Jusqu’en 1975, les époux pouvaient demander la nullité du mariage uniquement pour erreur sur la personne devant le juge civil.
Dans un arrêt Berthon rendu en 1862 [1], la Cour de cassation interprétait strictement l’erreur sur la personne puisque cela ne s’entendait pas comme étant de « simples erreurs sur des conditions ou qualités de la personne ». Ainsi, l’épouse qui ignorait avoir épousé un ancien condamné ne pouvait pas obtenir la nullité du mariage.
La loi du 18 mai 1816 ayant aboli le divorce, la nullité du mariage était la seule issue possible pour rompre une union non désirée, il n’est donc pas étonnant que la Cour de cassation ait donné une interprétation stricte de l’erreur sur la personne pour limiter les demandes en nullité.
Le divorce ayant été rétabli en 1884 [2], puis considérablement élargi en 1975 [3] (divorce par consentement mutuel notamment), le législateur a tout de même conservé le cas de nullité sur la personne en y ajoutant l’erreur sur les qualités essentielles de la personne. L’article 180 alinéa 2 du Code civil prévoyant en effet que « s’il y a eu erreur dans la personne, ou sur des qualités essentielles de la personne, l’autre époux peut demander la nullité du mariage ». Tel est d’ailleurs la règle en matière de vices du consentement.
De nombreuses décisions ont été rendues sur l’erreur portant sur les qualités essentielles de la personne : notamment, il a été jugé qu’il peut y avoir erreur sur une qualité essentielle quand un époux a ignoré que son conjoint avait la qualité de divorcé [4], ou lorsqu’il s’est trompé sur son aptitude à avoir des relations sexuelles normales [5] ou sur son état de santé mentale [6].
En revanche, l’époux tenu dans l’ignorance d’une liaison antérieure à l’union ne justifiait pas l’annulation du mariage pour erreur sur les qualités essentielles car l’infidélité était antérieure à la célébration du mariage [7].
Ainsi, le conjoint qui sollicite la nullité de son mariage doit prouver que l’erreur prétendue était déterminante pour que le juge accède à sa demande. En d’autres termes, il doit convaincre le juge que s’il n’avait pas commis cette erreur, il ne se serait pas marié.
Cette appréciation in concreto de l’erreur sur les qualités essentielles de la personne doit être combinée avec une appréciation in abstracto, qui se réfère à l’essence même du mariage. L’appréciation in concreto pose problème en ce qu’elle aboutit à multiplier les cas d’erreur en fonction des qualités particulières que chaque époux peut attendre de l’autre.
L’appréciation in abstracto peut apparaître dès lors comme un garde-fou destiné à éviter les abus.
On peut énumérer deux types appréciations in abstracto :
la première faisant référence à ce qui relève de l’essence du mariage : ainsi, l’erreur sur les qualités essentielles de l’épouse a été retenue pour un époux sollicitant la nullité du mariage quelques mois après sa célébration sachant que son épouse, atteinte d’une infection HIV ne pourrait pas avoir d’enfants [8].
la seconde faisant référence à ce qui est sociologiquement acceptable [9] en ce sens que le mariage suivant les sociétés est fortement impacté par des valeurs sociales.
L’affaire de référence est celle concernant la demande de nullité du mariage par un époux découvrant que son épouse n’était pas vierge. Dans un jugement rendu le 1er avril 2008 [10], le Tribunal de grande instance de Lille avait prononcé la nullité du mariage dans un cas où la mariée n’était pas vierge. La virginité de la future épouse était alors considérée comme une qualité essentielle déterminante du consentement de l’époux, le jugement précisant que l’épouse avait acquiescé à la demande de nullité fondée sur un mensonge relatif à sa virginité.
La même année, la Cour d’appel de Douai a infirmé ce jugement en concluant que la virginité n’était pas une qualité essentielle [11].
Il est à tout fait paradoxal de constater que d’un côté, le juge considère comme sociologiquement inacceptable que l’époux souhaite que sa future épouse soit vierge lors de la nuit de noces et d’un autre côté, qu’il soit sociologiquement acceptable que l’activité antérieure de prostituée/escort-girl de l’épouse (sous-entendu les rapports sexuels antérieurs de l’épouse) puisse justifier la nullité du mariage pour erreur sur les qualités essentielles de l’épouse demandée par l’époux [12].
Dès lors, il est difficile de comprendre les décisions d’annulation concernant l’ignorance de l’époux quant à l’activité antérieure de prostituée/escort-girl de l’épouse. Cette décision est surprenante car la prédominance des bonnes mœurs du droit des personnes et de la famille a été sensiblement édulcorer (exemples, validité des libéralités entre concubins adultères [13], possibilité de courtage matrimonial pour une personne mariée [14].
Il serait plus cohérent de retenir une conception in abstracto se référant à l’essence du mariage (entendu stricto sensu) et non à ce qui est sociologiquement acceptable, âprement discuté et sujet à polémique.
L’erreur sur les qualités essentielles devrait consister à s’être trompé [15] sur une qualité essentielle recherchée par un des époux, déterminante de son consentement au mariage (appréciation in concreto) et qui relèverait de l’essence même du mariage (in abstracto).
Si la virginité ne relève pas de l’essence du mariage la fidélité en relève [16]. Qu’en serait-il s’agissant de la procréation ? En effet, le mariage entre couples de même sexe est désormais admis [17], dès lors, la procréation ne fait plus partie des données essentielles du mariage. La complexité réside alors dans la définition de l’essence du mariage. Il revient donc à la jurisprudence de délimiter ce qui relève de l’essence du mariage en application des règles du Code civil.
Discussions en cours :
Cet analyse me renvoit à mon article intitulé » le mariage est-il ringard ? »publié sur le village le 22 août 2008, qui critiquait le Jugement du Tribunal de Grande Instance de Lille du 1er avril 2008 .
La valeur du mariage en 2008 était déjà mise à mal et j’annonçais l’avènement du mariage homosexuel, déjà voté en Espagne, pays catholique et ce au nom des principes des droits de l’homme, initiés par la France au 18ème siècle et repris dans la Convention Européenne des Droits de l’Homme, qui régit les grands principes de la vie politique et sociétale de ‘espace européen « Liberté, Sécurité, Justice ».
Le droit de chacun de se marier et de fonder une famille est un droit fondamental (article 12 de la Convention Européenne des Droits de l’homme).La convention érige en outre le principe de la non discrimination à raison du sexe (article 12) et au respect de la vie privée de toute personne (article 8).
En droit Français, la virginité n’est pas un cas d’annulation du mariage. "Dans le mariage, trompe qui peut" disait LOYSEL (16 ème siècle). La virginité relève du droit de l’intime, couvert par la protection de la vie privée et le principe de non discrimination à raison de son sexe.
Le mariage n’est pas un contrat. C’est une institution introduite dans le Code Civil de 1804 conférant des droits et des obligations aux époux envers eux et leurs enfants et des droits patrimoniaux de base, obligatoires pour tous.
Même dans notre ancien régime de religion catholique le mariage était annulé pour non consommation ou après la Révolution, notamment, pour stérilité de l’épouse (Napoléon). Joséphine de Beauharnais n’était assurément pas vierge.
La virginité rappelle les temps lointains des croisades du Moyen Age où le Seigneur partait en croisade après avoir fermé à clé la ceinture de chasteté de son épouse, instrument qui est exposé dans certains musées Elle est une injure pour la femme qui désormais a conquis la liberté de son corps (contraception, avortement) et de sa vie professionnelle et affective. Ce qui se « justifiait » par le souci d’une filiation « légitime » n’est plus.
Désormais, la famille hors mariage est la règle. Les enfants ont les mêmes droits, qu’ils soient nés biologiquement dans ou hors les liens du mariage, ou avec l’aide de la biologie, PMA, GPMA.
Est-ce un bien ? Ce n’est pas le problème. La science est là et la pratique aussi, réservée aux personnes aisées.C’est le problème sociétal. Les lois « progressistes » sont faites par des politiques « up to date » à la pointe de l’avenir,planifiant une société ouverte, mondialiste sans inégalités.
Oui, mais c’est une vision « vu-d’en haut ».
En attendant, il y a un mari qui se sent « cocu ». Mais il y a aussi le divorce. C’est bien aussi. Il faut y penser.
C’est toujours difficile de prendre argument de la C.E.D.H. Son art.12 dit :
“Droit au mariage
À partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit.”
Sans définir les termes ‘mariage’ et ‘famille’ qui sont purement culturels.
En revanche elle emploie ‘l’homme et la femme’ et non ‘l’Homme quel que soit son genre’. Et c’est une définition biologique, scientifique, pour le coup, non susceptible d’interprétation, tout comme l’expression ‘à partir de l’âge nubile’ qui, elle, devrait interdire de fixer un âge légal !
Réellement une S.C. serait beaucoup plus souple, et permettrait d’autres formes d’union que seule la morale ou les traditions occidentales interdisent.
[5] TGI Paris, 13 février 2001, BICC 1er aoput 2001, n°844
En savoir plus sur http://www.village-justice.com/articles/Nullite-mariage-pour-erreur-sur,19640.html#q4BDTHIKMS2Yd1zT.99
coquille sur aout !
Mariage simple contrat civil ou institution fondatrice de la cité ?
Au delà de la jurisprudence, c’est à l’ethnologie qu’il faudrait demander la réponse…
Question de référentiel. On le voit aujourd’hui avec une décision de l’Église Réformée de France qu’on voudrait abusivement comparer à la position de l’Église Catholique.
Ne faudrait-il pas plutôt supprimer tout le droit de la famille ?… Des reconversions au barreau !
Article très intéressant c’est vrai que le droit évolue par forcement rapidement mais quand certaines choses changes il faut en prendre conscience surtout quand ça concerne le droit de la famille ou même le droit du divorce.