Protection par le droit d’auteur des plans d’architecte détenus par un maître d’ouvrage.

Par Béatrice Cohen, Avocat.

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Explorer : # droit d'auteur # plans d'architecte # propriété intellectuelle # litige contractuel

Ce que vous allez lire ici :

Cet article présente une affaire dans laquelle un architecte a poursuivi les propriétaires d'une maison pour avoir utilisé ses plans sans autorisation après la résiliation du contrat. La cour d'appel de Bordeaux a confirmé que les plans étaient protégés par le droit d'auteur et a accordé à l'architecte une indemnisation pour utilisation sans autorisation. La cour a également ordonné la restitution des plans à l'architecte. Cette décision souligne l'indépendance entre la propriété corporelle et intellectuelle de l'œuvre et confirme la protection des plans d'architecte par le droit d'auteur.
Description rédigée par l'IA du Village

Il est aisé d’admettre que l’auteur d’une œuvre de l’esprit est titulaire de droits de propriété intellectuelle sur sa création. Il l’est cependant moins de concevoir que la propriété intellectuelle est indépendante du support corporel de l’œuvre. Ce principe est en effet régulièrement remis en cause devant les juges.
En témoigne un arrêt récent de la cour d’appel de Bordeaux du 21 septembre 2023 : CA Bordeaux, 21 septembre 2023, n°20-01.375.

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En 2017, deux particuliers avaient confié à un architecte une mission de maîtrise d’œuvre en vue de réaliser des travaux de surélévation de leur maison d’habitation. Une fois les travaux commencés, un conflit s’est élevé entre eux au sujet du non-paiement de factures d’honoraires de l’architecte et de désaccords sur les travaux.

L’architecte a mis fin à sa mission en résiliant unilatéralement le contrat en juillet 2018.
Les maîtres de l’ouvrage, souhaitant poursuivre les travaux de leur maison, ont alors transmis ses plans à une société de construction. L’architecte, souhaitant être indemnisé au titre de ses droits d’auteur pour l’utilisation de ses plans transmis sans autorisation, a assigné les maîtres de l’ouvrage.

Dans un jugement du 11 février 2020, le tribunal judiciaire de Bordeaux a fait droit à son action en contrefaçon.
Les commanditaires ont donc interjeté appel de cette décision devant la cour d’appel de Bordeaux.
Ils prétendaient que : « si l’architecte conserve un droit moral sur son oeuvre dès lors que celle-ci présente un caractère original, les maîtres de l’ouvrage sont bien propriétaires du support matériel de cette oeuvre » car ils ont payé l’architecte pour l’établissement des plans.

Dans un arrêt du 23 septembre 2023, la cour d’appel de Bordeaux les a une nouvelle fois déboutés de leurs demandes.
La cour a donc accordé à l’architecte le remboursement de ses factures impayées et octroyé la somme de 800 € à titre de dommages et intérêts pour utilisation sans autorisation de ses plans.

Le litige porte donc sur la protection par le droit d’auteur des plans d’architecte alors même que leur support matériel était en possession des maîtres de l’ouvrage.

La cour a d’abord vérifié les conditions de protection des plans d’architecte par le droit d’auteur (I) avant de réaffirmer le principe d’indépendance du support corporel et de la propriété intellectuelle de l’œuvre (II).

I. Un bref rappel des conditions de protection des plans d’architecte par le droit d’auteur.

1.1. La condition d’originalité des plans vérifiée.

Selon l’article L111-1 du Code de la propriété intellectuelle :

« l’auteur jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété́ incorporelle exclusif et opposable à tous ».

La condition d’originalité est le seul fait générateur de la protection du droit d’auteur sur les œuvres. Le genre, le mérite ou la destination de l’œuvre sont indifférents [1].

Ainsi, les plans d’architecte et les œuvres architecturales - œuvres d’art appliqué qui en découlent -peuvent bénéficier de la protection du droit d’auteur.
L’article L112-2 du Code de la propriété intellectuelle l’affirme par ailleurs de manière explicite :

« Sont considérés notamment comme oeuvres de l’esprit au sens du présent code : 7° Les oeuvres de dessin, de peinture, d’architecture, de sculpture, de gravure, de lithographie ; (…) 12° Les plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l’architecture et aux sciences ».

L’architecte peut donc être créateur, à condition de démontrer l’originalité de son œuvre.
Elle peut se définir comme un « apport créatif reflétant la personnalité de l’architecte » [2], comme un « effort créateur » ou « une recherche esthétique », pour reprendre les mots de la Cour de cassation [3].
Les plans doivent porter « la marque de la personnalité, de l’individualité, du goût, de l’intelligence ou d’un savoir-faire particulier de son créateur » [4].

L’admission de l’originalité est appréciée in concreto par les juges.
Les travaux de création, même s’ils peuvent résulter de considérations techniques [5], doivent présenter un caractère artistique certain et ne pas se limiter à ces considérations techniques. Selon la décision de la cour d’appel de Bordeaux, civ. 1ère, section A, 27 janvier 2016, n°1401744 : « Contrairement à ce que soutient la société S., le travail des architectes ne s’est pas limité à une simple prestation technique de mise en oeuvre des différentes prescriptions de la mairie, de l’architecte des bâtiments de France ou des autres intervenants (…) ».

L’aspect extérieur du bâtiment, mais aussi l’agencement des volumes intérieurs et le modèle de construction proposé par l’architecte sont pris en compte par les juges [6].
« La seule présence de trois pignons », par exemple, « ne suffisent pas à caractériser une ligne architecturale singulière » [7].
La singularité des plans doit être caractérisée par des éléments précis et les styles architecturaux ne sont pas appropriables [8].
Par ailleurs, le fait que les plans aient été réalisés à la main et pas à l’ordinateur n’est pas pas un critère d’originalité [9].

Dans cette affaire, la cour prend simplement le soin de rappeler que l’intégralité du projet d’extension de la maison était original sans motiver davantage sa décision :

« L’oeuvre d’architecture ne peut être protégée que si elle est originale et personnelle ce qui est le cas de l’intégralité du projet d’extension réalisé par (l’architecte) ».
En effet, l’originalité des plans n’était pas remise en cause par les appelants.

1.2. La reconnaissance de la titularité des droits d’auteur admise à l’égard du seul architecte.

Dans cette affaire, l’architecte avait créé les plans dans le cadre d’un contrat de louage d’ouvrage [10]. La jurisprudence et l’article L111-1 du Code de la propriété intellectuelle considèrent que le contrat de louage d’ouvrage ne fait pas obstacle à la titularité des droits d’auteur.
Certes, dans le cadre d’un contrat de louage d’ouvrage, les contraintes imposées à l’architecte atténuent légèrement sa liberté de création mais elles n’excluent pas l’expression de sa personnalité à travers son œuvre.

Cela a été affirmé très tôt, en 1972, dans un arrêt de la Cour de cassation du 18 octobre 1972 [11]. L’Administration avait donné à plusieurs architectes des directives pour établir un projet de construction.
La Cour a retenu que les services administratifs donnant des directives « ne se sont jamais substitués aux architectes mais que ces derniers ont à établir des plans qui leur sont personnels en tant compte des contraintes qui leur sont imposées ».

Il est en effet normal que les commanditaires de travaux émettent des directives, fassent part de leurs souhaits à l’architecte pour la réalisation de leurs projets.
A l’inverse, l’arrêt précité de la cour d’appel de Rennes du 23 novembre 2021 [12] précise que l’inspiration ne doit pas découler uniquement du plan fourni par les parties ou de leurs directives.

Ainsi l’architecte, même soumis à des contraintes dans la réalisation de ses plans, en reste l’unique auteur. Et des directives matérialisées dans une esquisse par le commanditaire de l’ouvrage ne permettent pas de l’établir co-auteur de l’œuvre [13].

Néanmoins, ce n’est pas véritablement l’originalité des plans qui est contestée ou la titularité des droits, même si la cour prend soin de les vérifier. C’est surtout l’exercice des droits moraux par l’architecte qui pose question dans ce litige.

II. La réaffirmation du principe d’indépendance de la propriété corporelle et de la propriété intellectuelle de l’œuvre.

2.1. La titularité des droits moraux de l’architecte.

Les plans étant originaux selon la cour, l’architecte est titulaire de droits moraux et de droits patrimoniaux sur ces derniers.

Le droit moral, prérogative du droit d’auteur, est composé du droit de divulgation, du droit de repentir et de retrait, du droit à la paternité et du droit au respect de l’intégrité de l’œuvre [14]. C’est principalement le droit de divulgation qui était contesté dans cette affaire, même si la cour ne le précise pas. Il s’agit du droit de décider du caractère public ou non de l’œuvre et de choisir ses conditions et procédés d’exploitation.
L’architecte sollicitait en effet la restitution des plans et ne souhaitait pas qu’ils soient utilisés par un tiers – la société de construction – pour réaliser son œuvre sans son intervention. En effet, le contrat de louage d’ouvrage avait été résilié unilatéralement.

Les maitres de l’ouvrage ne contestaient pas le droit moral de l’architecte mais estimaient que la possession matérielle de l’œuvre paralysait l’exercice du droit de divulgation et qu’ils pouvaient ainsi disposer des plans sans autorisation.
La cour écarte ce faux argument, énonçant qu’ils n’ont « pas le droit d’en disposer librement sans l’accord de leur auteur ».
Le choix de la destination de l’œuvre revient à l’architecte, son seul auteur.

Cette règle est la conséquence du principe d’indépendance entre le support matériel et la propriété corporelle, énoncé à l’article L111-3 du Code de la propriété intellectuelle.
Ce principe ressort notamment d’un arrêt de la cour d’appel de Versailles du 24 janvier 2002 [15].
Elle énonce explicitement « (…) que l’article L 111.3 du même code pose le principe de l’indépendance de la propriété intellectuelle par rapport à la propriété de l’objet matériel ».

Or les droits moraux sont extrapatrimoniaux et incessibles. Ils n’ont pu être transmis aux maîtres de l’ouvrage par le contrat de louage d’ouvrage. Pour pouvoir le divulguer, l’auteur doit nécessairement accorder son autorisation. Or elle n’avait pas été sollicitée.

La cour accorde donc sans surprise à l’architecte une indemnisation de son préjudice moral à hauteur de 800 € et fait interdiction aux commanditaires d’utiliser les plans sans son accord.
Un arrêt de 1980 est venu préciser que la réception par l’architecte de ses honoraires ne l’empêche pas d’être indemnisé au titre de son droit d’auteur pour utilisation de ses plans sans son autorisation [16].
La décision du 21 septembre 2023 s’inscrit dans le sillage de cet arrêt.

2.2. L’obligation consécutive de restitution des plans.

L’architecte a également demandé aux juges la restitution de ses plans.
La cour la lui accorde sur le fondement du droit des contrats :

« En conséquence de la rupture du contrat, les maîtres de l’ouvrage doivent restituer à l’architecte ses plans, calques, dessins et études et ne pas les utiliser sans son accord ».

Si cette condamnation des maîtres de l’ouvrage se fonde sur le droit des contrats, la décision est contestable à cet égard. Suite à des multiples désaccords, l’architecte avait résilié unilatéralement le contrat. Or la résiliation n’a d’effet que pour l’avenir ; elle n’entraîne aucune rétroactivité de la sanction, contrairement à la sanction de la résolution. En outre, le contrat conclu entre l’architecte et les maitres de l’ouvrage est un contrat de louage d’ouvrage, qui inclut une commande. Dans les contrats à exécution successive, les restitutions sont compliquées.

Sur le fondement du droit d’auteur, la décision des juges de restituer les plans à l’architecte parait plus naturelle. C’est en effet une deuxième conséquence du principe d’indépendance des propriétés corporelle et intellectuelle de l’œuvre.

L’article L111-3, alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle veut qu’en principe, le propriétaire du support matériel de l’œuvre ne peut être privé de son droit de propriété ; les droits moraux ne sont pas un obstacle à la propriété corporelle.
Une seule hypothèse de restitution demeure : si le propriétaire qui possède la propriété matérielle de l’œuvre prive l’auteur de sa possibilité de divulguer son œuvre avec la volonté de lui nuire.

Cet article ne s’applique cependant que si le support matériel de l’œuvre a été cédé. Il faut donc rechercher dans la présente affaire si le contrat s’accompagnait de la cession de la propriété corporelle de l’œuvre, comme le rappelle un arrêt de la cour d’appel de Versailles du 24 janvier 2002 [17]. Or cela n’était pas le cas. Aucune cession expresse du support matériel de l’œuvre n’avait été prévue dans le contrat de louage d’ouvrage. Les maitres de l’ouvrage n’avaient donc pas de droit de propriété sur ces supports. L’article L111-3 du Code de la propriété intellectuelle, limitant les cas d’application de l’obligation de restitution ne pouvait donc pas jouer en l’espèce.
Par ailleurs, aucun droit d’exploitation n’avait été cédé. Cela n’est pas automatique dans le cadre d’un contrat de louage d’ouvrage [18] et la cession ne peut être implicite.

En l’absence de droit de propriété sur les plans et de cession des droits patrimoniaux, il était donc normal que les maîtres de l’ouvrage les restituent à l’architecte et ne puissent pas les exploiter sans autorisation.

L’architecte peut ainsi se prévaloir de la protection du droit d’auteur pour ses plans, alors même qu’ils sont détenus par le maitre de l’ouvrage, en vertu du principe d’indépendance des propriétés matérielle et intellectuelle de l’œuvre.
Comme l’illustre cet arrêt, la décision d’utilisation des plans par des tiers sans autorisation peut être lourde de conséquences si les travaux ont déjà commencé. Les maîtres de l’ouvrage, privés des plans originaux initiaux, devront faire appel à un nouvel architecte pour les travaux de surélévation de leur maison.
Cet arrêt s’inscrit dans la lignée d’une décision de la cour d’appel de Bordeaux du 27 janvier 2016 [19]. Après la résiliation du contrat, des images de synthèse réalisées par des architectes avaient été mises en ligne sans leur autorisation en vue de la commercialisation du programme architectural. Leurs plans avaient par ailleurs été dénaturés (Les travaux n’avaient pas encore commencé).
La cour a accordé aux architectes une indemnisation pour atteinte à leur droit moral pour ces deux demandes. Elle a néanmoins fait interdiction au promoteur d’utiliser les représentations de l’ouvrage architectural jusqu’au complet paiement des honoraires restant dû.

Béatrice Cohen, Avocat
Barreau de Paris
www.bbcavocats.com

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Notes de l'article:

[1Article L112-1 du code de la propriété intellectuelle.

[2Cass. civ. 1ère, 22 janvier 2009, n° 07-20.334.

[3Cass. civ. 1ère, 5 juillet 2006, n°05-12.193.

[4CA Rennes, comm. 3ème, 23 novembre 2021, n° 19-01.684.

[5CA Rennes, comm. 3ème, 23 novembre 2021, n° 19/01684.

[6Cass. civ. 1ère, 5 juillet 2006, n°05-12.193.

[7CA Rennes, comm. 3ème, 23 novembre 2021, n° 19-01.684.

[8CA Rennes, comm. 3ème, 23 novembre 2021, n° 19-01.684.

[9CA Aix-en-Provence, chambre 3-1, 10 mars 2022, n° 18-08.162.

[10Article 1710 du Code civil sur le contrat de louage d’ouvrage

[11Cass. civ. 1ère, 18 octobre 1972, n°71-13.291.

[12CA Rennes, comm. 3ème, 23 novembre 2021, n° 19-01.684.

[13CA Paris, 4ème chambre, 25 février 1988.

[14Article L121-1 et L121-2 du Code de la propriété intellectuelle.

[15CA Versailles, 24 janvier 2002, n°19997286.

[16Cass. civ. 1ère, 12 novembre 1980, n° 79-13.544. En l’espèce, les plans avaient été utilisés pour construire un autre immeuble.

[17CA Versailles, 24 janvier 2002, n°1999-7286.

[18Article L111-1, al. 3 du Code dela propriété intellectuelle.

[19CA Bordeaux, civ. 1ère, 27 janvier 2016, n°1401744.

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Discussion en cours :

  • par Michel , Le 1er février 2024 à 09:58

    Bonjour, je trouve beaucoup d’articles sur les droits d’auteur de l’architecte mais pas du maitre d’ouvrage. Je suis en train de créer des plans que je compte ensuite mettre en exemple sur mon site, je suis auto-entrepreneur mais pas architecte, je voulais savoir comment protéger mes plans des lors qu’ils seront accessible sur internet. Y a t’il un moyen de protéger mes droits d’auteur même si je ne suis pas déclaré comme architecte ?
    Merci d’avance de votre réponse.
    Codialement.

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