le montant réel correspondant à la nécessaire individualisation de la juste réparation du dommage comme mentionné dans l’article.
    En outre, les juges français ont une tendance à l’auto-limitation dans ce difficile exercice d’évaluation car ils ne veulent pas tomber dans l’excès inverse tel qu’au USA qui conduirais à une "sur-réparation".
    Cet article est intéressant car il met en lumière, la difficulté du travail du juge au travers de l’évaluation de la juste réparation d’un dommage moral.
    C’est un travail périlleux d’équilibriste entre la prévisibilité contractuelle et la réparation intégrale du préjudice dont la clé est la liberté de jugement.
    bravo, c’est un excellent article qui met en lumière un sujet particulièrement méconnu de tous et qui pourtant à d’importantes répercussions pour tous car personne n’est à l’abri d’un dommage corporel.

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