Participation d'une marque d'alcool à un festival : précision du cadre légal. Par Catherine Chappellet, Avocat et Eva Baliner-Poggi, Elève-Avocate.

Participation d’une marque d’alcool à un festival : précision du cadre légal.

Par Catherine Chappellet, Avocat et Eva Baliner-Poggi, Elève-Avocate.

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Explorer : # publicité alcool # parrainage # festival # législation

Cour d’appel de Paris, Pôle 2 - chambre 2, 3 décembre 2020, n° 17/14366.

Dans un arrêt du 3 décembre 2020, la Cour d’appel de Paris s’est prononcée sur la participation de la marque de bières Kronenbourg au festival Rock en Seine. L’occasion pour la Cour d’articuler en détail l’application de la loi Evin et la participation des alcooliers à des festivals de musique, et de préciser sa position sur des questions telles que le parrainage illicite, l’usage par les alcooliers de marques-alibi (ou "naming"), au regard des exigences de loi Evin.

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Lors de l’édition 2014 du festival Rock en Seine, la société Brasseries Kronenbourg (Kronenbourg), partenaire de l’association organisatrice et fournisseur exclusif de bière du festival avait notamment notamment (i) fait installer une scène « Pression Live » sur laquelle s’était produits différents artistes ainsi que divers supports matériels (parasols, arche, ballon aérien, drapeaux), et (ii) organisé des animations, sans utiliser la marque figurative , mais en exploitant la « marque alibi » , qui en reprend les éléments caractéristiques.

Pour l’ANPAA, ces éléments constituent un parrainage et des publicités indirectes illicites en faveur des boissons Kronenbourg, notamment

« au travers de la marque Pression live dont elle relève les similitudes avec le graphisme, les couleurs de la marque de fabrique du brasseur et l’utilisation du mot pression qui rappelle le mode de consommation de la bière dans les débits de boissons ».

A titre liminaire, sur la communication en ligne.

La Cour d’appel, amenée à préciser les conditions de la licéité d’une communication en ligne, support publicitaire autorisé en vertu de l’article L3323-2 du Code de la santé publique, tel que modifié en 2009, rappelle, dans la lignée de ses jurisprudences précédentes, le principe selon lequel :

« L’ouverture des services de communications en ligne à la publicité pour les boissons alcoolisées autorise le recours à toutes les formes de communication possibles sur ce média, à l’exclusion des publicités intrusives ou interstitielles ; que dès lors, l’usage de liens hypertextes, qui permettent à l’internaute de passer, par une action volontaire, d’un site à un autre est licite ».

A titre principal, premièrement, sur le parrainage.

L’article L3323-2 du Code de la santé publique dispose :

« toute opération de parrainage est interdite lorsqu’elle a pour objet ou pour effet la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcoolisées ».

La Cour d’appel de Paris conclut en l’espèce à l’existence d’un parrainage, qui

« ressort tant de l’aveu des organisateurs du festival que de la mise à disposition du festival de la marque semi-figurative Pression Live (associant la dénomination Pression Live.com à un logo comportant un damier rouge et blanc), déposée par la société Brasseries Kronenbourg ».

Toutefois, selon la Cour,

« ce parrainage n’est illicite que dans la mesure où l’ANPAA (…) établit qu’il a pour effet ou pour objet la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques ».

Or, les éléments de communication mis en place par les organisateurs du festival constituent des éléments de communication en faveur de l’ensemble des fournisseurs du festival sans distinction, et/ou ne sont pas une contrepartie publicitaire du parrainage dénoncé alors que Kronenbourg était par ailleurs le fournisseur commercial et le distributeur sur le site de boissons.
Sont ainsi licites à ce titre :

- Les mentions se limitant à l’usage du logo ou de la dénomination Kronenbourg, figurant sur les programmes et plans distribués aux festivaliers, au côté des treize autres partenaires du festival, tels que des institutions publiques ou privées (région, Sacem) divers ;
- La mention « Avec le soutien de la société Kronenbourg » figurant sur les plans-programmes sous la description d’une animation organisée au sein du festival ;
- La publicité en faveur de Kronenbourg figurant en quatrième de couverture du programme du festival, dans la mesure où il n’est pas prouvé que cet encart serait la contrepartie du parrainage dénoncé ;
- La mention, sur le site du festival, dans un onglet dédié aux partenaires dudit festival, de la société Brasseries Kronenbourg, et l’usage, dans un autre onglet précisant le programme du festival, du nom de la scène Pression Live, sans reproduction de la partie figurative de la marque éponyme.

Par conséquent, selon la Cour, l’ANPAA échoue dans la preuve de l’illicéité du parrainage dénoncé.

A titre principal, deuxièmement, sur la publicité illicite.

La loi Evin prescrit des conditions strictes s’agissant des supports [1] et mentions [2] autorisés pour la publicité des boissons alcoolisées.

Or, Cour considère en que l’espèce Kronenbourg a bien commis des actes de publicité illicite lors du festival. Elle relève à cet égard qu’eu égard aux fortes similitudes entre les marques et susmentionnées,

« selon l’usage qui en est fait, [la marque ] peut constituer une publicité indirecte au sens de l’article L3323-3 du code de la santé publique ».

Selon la Cour, peuvent être considérés comme licites les actes suivants :
- La reproduction dans un bandeau étroit sur la première de couverture du programme du festival des noms et logos des treize partenaires du festival, dont le logo institutionnel de la société Brasseries Kronenbourg, qui ne constitue pas un acte publicitaire ;
- La reproduction de la mention « l’originale » sur la publicité en faveur des produits Kronenbourg reproduite en quatrième page du programme du festival, en tant qu’elle est la dénomination du produit ;
- (i) Le chapiteau Kronenbourg et le lieu de consommation en plein air associé, ainsi que (ii) le second bar, qui sont des débits de boisson ; à ce titre, les parasols qui y figurent peuvent porter la marque Kronenbourg ;
- La publicité en faveur du festival Rock en Seine réalisée dans le journal 20 minutes, mentionnant les partenaires du festival, y compris Kronenbourg.

Selon la Cour, sont cependant illicites les actes publicitaires suivants :
- L’association de la marque à l’univers festif des concerts de Rock marqué par ses excès, d’autant plus prégnante que cette marque est reproduite, dans ses éléments figuratifs et dénominatifs sur le panneau annonçant les concerts du jour « et donc rattachée à l’intensité de l’émotion ressentie lors de ceux-ci, ce qui constitue la publicité incitative condamnée par les dispositions légales » ;
- La publicité en faveur des produits Kronenbourg reproduite en quatrième page du programme du festival, en tant qu’elle mentionne, s’agissant des produits Kronenbourg : « actuellement en tournée dans toute la France », ce qui, pour la Cour, « est une référence évidente aux festivals de musique, pour certains itinérants et aux artistes qui s’y produisent et ne constitue pas une indication autorisée par l’article L3323-4 du code de la santé publique », nonobstant le renvoi, par astérisque, aux modalités de vente des produits Kronenbourg (« plus de 14 000 points de vente hors domicile à travers la France ») ;
- (i) L’arche d’entrée marquant l’accès au bar sous le chapiteau Kronenbourg et à la partie en plein air de celui-ci, ainsi que (ii) le panneau surmontant le chapiteau du débit de boisson reproduisant les dénominations Kronenbourg et Pression Live Bar, en tant que ces enseignes reprennent la marque de la scène du festival (Pression Live) pour désigner le débit de boissons ouvert par la société Brasseries Kronenbourg et constituent à ce titre des publicités indirectes qui, dès lors, devaient reproduire la mention sanitaire précisant que l’abus d’alcool est dangereux pour la santé ;
- Le totem supportant un dessin de bouteilles de bière suivie de la mention K by Kronenbourg installé à côté de la tente sous laquelle sont proposés à la dégustation des produits de la marque, en tant que, publicitaire, il devait également comporter la mention sanitaire ;
- Les parasols figurant dans les débits de boissons Kronenbourg du festival, en tant que le slogan « garder votre blé au frais » y est apposé, tandis que la loi prescrit que, s’agissant d’un objet strictement réservé au fonctionnement d’un débit de boisson, seul le nom de la boisson en cause peut y figurer ;
- Les lettres, apposées sur la pelouse, constituant le mot Kronenbourg sur une longueur de huit mètres : cet objet, sans fonction autre que décorative, ne constitue pas un support autorisé par la loi Evin ;
- La distribution de lunettes reproduisant le dessin et les couleurs du produit K by Brasseries Kronenbourg, celles-ci ne constituant pas non plus un support autorisé.

Pour insuffisance de rattachement à la société Kronenbourg et/ou de description de ces actes dans le constat d’huissier, la Cour ne se prononce pas sur la licéité des éléments suivants :
- L’animation pratiquée autour de l’arche Kronenbourg, consistant en l’apposition de tatouage rouge et blanc et de teinture de la même couleur sur les cheveux des festivaliers ;
- Un ballon captif flottant selon l’huissier au-dessus du bar.

En conséquence des actes illicites précités, Kronenbourg est condamné à payer à l’ANPAA 15 000 euros à titre de dommages et intérêts (et 3 000 euros au titre de l’article 700).

Catherine Chappellet, Avocat.
Eva Baliner-Poggi, Elève-Avocate.
Cabinet UGGC Avocats

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[1Articles L3323-2 et R3323-4 du Code de la santé publique.

[2Article L3323-4 du Code de la santé publique.

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