Mais cette fois, cette affaire nous le montre de façon grotesque, caricaturale puisque cette haine va déboucher sur un crime odieux : la décapitation d’un professeur d’histoire-géographie.
L’assassin de Samuel Paty, Abdoullakh Anzorov, a été tué lors de son arrestation par les forces de l’ordre. Quant à ses 2 amis qui l’ont aidé logistiquement, ils ont été condamnés à seize ans de réclusion criminelle pour complicité.
En revanche, 6 autres personnes ont donc été condamnées alors qu’elles n’étaient impliquées que de manière dématérialisée, numérique.
1) Liberté d’expression.
Cette affaire ne concerne pas seulement Samuel Paty, elle nous concerne tous, car à travers son assassinat, c’est un des piliers de notre démocratie qui est en jeu : la liberté d’expression.
A l’origine de cette affaire, il y a en effet le cours de Samuel Paty consacré à la liberté d’expression. Pour illustrer son cours, Samuel Paty a choisi plusieurs dessins dont deux caricatures de Charlie Hebdo.
Comme l’explique sa sœur Mickaëlle dans son livre intitulé « Le Cours de Monsieur Paty » [2], son frère a récupéré ces caricatures sur le site Canopée de l’éducation nationale.
Il avait l’intention d’expliquer à ses élèves, qu’en France, il existe un droit au blasphème, mais aussi des limites à la liberté d’expression. On ne peut pas, en effet, injurier, diffamer, ou discriminer les croyants d’une religion, mais on peut se moquer de leur religion.
La frontière est mince, subtile, parfois difficile à tracer entre le droit au blasphème, et le devoir de respecter les croyants. Ce qui explique qu’en 2006, des associations musulmanes avaient assigné en justice Charlie Hebdo pour avoir diffusé des caricatures du prophète Mahomet.
En 2008, la Cour d’appel de Paris [3] avait considéré que ces dessins, compte-tenu du contexte dans lequel ils avaient été publiés, ne constituaient pas une injure à caractère religieux. Ces caricatures étaient, en effet, accompagnées d’un texte qui dénonçait l’intégrisme religieux, les islamistes radicaux. Elles n’avaient donc pas pour objet d’insulter l’ensemble de la communauté musulmane, mais uniquement de dénoncer l’intégrisme religieux.
Samuel Paty n’a pas utilisé l’une de ces caricatures pour son cours, mais deux autres dont l’une intitulée « Mahomet : une étoile est née » laquelle représente Mahomet nu. Une caricature qui avait également été diffusée par Charlie Hebdo pour dénoncer l’intégrisme religieux. [4]
À ma connaissance, elle n’a jamais fait l’objet d’un débat contradictoire, puisque la procédure intentée à son encontre devant la 17e chambre de Paris, a été annulée pour vice de forme. [5]
Ce qui ne signifie pas que toute procédure à l’encontre de cette caricature est désormais exclue.
Dans l’affaire Samuel Paty, le père de la collégienne a justement déposé plainte contre le professeur pour l’avoir diffusée, en classe, sur le fondement de l’infraction de diffusion d’image à caractère pornographique susceptible d’être vu par un mineur (Article 227-24 du Code pénal).
Du fait de l’assassinat de Samuel Paty, cette procédure n’a pu aboutir. La question de la validité de cette caricature reste donc entière.
2) Haine en ligne.
De leurs côtés, Samuel Paty et la principale du collège, avaient déposé plainte à l’encontre du père de la collégienne et de sa fille pour diffamation publique.
Depuis, la collégienne a été condamnée en décembre 2023 à 18 mois de prison avec sursis pour dénonciation calomnieuse du fait des fausses allégations qui étaient contenues dans sa plainte.
Contrairement à ce qu’elle a affirmé, elle n’était pas au cours de Samuel Paty, elle n’a pas vu les caricatures de Mahomet, et elle n’a pas été exclue du collège en raison de ses origines musulmanes.
Le père de la collégienne a également été condamné pour avoir relayé en ligne les mensonges de sa fille, et identifié Samuel Paty dans ses publications avec l’adresse de son collège.
Il a été condamné non pas sur le fondement de la dénonciation calomnieuse, mais sur celui de l’association de malfaiteur terroriste.
D’après la Cour, il s’est en effet associé avec une autre personne pour diffuser des vidéos de haine à l’encontre de Samuel Paty.
La Cour d’assises de Paris a considéré que cette campagne de dénigrement avait permis de désigner Samuel Paty comme une cible, qu’elle pouvait s’analyser comme une « véritable fatwa numérique ».
Pour matérialiser l’intention terroriste, la Cour a tenu compte du contexte de menace terroriste de l’époque. Le procès concernant les attentats de Charlie Hebdo du 7 janvier 2015 s’était en effet ouvert un mois avant les faits.
Charlie Hebdo avait alors republié les caricatures du prophète, ce qui avait ravivé la haine en ligne, et même physique puisqu’une attaque au hachoir a eu lieu devant les anciens locaux du journal.
Dans ce contexte, la Cour a considéré que les deux co-accusés ne pouvaient ignorer qu’ils désignaient Samuel Paty comme une cible pour un islamiste radical.
Ils ont été condamnés à 13 et 15 ans de réclusion criminelle, et ont fait appel. Tout comme les 2 autres accusés qui ont été condamnés pour complicité.
Il convient par conséquent d’attendre l’arrêt de la Cour d’appel pour savoir si leurs condamnations seront ou non confirmées.
Deux autres personnes ont également été condamnées sur le fondement de l’infraction d’association de malfaiteurs pour avoir participé à un groupe djihadiste sur Snapchat dans lequel le tueur avait parlé de ses projets d’attentat.
Une cinquième personne a, quant à elle, été condamnée sur le fondement de la provocation à commettre des actes de terrorisme pour avoir échangé sur Twitter avec l’assassin.
Une dernière personne a enfin été condamnée sur le fondement de l’apologie du terrorisme pour avoir diffusé une vidéo en sa faveur.
Cette affaire montre ainsi la face obscure de l’internet, et des réseaux sociaux en particulier, lesquels peuvent être utilisés comme un « accélérateur à particule » de la haine en ligne, et conduire aux pires atrocités.