Street Style : la guerre entre droit d’auteur des photographes et droit à l’image des blogueurs.

Par Louise El Yafi.

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Explorer : # droit d'auteur # droit à l'image # photographie de rue # influenceurs

Au milieu du chaos des Fashion weeks new-yorkaise, milanaise et parisienne, un semblant de guerre semble pointer le bout de son nez entre les plus grandes marques et leurs blogueurs adorés d’un côté et une poignée de photographes street style de l’autre.

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Le photographe street-style est, on le sait, une espèce que l’on peut trouver en masse aux abords des défilés. Perpétuellement à la recherche des looks les plus insolites, lesquels habillent le plus souvent nos chers blogueurs, on oublie pourtant trop souvent que ces derniers se sont fait connaître via les photos faites par ces paparazzis du street-style.

C’est donc sans surprise, que les photographes ont lancé une campagne sur les réseaux sociaux pour dénoncer l’attitude des blogueurs et blogueuses de mode qui utilisent leurs photos sans aucun accord préalable de leurs auteurs.
Ce mouvement, intitulé #NoFreePhotos, a été initié à la Fashion week de Milan par une trentaine de photographes, apparemment rejoint depuis par beaucoup d’autres.

Selon l’un d’entre eux, le français Nabile Quenum, « certaines blogueuses jugent qu’elles ont le droit de mettre la photo sans créditer le photographe, c’est une forme de non-respect, ce n’est pas possible. »

Les photographes reprochent à ces influenceurs et blogueurs, mais aussi aux marques qui les financent d’utiliser les photos les représentant sans demander l’autorisation aux auteurs des clichés en violation du droit d’auteur. Les influenceurs, particulièrement suivis sur les réseaux sociaux, publient ces photos où ils apparaissent afin de remplir leurs obligations contractuelles à l’égard de marques qui leur fournissent des vêtements et autres accessoires de mode. Publications rappelons-le, auxquelles est rarement adossée la mention « publicité ».

« Certaines filles sont devenues célèbres grâce à nous et l’oublient », juge-t-il. « Nous prenons en photo les gens que nous trouvons cools, nous ne les prenons pas par hasard, nous sommes des arbitres en ce sens. Les marques peuvent ensuite repérer qui est en vogue, qui peut être un atout pour toucher le consommateur. »

Une campagne qui a fait réagir le célèbre blogueur de mode Bryan Grey Yambao : «  Je comprends le besoin des photographes d’être dédommagés mais imaginez si chaque influenceur, journaliste ou fashionista commençait à se plaindre du fait que l’on prenne et vende une photo d’eux sans leur autorisation ? », interroge-t-il sur Instagram.

Ces photographes se sont donc engagés à ne plus mentionner les nom des individus qu’ils photographient sur leurs photos et à la place à publier le hashtag #NoFreePhotos.

Selon eux, la majorité des photos prises durant la Fashion Week ont pour objectif d’être publié au sein de vrais magazines et non d’alimenter (gratuitement) le business des influenceurs.
Par ailleurs, sans réaction de la part des blogueurs ou des marques, les photographes mettront en œuvre l’équivalent d’une main courante en leur envoyant des lettres de cessation et d’interdiction afin de les alerter sur la violation de leurs droits.

Car bien que cela ne transparaisse pas sur un simple cliché Instagram, le photographe possède bien un droit d’auteur sur son œuvre à moins qu’il ne transfère ce droit à un tiers tel qu’un magazine.

Pourtant, les blogueurs ne sont pas de cet avis et considèrent que ce sont les photographes qui sont en tort en abusant à tort et à travers des droits de publicité des influenceurs dont ils tirent le portrait. Il y a en effet violation de leurs droits à contrôler l’usage commercial qui est fait de leur image lorsque celle-ci est utilisée, sans leur consentement, pour des magazines, pour des sites de vente en ligne (une plainte vient d’ailleurs d’être déposée contre le site TheRealReal pour cette raison) ou encore pour les sites/instagrams personnels des photographes.

Le bloggeur Bryanboy a déclaré sur le sujet : « Ces photographes gagnent leur vie en photographiant des gens dans la rue et à des évènements. Ils vendent ensuite l’image de ces gens à des magazines papier, des médias en tout genre et des sites de vente en ligne. Ils sont également recrutés par des marques pour aller photographier des gens qui portent leurs créations dans la rue. »

Mais alors que dit la loi ?

Aux États-Unis, et plus particulièrement à New York, les droits de publicité variant d’un État à un autre, l’usage commercial du nom, de la photo et de la voix d’un individu est illégal si cet individu n’a pas donné son consentement.

Les photographes gardent cependant une certaine marge de manœuvre en ce que le Premier Amendement comporte une exception dite « d’intérêt journalistique » (« newsworthiness ») telle que le photographe a le droit de reporter et/ou commenter une question d’intérêt public.

En Europe, les lois sont plus protectrices du droit des individus à la vie privée et la France est notamment connue pour mettre en œuvre l’un des systèmes juridiques les plus stricts en la matière.

S’il est des situations peu flatteuses où l’on ne voudrait pas être à la place de la personne photographiée, celles-ci rentreront à coup sûr dans le cadre des images portant atteinte à la dignité d’une personne, qui sera donc protégée par le droit à l’image.

On ne peut cependant pas interdire l’acte de photographier lorsqu’il se déroule dans un lieu public. C’est la diffusion qui nécessite l’autorisation, non la prise de vue tant qu’on ne pénètre pas dans un espace privé.

Cependant, et cela concerne les blogueurs, dans le cas d’une personne de notoriété publique, aucune autorisation n’est nécessaire tant qu’elle est photographiée dans l’exercice de ses fonctions. Cela signifie a contrario qu’on ne pourra diffuser sans son consentement la photo d’une personnalité publique dans son intimité en vacances par exemple. Tel fût le cas de Valérie Trierweiler qui avait obtenu 2 000 € dans une décision prononcée en septembre 2012 contre VSD.

Or une question mérite d’être posée : un blogueur suivi par des centaines de milliers de personnes sur Instagram doit-il être considéré comme étant une personnalité publique ? Très certainement.

Par ailleurs, lorsqu’une photographie est réalisée dans le cas du droit à l’information, l’autorisation n’est pas systématiquement requise. L’article 9 du Code civil doit en effet composer avec une seconde loi, celle du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Ainsi, une personne photographiée dans le cadre d’une manifestation publique ne peut s’opposer à sa diffusion si la photo est utilisée à des fins d’actualité, et qu’elle ne porte pas atteinte à sa dignité bien sûr.

C’est la raison pour laquelle Kate Middleton a obtenu gain de cause le mois dernier face au magazine Closer. Ce dernier avait tenté de justifier sa publication de photos intimes de la Duchesse de Cambridge sous le joug de « l’intérêt public ». Le magazine avait notamment fondé sa défense sur le fait qu’il s’agissait de publications ayant pour objectif d’infirmer les rumeurs qui couraient à l’époque sur l’anorexie de Kate Middleton. En réponse, le juge français a condamné Closer au paiement de 45 000 euros.

La question du droit à la vie privée ne semble cependant pas vraiment inquiéter le collectif #NoFreePhotos puisque selon eux les blogueurs sont plus qu’heureux de se faire tirer le portrait. En fait, la plupart s’habillent de la façon dont on sait avec pour objectif de se faire prendre en photo sans avoir à payer un professionnel dans le cadre d’un shooting.

On remarquera d’ailleurs que certains influenceurs font connaître leur agenda afin d’être surs que leur photo sera prise durant certains évènements.

Louise El Yafi
Fondatrice de LUXURYANDLAW.COM, référence en Fashion Law et Droit du Luxe
www.luxuryandlaw.com

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