A cet égard, la Cour de cassation vient d’ailleurs de refuser la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité d’une plaignante qui, en l’espèce, invoquait l’inconstitutionnalité de l’article 521-1 du Code pénal [1] quant au principe de liberté religieuse et du principe d’égalité [2]. Cette décision nous permet de revenir sur l’une des exonérations pénales les plus critiquées du législateur.
En l’espèce, la requérante, après sa condamnation en première instance pour actes de cruauté envers des animaux, a saisi la Cour d’appel de Versailles d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). La question était de savoir si, les dispositions de l’article 521-1 du Code pénal, « en tant qu’elles ne prévoient pas une exception pour les actes consistant à mettre à mort un animal dans le contexte religieux d’un sacrifice à une divinité », étaient contraires :
au principe de liberté religieuse garanti par l’art. 1er de la Constitution de 1958, l’art. 10 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (DDHC) et l’alinéa 5 du préambule de la Constitution ; et
au principe d’égalité devant la loi garanti par l’article 6 de la DDHC de 1789.
La Cour de cassation a rejeté cette QPC, considérant que la question n’était pas nouvelle et ne présentait pas un caractère sérieux, peut-être caractérisant la volonté de la Cour d’empêcher un potentiel élargissement de l’exonération pénale à d’autres cas (I). Cette décision permet de s’interroger quant à la préférence du législateur en faveur de la tradition locale ininterrompue (II), et sur l’absence de droits des animaux constitutionnellement garantis (III).
I. Le caractère non sérieux ou nouveau de la demande : barrage empreint d’opportunité ?
La question n’est pas « nouvelle » selon la Cour de cassation, mais au vu des articles invoqués par la requérante, il est permis d’en douter.
En effet, bien que la loi en cause ait pu faire l’objet d’une déclaration de conformité par le Conseil constitutionnel de manière successive [3], les QPC antérieures portaient sur la conformité de la disposition législative avec seulement le principe d’égalité devant la loi garanti par les articles 1er de la Constitution de 1958 et 6 de la DDHC de 1789. Le principe de liberté religieuse n’a donc jamais été débattu devant le Conseil constitutionnel concernant l’art. 521-1 du Code pénal. Or, tel était l’un des fondements de la QPC de la plaignante en l’espèce.
Concernant le caractère non sérieux de la question, la Cour a affirmé que « le principe de liberté religieuse n’implique pas que soit autorisée la pratique, sur les animaux domestiques, apprivoisés ou tenus en captivité, des sévices et actes de cruauté au sens de l’article 521-1 du CP. »
La juridiction suprême exprime sa position et semble ici s’aligner sur celle de la Cour européenne des droits de l’homme, qui avait conclu dans son arrêt Cha’are Shalom vs Tsedek c. France de 2000, à une non-violation de l’art. 9 de la CEDH l’interdiction de pratiquer un abattage rituel d’animaux. En revanche, il est possible de s’interroger sur l’apparente conformité dans la mesure où, la Cour. EDH avait énoncé qu’une telle décision se justifiait en ce sens qu’il n’était pas établi que les fidèles des membres de l’association requérante ne pouvaient pas se procurer de la viande « glatt » en utilisant d’autres moyens. Si l’abatage de l’animal avait eu une autre finalité que sa consommation, la position de la Cour européenne des droits de l’homme aurait-elle été la même ?
Surtout, il est permis de se demander si la Cour de cassation ne préjuge finalement pas déjà elle-même de la constitutionnalité de la question en jugeant du caractère « sérieux » ou non, ce qui en pratique a déjà été ouvertement critiqué par le passé.
A titre d’illustration, des années 2010 à 2014, 78,5% des décisions de non renvoi de la Cour de cassation portaient sur le défaut de caractère sérieux ou nouveau de la question posée. [4]
Concernant le caractère sérieux, la question est estimée sérieuse lorsqu’elle est « de nature à faire naître un doute raisonnable » quant à la constitutionnalité de la disposition législative concernée. Il n’y a cependant aucune ligne directrice établie en la matière, laissant cette appréciation à la seule discrétion des juges des courts suprêmes. « Or, en l’absence même de possibilité de définir une méthode et des limites claires quant à la manière de déterminer ce caractère sérieux, tous les moyens peuvent être bons pour écarter ce doute ou le laisser persister selon que le renvoi paraît opportun ou ne le paraît pas. » [5]
En l’occurrence, il semble légitime de se demander si la Cour de cassation, par son refus de transmettre la QPC, n’a pas plutôt chercher à manifester son refus de permettre un éventuel élargissement de l’exonération pénale dont bénéficient les organisateurs de courses de taureaux et combat de coqs à d’autres personnes.
Par contraste, la Cour s’est jusqu’ici montrée moins réticente pour les présents bénéficiaires d’une telle irresponsabilité pénale, puisqu’elle a, après 2012, pu envoyer en 2015 une QPC en relation avec les mêmes dispositions législatives [6] : le défendeur ici avait invoqué le principe d’égalité devant la loi, et arguait que la création d’un nouveau gallodrome était en soi punissable, y compris dans les lieux où règne une tradition ininterrompue en la matière, alors que les organisateurs de courses de taureaux pouvaient créer de nouveaux espaces pour accueillir de tels spectacles. La Cour avait alors considéré la question comme nouvelle et permis sa transmission. Le 31 juillet 2015, le Conseil constitutionnel déclarait néanmoins cette différence justifiée et la loi conforme à la constitution [7].
Une fois la question rejetée, il n’y a aucun moyen de contester cette non-transmission si l’affaire est déjà en cassation. Ce dispositif est donc redoutable et ne laisse aucun recours à l’auteur de la QPC.
II. La tradition ininterrompue l’emportant sur la liberté religieuse concernant les actes de cruautés.
Que l’on soit en faveur ou non de sévices infligés aux animaux selon le contexte, il y ait une chose qui paraît discutable du point de vue de cette décision et de la législation actuelle : la préférence du législateur que celui-ci a établi au travers de l’art. 521-1 du Code pénal, en codifiant « la tradition locale ininterrompue » comme permettant l’exonération pénale. La motivation d’une telle différence paraît juridiquement inexplicable.
Car juridiquement, la tradition locale ininterrompue n’avait qu’une valeur jurisprudentielle avant d’être reconnue légalement au titre de l’art. 521-1 du Code pénal, alors que la liberté religieuse est constitutionnellement garantie (art. 1 de la Constitution, al. 5 du préambule de cette dernière, et art. 10 de la DDHC 1789). Elle est d’ailleurs également exprimée par l’art. 9 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, lui conférant en théorie un statut supérieur aux lois [8]. De plus, elle est également prévue au sein de l’art. 18 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, qui définit entre autre la liberté religieuse comme le droit à « l’accomplissement de rites ».
Comment expliquer que le législateur ait pu manifester sa préférence pour la tradition locale ininterrompue et exclure de manière totale la liberté religieuse ? Il n’est pas expliqué en soit pourquoi l’une permettrait des sévices tombant sous le coup de l’exonération, et pas l’autre. Le législateur a peut-être ses raisons que le droit ignore mais que les lobbies n’ignorent pas.
III. L’absence de droits constitutionnellement garantis en faveur des animaux.
Ce qui rend légitime l’existence de l’art. 521-1 du Code pénal tel qu’il est codifié, c’est l’inexistence même de droits constitutionnellement garantis en faveur des animaux concernant leur intégrité physique et/ou morale. En réalité, la position du Conseil constitutionnel n’est peut-être que révélatrice de cette absence.
En effet, dans la QPC de 2012, seul le principe d’égalité devant la loi pouvait être invoqué comme fondement par le requérant pour justifier sa demande. Au passage, une incertitude pouvait être permise quant à l’inégalité invoquée.
Était-ce l’inégalité entre les taureaux et autres animaux (domestiques, apprivoisés ou tenus en captivité) qui était avancée ? Il est difficile de l’imaginer, sachant que l’animal est considéré comme un « bien » au sens du Code civil, et qu’à titre symbolique seulement il a été reconnu comme un être « douée de sensibilité. » N’étant aucunement considéré comme une personne au sens juridique, il paraît difficilement imaginable que l’égalité devant la loi puisse lui être appliquée.
En revanche, il est fort probable, comme l’énonce un auteur [9], que l’inégalité soulevée concerne les auteurs des sévices, d’un côté l’organisateur de tels courses ou combats, et de l’autre l’auteur lambda qui ne bénéficie pas de la protection apportée par la notion de tradition locale ininterrompue.
Dans sa décision de 2012, le Conseil constitutionnel a déclaré que de telles pratiques [les sévices et actes de cruauté exercés dans le cadre de la corrida] ne portaient pas atteinte à « des droits constitutionnellement garantis. » Et juridiquement, cette position paraît difficilement contestable, au vu du principe selon lequel le législateur « peut régler de manière différente des situations différentes. » Un auteur affirme à cet égard qu’il est possible de caractériser ces situations de différentes, dans la mesure où il s’agit « d’agissements de même natures, mais accomplis dans des zones géographiques différentes. » [10].
En revanche, si le droit des animaux quant à leur intégrité physique et morale était érigé en droit constitutionnel ou principe à valeur constitutionnel, il serait ici possible d’arguer que de ces pratiques portent en réalité atteinte à des droits constitutionnellement garantis.
Le Conseil constitutionnel, tout comme la Cour de cassation, semblent donc laisser la responsabilité d’un potentiel changement au législateur. A voir si celui-ci décide un jour de mettre un terme à sa préférence, en mettant fin à l’exception de l’article L521-1 du Code pénal.