Extrait de : Droit fiscal et douanier

Louis Vuitton labellise "Made in Italy" mais fabriquerait en Roumanie : que dit le droit ?

Par Louise El Yafi.

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Explorer : # origine des produits # marquage d'origine # libre circulation des biens # consommation et fraudes

L’image de Louis Vuitton est désormais pour le moins ternie. En effet, les chaussures du maroquinier de luxe, vendues entre 550€ et 2.000€ et surtout labellisées « Made in Italy » seraient possiblement fabriquées en Roumanie.

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C’est à la télévision en 2014 dans un documentaire français que des travailleurs roumains révèlent, sous couvert d’anonymat, que les chaussures seraient, pour leur quasi-totalité, fabriquées en Transylvanie avant d’être envoyées en Italie où la seule semelle serait ajoutée au tout. La chose avait, à l’époque, été niée par Bernard Arnault.

Le secret a été révélé au grand public suite à des fuites de photographies des usines en question qui confirmeraient que des milliers de chaussures Louis Vuitton sans semelle les quittent chaque semaine. 1.500 paires en seraient sorties en 2004 et la production aurait augmenté de pas moins de 70% depuis 2007 ce qui équivaut à 100.000 paires de chaussures de plus chaque année. En 2009, une autre usine aurait ouvert ses portes près d’Avrig, aussi en Transylvanie, où seraient fabriqués, entre autres, sacs et valises du célèbre maroquinier.

Mais que dit la loi ?

En vérité, pas grand-chose de précis. Il n’existe pas de véritable définition légale du « Made in » et il n’est d’ailleurs plus obligatoire, dans l’Union européenne, de mentionner l’origine nationale des produits. Et ce, que ces produits soient fabriqués dans l’UE ou importés d’un pays tiers, les seuls produits faisant exception à la règle sont agricoles et alimentaires. C’est au nom de la libre circulation des biens et des services que cette absence d’obligation a été décidée par la Commission européenne

Le marquage d’origine est donc facultatif, volontaire et effectué sous la seule responsabilité du fabricant ou de l’importateur qui ne peut cependant pas faire ce qu’il veut puisque des textes protègent en effet le consommateur en sanctionnant ceux qui apposeraient des indications trompeuses.
En effet, deux types de contrôle existent :
- Un premier effectué par la direction générale des Douanes pour les produits à l’importation.
- Un second qui peut être effectué par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pour les produits mis sur le marché intérieur.

Cependant, si toutes ces démarches ne posent aucun problème quand le produit est fabriqué dans un seul pays, ce cas de figure reste extrêmement rare, les processus de fabrication étant, la plupart du temps, mondialisés.

En vertu de l’article 60 du DAC (Code des Douanes de l’Union Européenne), une marchandise « est originaire du pays où a eu lieu la dernière transformation ou ouvraison substantielle, économiquement justifiée, effectuée dans une entreprise équipée à ce effet et ayant abouti à la fabrication d’un produit nouveau ou représentant un stade de fabrication important. »

Comme il n’est pas toujours facile de déterminer si ces critères ont été satisfaits, des règles ont été établies au cas par cas pour différents produits dont les chaussures. Ainsi, l’assemblage de la totalité d’une chaussure avec une semelle constitue bien une transformation.

Le juge européen n’ayant cependant pas clarifié si le fait de rajouter une semelle à une chaussure constitue ou non une transformation « substantielle », Louis Vuitton, si l’affaire est avérée, peut a priori continuer à estampiller ses produits « Made in Italy » en toute tranquillité.

Louise El Yafi
Fondatrice de LUXURYANDLAW.COM, référence en Droit du Luxe et de la Mode
www.luxuryandlaw.com

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  • Vous évoquez l’article 60 du DAC (Code des Douanes de l’Union Européenne). Or l’acronyme DAC fait référence aux dispositions d’application de l’ancien Code des Douanes des Communautés, le CDC, qui depuis le 1er mai 2016 a été remplacé par le CDU, le Code des douanes de l’Union.

    La notion d’ouvraison substantielle est bien reprise à l’article 60 du CDU.

    Ceci étant, vous citez une réglementation européenne pour une marchandise purement communautaire : la Roumanie étant un EM de l’UE, la marchandise fabriquée en Roumanie est donc libre de circulation sur l’ensemble du territoire européen. Le CDU ne s’appliquant qu’aux marchandises tierces à l’Union lors de leur importation au sein de l’UE, cette réglementation ne peut s’appliquer au cas présent.

    Par ailleurs, sauf erreur de ma part, vous semblez confondre la notion de ’Made In’, mention purement ’marketing’ et relevant de la législation nationale, de l’origine douanière de la marchandise, définie par l’Organisation Mondiale des Douanes, l’OMD. La notion d’ouvraison substantielle est effectivement indispensable pour déterminer l’origine du produit (au sens douanier du terme) et ainsi définir le droit de douane à appliquer, mais ne sert pas légalement à confirmer l’authenticité d’une mention ’Made in’.

    En l’occurrence en France, alors que le code des douanes national (CDN) le mentionne dans son article 39 pour les marchandises tierces à l’UE, la notion ’Made in France’ est contrôlée par la DGCCRF en vue d’éviter une éventuelle tromperie au consommateur français.

    Concernant les articles LV fabriqués en Roumanie et arborant la mention ’Made in Italy’, il conviendrait de savoir si la législation italienne prévoit un arsenal juridique similaire. Mais au cas présent, ni les douanes européennes, ni la DGCCRF ne sont compétents pour intervenir sur cette suspicion.

    • par Louise El Yafi , Le 7 juillet 2017 à 19:04

      Je vous remercie tout d’abord de votre intérêt.

      La Communauté européenne étant devenue l’Union européenne en 2007, je ne comprends pas bien la distinction que vous faites entre le CDU qui est en effet le « Code des Douanes de l’Union » et l’aspect « communautaire » de la marchandise.

      Par ailleurs, je n’ai pas écrit que celui-ci s’appliquait à l’affaire en question. Il m’a cependant semblé intéressant de le citer afin d’avoir une vision globale du droit applicable à ce genre d’affaires puisque la très grande majorité des produits de luxe/mode sont fabriqués en dehors de l’UE.
      En outre, si le « made in » n’est effectivement (pour l’instant) qu’une notion purement marketing qu’il n’est pas obligatoire d’apposer sur un produit non alimentaire (ce que le cas ci-dessus illustre parfaitement), le fabricant européen qui décide volontairement d’indiquer sur son produit une mention d’origine (ce qu’a fait Louis Vuitton) doit le faire en conformité avec les règles d’origine non préférentielle mises en place par les services douaniers.

      L’origine non préférentielle permettant d’établir la « nationalité » d’un produit quand des facteurs de production provenant de plusieurs pays interviennent, le produit prend l’origine du pays où il a subi la dernière transformation substantielle.

      C’est pourquoi dans l’affaire visée ici il est intéressant de se demander si Louis Vuitton a bien le droit d’apposer la mention « Made in Italy » sur des chaussures dont un seul élément a été assemblée en Italie. La question est d’autant plus légitime que les usines roumaines tenues secrètes par le groupe pourraient tout à fait en cacher d’autres hors UE.

      Enfin, j’ai suivi votre conseil et en effet, une loi italienne entrée en vigueur en 2009 énonce qu’afin de protéger la réputation des produits de luxe italiens, les seuls produits autorisés à porter le label « Made in Italy » sont ceux étant entièrement faits en Italie, c’est-à-dire les produits étant fabriqués ET conditionnés en Italie.

    • par FV , Le 10 juillet 2017 à 16:46

      Bonjour,

      Désolé si mon intervention n’était pas claire… Mon but était seulement de signaler qu’en langage douanier, l’UE est considérée comme un seul et unique territoire. D’ailleurs, les douanes étrangères appliquent quasi-systématiquement un droit de douane unique aux marchandises origine UE, sans distinction de l’état-membre...

      Les notions de « transformation substantielle », d’ « entière obtention » ou encore d’ « origine non-préférentielle » sont toutes issues du CDU ou de ses règlements, et ne s’appliquent qu’aux produits entrant sur le territoire douanier européen, c’est-à-dire des produits d’origine tierce à l’UE.
      En se servant de ces notions, les services douaniers peuvent relever une fausse déclaration d’origine au moment de l’interception des marchandises en frontière, ou bien en contrôle a posteriori s’il s’agit d’un service d’enquête.
      Le but de cette fraude est généralement de bénéficier indûment d’une préférence tarifaire (droit de douane réduit ou nul).

      Au cas présent, qu’ils soient fabriqués en Roumanie et/ou en Italie, ces fameux articles LV sont 100% communautaires, dans le sens où ils ont été entièrement fabriqués sur le territoire de l’UE. Ils sont donc libres de circulation et, bien entendu, non-sujets à droits de douane tant qu’ils restent sur le territoire. A ce titre, n’étant pas soumis à une surveillance douanière, ils ne sont pas liés aux dispositions du CDU, notamment pour ce qui est relatif à la détermination de l’origine.

      Le fait d’estampiller une marchandise d’un « Made In » particulier revêt un intérêt commercial et marketing, dans le sens où il permet de faire bénéficier au produit d’une image de marque spécifique au pays cité (ici, l’image de la mode et du luxe italiens). L’objectif n’est donc pas le même.

      Pour cette raison, il me semble erroné de dire que « le fabricant européen qui décide volontairement d’indiquer sur son produit une mention d’origine (ce qu’a fait Louis Vuitton) doit le faire en conformité avec les règles d’origine non-préférentielle mises en place par les services douaniers ».
      A mon sens, le fabricant européen qui entend indiquer une mention d’origine européenne sur son produit doit se conformer à la réglementation nationale de l’EM dont il se prévaut.

      Ici – et je vous remercie de votre recherche – il incombera au seul législateur italien de relever ou non une éventuelle tromperie au consommateur, à partir de l’étude attentive du schéma de production de l’opérateur…

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