Le travail de nuit.

Par Laurent Vovard, Avocat.

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Explorer : # travail de nuit # conditions de travail # santé et sécurité # accord collectif

La décision récente du Conseil constitutionnel du 4 avril 2014 (n°2014-373 QPC), rendue sur une question prioritaire de constitutionnalité est l’occasion de faire le point sur les règles applicables au travail de nuit.

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1/ - Qu’est ce que le travail de nuit ?

Définition de la période de travail de nuit

La loi définit le travail de nuit comme tout travail accompli entre 21 heures et 6 heures.

Un accord collectif étendu ou un accord d’entreprise ou d’établissement peut prévoir une période différente de neuf heures consécutives entre 21 heures et 7 heures à condition que celle-ci comprenne obligatoirement l’intervalle de 24 heures à 5 heures (art. L3122-29 du Code du travail).

A noter également qu’en l’absence d’accord, lorsque les caractéristiques particulières de l’entreprise le justifient, l’inspecteur du travail peut autoriser de substituer à la période légale de nuit, une autre période.

Des dérogations sont prévues pour certaines activités pour lesquelles la période de travail de nuit est fixée entre 24 heures et 7 heures (production rédactionnelle et industrielle de presse, de radio, de télévision ; production et exploitation cinématographique ; spectacles vivants ; discothèques…).

Définition du travailleur de nuit

Est considéré comme travailleur de nuit tout travailleur (i) qui accomplit, au moins deux fois par semaine, selon un horaire de travail habituel, au moins trois heures de son temps de travail quotidien durant une période répondant à la définition du travail de nuit ou (ii) accomplit, au cours d’une période de 12 mois consécutifs, 270 heures de travail de nuit [1].

Il peut être dérogé à cette période de référence et au nombre minimal d’heures de travail de nuit par convention ou accord collectif étendu (négociation de branche).

2/ - Les conditions de recours au travail de nuit :

Le recours au travail de nuit doit demeurer exceptionnel et répondre à deux conditions [2] :

- 1ère condition : la prise en compte les impératifs de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs ;

- 2ème condition : être justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale.

Exemples donnés par l’administration (Circulaire DRT n°2002-09 du 5 mai 2002) : par rapport à un secteur particulier ou le travail de nuit est inhérent à l’activité (discothèques, casinos…). Pour les autres secteurs, « le travail de nuit ne devrait être qu’exceptionnel. En effet, le recours au travail de nuit doit être lié à l’examen préalable des autres possibilités d’aménagement du temps de travail. De plus, les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs devront être pris en compte…  »

L’article L3163-2 du Code du travail interdit le recours au travail de nuit pour les travailleurs âgés de moins de 18 ans étant précisé que pour les salariés âgés de plus de 16 ans et moins de 18 ans, le travail de nuit est compris dans la plage horaire 22 heures – 6 heures et pour les salariés de moins de 16 ans, il est compris entre 20 heures et 6 heures. A noter cependant que plusieurs dérogations sont prévues par [3]

Conclusion préalable d’une convention ou d’un accord collectif

La mise en place dans une entreprise ou un établissement du travail de nuit ou son extension à de nouvelles catégories de salariés sont subordonnées à la conclusion préalable d’une convention ou d’un accord collectif de branche étendu ou d’un accord d’entreprise ou d’établissement [4].

L’accord collectif doit obligatoirement contenir certaines dispositions, notamment :

  • les raisons justifiant le recours au travail de nuit
  • l’identification des catégories de salariés concernés par le travail de nuit
  • les contreparties au travail de nuit
  • les mesures destinées à améliorer les conditions de travail des salariés, à faciliter l’articulation de leur activité nocturne avec l’exercice des responsabilités familiales, et à assurer l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes
  • les temps de pause

A noter que l’accord collectif peut déroger à certaines dispositions législatives (période de nuit, durée quotidienne du travail effectuée par un travailleur de nuit…)

Autorisation de l’inspecteur du travail

À défaut d’accord collectif, l’inspecteur du travail peut autoriser le travail de nuit [5] mais cela suppose (i) l’échec des négociations collectives « sérieuses et loyales » sur le sujet (ii) que des contreparties soient accordées aux travailleurs de nuit et (iii) l’existence de temps de pause. Les conditions de la demande à l’inspecteur du travail sont fixée par l’article R3122-16 du code du travail.

Contrôle par les institutions représentatives du personnel

Le comité d’entreprise et le CHSCT doivent être informés et consultés préalablement à la mise en place ou la modification de l’organisation du travail de nuit.

3/ - L’encadrement du travail de nuit :

Durée du travail de nuit

Il résulte de l’article L3122-34 du Code du travail que la durée quotidienne du travail effectué par un travailleur de nuit ne peut excéder huit heures étant précisé que des exceptions à ce principe peuvent être apportées par convention ou accord collectif de branche étendu ou accord d’entreprise ou sur autorisation de l’inspecteur du travail.

En tout état de cause, la durée hebdomadaire de travail des travailleurs de nuit, calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives, ne peut dépasser quarante heures [6] sauf dérogations par accord collectif étendu ou d’entreprise ou d’établissement dans la limite de 44 heures et par décret.

Surveillance médicale

Les travailleurs de nuit doivent bénéficier avant leur affectation à un poste de nuit, puis à intervalles réguliers, d’une surveillance médicale particulière [7].

Accès prioritaire au travail de jour

Les travailleurs de nuit qui souhaitent occuper ou reprendre un poste de jour ont priorité pour l’attribution d’un emploi ressortissant à leur catégorie professionnelle ou d’un emploi équivalent.

Conciliation avec la vie familiale

Le salarié peut se prévaloir d’une incompatibilité du travail de nuit avec ses obligations familiales (garde d’un enfant…) pour demander son affectation sur un poste de jour étant précisé que l’employeur peut s’opposer à une telle demande. Par ailleurs, le salarié peut refuser de prendre un poste de nuit en raison d’obligations familiales impérieuses, cette décision s’imposant alors à l’employeur qui ne pourra pas sanctionner ou licencier le salarié en se fondant sur ce refus [8].

Femmes enceinte ou ayant accouché

Elles bénéficient notamment d’un droit à être affectées à un poste de jour pendant la durée de leur grossesse et de leur congé légal postnatal, à la condition qu’elles en fassent la demande.

4/ - Contreparties au travail de nuit

L’article L3122-39 du code du travail prévoit que les travailleurs de nuit bénéficient de contreparties au titre des périodes de nuit pendant lesquelles ils sont employés sous forme de repos compensateur et, le cas échéant, sous forme de compensation salariale. Le niveau des contreparties relève de la négociation collective.

5/ - Constitutionnalité des dispositions sur le travail de nuit (CC 4 avril 2014) :

Le Conseil Constitutionnel avait été saisi par la Chambre sociale de la Cour de Cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par la société SEPHORA sur la constitutionnalité des articles L3122-32, L3122-33 et L3122-36 du code du travail.

Il était notamment fait reproche à ces dispositions de méconnaître l’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, le principe de légalité des délits et des peines et la liberté d’entreprendre et le droit de chacun d’obtenir un emploi.

Réponse du Conseil constitutionnel :

« 13. Considérant que, par les dispositions contestées, le législateur a consacré le caractère exceptionnel du recours au travail de nuit ; qu’il a précisé que ce recours doit prendre en compte les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs ; qu’il a défini les critères en fonction desquels le recours au travail de nuit peut être justifié ; qu’en particulier, s’il appartient aux autorités compétentes, sous le contrôle de la juridiction compétente, d’apprécier les situations de fait répondant aux critères de « continuité de l’activité économique » ou de « service d’utilité sociale », ces critères ne revêtent pas un caractère équivoque ; qu’en subordonnant la mise en place du travail de nuit dans une entreprise ou un établissement à la conclusion préalable d’une convention ou d’un accord collectif de branche étendu ou d’un accord d’entreprise ou d’établissement et, à défaut, à une autorisation de l’inspecteur du travail, le législateur a confié, d’une part, à la négociation collective le soin de préciser les modalités concrètes d’application des principes fondamentaux du droit du travail et, d’autre part, à l’autorité administrative, le pouvoir d’accorder certaines dérogations dans des conditions fixées par la loi ; que, par suite, le grief tiré de l’incompétence négative du législateur doit être écarté… »

Concernant la liberté d’entreprendre, la position du Conseil constitutionnel est la suivante :

« 17. Considérant qu’en prévoyant que le recours au travail de nuit est exceptionnel et doit être justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale, le législateur, compétent en application de l’article 34 de la Constitution pour déterminer les principes fondamentaux du droit du travail, a opéré une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre la liberté d’entreprendre, qui découle de l’article 4 de la Déclaration de 1789, et les exigences tant du dixième alinéa que du onzième alinéa du Préambule de 1946 ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance de la liberté d’entreprendre doit être écarté. »

Laurent Vovard
Avocat au Barreau de Paris
https://vovard-avocat.com/

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Notes de l'article:

[1art. R3122-8 du Code du travail

[2art. L3122-32 du code du travail

[3art. L3163-2 et s du code du travail

[4article L3122-33 du code du travail

[5art. L3122-36 du code du travail

[6art. L3122-35 du code du travail

[7art. L3122-42 du code du travail

[8art. L3122-37 du code du travail

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