Sort du prêt bancaire et nullité de la vente immobilière.

Par Laurent Latapie, Avocat.

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Explorer : # nullité de la vente # responsabilité du notaire # prêt immobilier # indemnisation bancaire

Entre intérêts échus et intérêts à échoir d’un prêt bancaire accessoire à une vente immobilière annulée, qu’en est-il du sort de ce prêt bancaire accessoire, pour l’acquéreur lésé, le vendeur, le notaire, et, in fine, l’établissement bancaire ?

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Il convient de s’intéresser à un arrêt rendu en ce début d’été 2017 qui aborde la question spécifique du sort du prêt immobilier accessoire à un contrat de vente immobilière et pour lequel un contentieux est engagé aux fins de nullité de la vente.

La Cour de cassation considère qu’à la suite de l’annulation d’un contrat de prêt accessoire à un contrat de vente, la banque est fondée à être indemnisée au titre de la restitution des intérêts échus et à se prévaloir de la perte de chance de percevoir les intérêts à échoir.

Cette jurisprudence est intéressante à plusieurs égards car il n’est pas rare de voir dans le cadre d’un compromis de vente, apparaitre des incidents entre acquéreurs et vendeurs qui font que la réitération de la vente ne se réalise finalement pas, dès lors qu’il y a un désaccord entre eux à titres divers : informations cachées, fosse septique, problématique de voisinage, règles d’urbanisme, carence du notaire, etc.

Dans pareil cas l’acquéreur peut se sentir malaisé de confirmer ou d’annuler la vente alors même que ce dernier a obtenu son prêt bancaire et que la banque a d’ores et déjà reversé les fonds entre les mains du notaire pour assurer la réitération de la vente par acte authentique qui, finalement, ne se réalise pas.

Dans cette affaire, par acte authentique du 5 mai 2004, dressé par Maître X notaire, la société PCC a vendu à Monsieur et Madame Y. deux lots de copropriété d’un immeuble devant être réhabilité.

Pour financer cette acquisition et le montant des travaux, ils ont souscrit un emprunt auprès d’un établissement bancaire.

Or les travaux de réhabilitation de l’immeuble n’ayant pas été réalisés, les acquéreurs ont, après expertise, assigné la société PCC, depuis lors en liquidation judiciaire et son mandataire judiciaire, Maître X (notaire) et la banque en annulation de l’acte de vente et en dommages-intérêts.

Cet arrêt est intéressant à plus d’un titre car il vient déterminer les droits et prétentions que peut avoir un établissement bancaire dans le cadre d’une vente qui ne se fait pas dans la mesure où les conditions suspensives ne sont pas levées.

Le temps que l’annulation de la vente se fasse sur le terrain judiciaire, la banque qui a versé le montant du prêt entre les mains du notaire, serait bien fondé à prélever intérêts, échéances ainsi que primes d’assurance.

Pour autant, il est bien évident que la procédure de nullité de la vente a vocation à générer un préjudice puisque la banque se retrouve à financer un achat immobilier remis en question et devant être annulé judiciairement.

Cela crée également un préjudice à l’acheteur qui se trouve à la fois pris dans un contentieux en nullité de la vente avec un vendeur qui a manqué à ses obligations tout en devant faire face à des obligations bancaires.

Cet arrêt vient également caractériser la responsabilité du notaire qui a manqué à ses obligations et qui vient créer un préjudice tant à l’acheteur qu’à l’établissement bancaire qui a financé l’opération.

Cette responsabilité du notaire vient à point nommé dans la mesure où le vendeur est en liquidation judiciaire.

Le notaire s’en défend et fait grief à l’arrêt de dire qu’il sera tenu solidairement avec la société PCC (en liquidation judiciaire) à réparer toutes les conséquences dommageables résultant de l’annulation de la vente et de le condamner solidairement avec celle-ci à payer diverses sommes.

Pour autant, la Cour de cassation ne s’y trompe pas.

Elle rappelle qu’il résultait de l’acte préliminaire de vente sous conditions suspensives que la vente et les travaux de rénovation assurés par un financement global étaient indissociables et que la convention de vente ne comportait aucune des mentions légales imposées pour une vente en l’état futur d’achèvement.
La Haute juridiction retient souverainement que Maître X, notaire, n’avait pas assuré l’effectivité de l’acte juridique qu’il recevait alors que son attention aurait dû être d’autant plus mobilisée qu’il était le seul notaire à intervenir pour cette opération.

Dès lors, la Cour de cassation considère que la cour d’appel a pu, par ces seuls motifs, en déduire qu’il devait être condamné à réparer solidairement avec le vendeur, fut-il en liquidation judiciaire, le préjudice des acheteurs mais aussi de l’établissement bancaire.

En effet, l’opération consistait bien en une vente en état de futur achèvement pour laquelle le vendeur devait se doter d’une garantie financière d’achèvement répondant à une obligation des articles L 231-1 et suivants du Code de la construction et de l’habitation afin de garantir à l’acquéreur que l’achèvement de l’immeuble serait réalisé.

Or, la convention de vente en question ne portait aucune des mentions légales imposées de telle sorte que celle-ci n’était même pas conforme aux dispositions des articles L 261-11 à L 261-14 du Code de la construction et de l’habitation,

La vente n’avait pas les qualités requises pour une vente en état de futur achèvement ce qui justifie en soi la nullité de la vente.

Dans pareil cas, le vendeur n’est pas seul à exposer sa responsabilité.
En effet, le notaire, quant à lui, se devait d’assurer l’effectivité de l’acte juridique qu’il recevait.
Ce qu’il n’a pas fait.

C’est donc à juste titre que la cour d’appel a retenu que son attention aurait dû être d’autant plus mobilisée qu’il était le seul notaire à intervenir pour cette opération passant plusieurs ventes sur le même programme immobilier.

La Cour de Cassation considère que l’étendue de l’obligation d’assurer l’efficacité des actes qu’il instrumente incombant au notaire dépend de ce qu’il sait ou doit savoir.
Qu’en déduisant la faute du notaire de ce que l’acte instrumenté aurait dû être soumis au régime de la vente en l’état futur d’achèvement, sans établir que l’officier ministériel aurait eu connaissance de la collusion frauduleuse entre la venderesse et l’entreprise chargée des travaux et de tout autre élément de nature à établir que le notaire aurait pu suspecter que, malgré les termes de l’acte qui ne comportait aucune obligation de réaliser des travaux incombant à la venderesse, ce qui excluait la qualification de vente en l’état futur d’achèvement, la cession correspondait à une telle opération, la Cour d’appel ne pouvait qu’engager la responsabilité du notaire et prononcer la nullité de la vente.

Certes la motivation semble fastidieuse. Pour autant, l’essentiel est dit.

En premier lieu, l’arrêt vient considérer que le notaire a vocation à subir les conséquences de la liquidation judiciaire du vendeur puisque la cour d’appel précise que si la restitution du prix, par suite de l’annulation du contrat de vente, ne constitue pas en elle-même un préjudice indemnisable, le notaire peut être condamné à en garantir le paiement en cas d’insolvabilité démontrée des vendeurs puisque ces derniers sont justement en liquidation judiciaire.

Concernant les acheteurs lésés, immanquablement le notaire est responsable et a vocation a être condamné à la restitution du prix de vente en raison de l’insolvabilité de la société PCC, placée en liquidation judiciaire.

Mais surtout la Cour de cassation considère que le vendeur doit faire face aux conséquences et au préjudice découlant de l’annulation de la vente.

Ainsi que le notaire par ricochet.

En effet, la Cour souligne qu’à la suite de l’annulation d’un contrat de prêt accessoire à un contrat de vente, la banque est fondée à être indemnisée au titre de la restitution des intérêts échus.

Mais bien plus, la banque demeure aussi fondée à se prévaloir de la perte de chance de percevoir les intérêts à échoir.
La Cour de cassation fonde sa décision au visa de l’article 1382, devenu 1240, du Code civil.
Elle considère que pour rejeter la demande de l’établissement bancaire de condamnation du notaire à lui payer le remboursement des frais de l’emprunt, l’arrêt retient à tort que la nullité du contrat principal de vente s’étendant au contrat accessoire de prêt, elle ne saurait invoquer un préjudice tiré de la non-application des dispositions de celui-ci jusqu’à son terme pour solliciter des sommes au titre des intérêts contractuels non perçus ou de frais de l’acte annulé, même de la part du notaire.
Qu’en statuant ainsi, alors qu’à la suite de l’annulation d’un contrat de prêt accessoire à un contrat de vente, la banque est fondée à être indemnisée au titre de la restitution des frais, la cour d’appel a violé le texte susvisé.
La haute juridiction considère que lorsque la nullité d’un contrat de vente a pour conséquence la nullité d’un prêt accordé par un établissement de crédit, cet établissement de crédit a droit, de la part de celui qui, par sa faute, a été à l’origine de la nullité du contrat de vente, à la réparation du préjudice résultant de la perte des intérêts conventionnels auxquels il avait droit.
Elle rappelle encore que lorsque la nullité d’un contrat de vente a pour conséquence la nullité d’un prêt accordé par un établissement de crédit, cet établissement de crédit a droit, de la part de celui qui, par sa faute, a été à l’origine de la nullité du contrat de vente, à la réparation du préjudice résultant de son obligation de restituer à l’emprunteur les frais du contrat de prêt annulé.

Si la Cour de cassation vient une fois de plus protéger l’établissement bancaire, elle ne le fait cette fois-ci non pas au détriment de l’acheteur lésé qui vient engager une action en nullité de la vente mais à l’encontre du vendeur qui n’a pas réalisé les travaux dans la cadre d’une vente en l’état de futur achèvement.

Elle vient également sanctionner le notaire qui a manqué à ses obligations.

Laurent Latapie,
Avocat à Fréjus et Saint-Raphaël, Docteur en Droit,
Barreau de Draguignan
www.laurent-latapie-avocat.fr

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Discussions en cours :

  • Cher Maître,

    Nous avons obtenu en mars 2020 en première instance, l’annulation de la vente du bien que nous avions acquis en 2013.
    Le juge a condamné le notaire et le vendeur in solidium pour vice du consentement.
    Le vendeur doit nous restituer le prix du bien, et les frais de notaires. Les frais d’embellissement du bien sont à la charge du notaire et du vendeur ainsi que les dommages et intérêts.
    En revanche, notre demande concernant les intérêts d’emprunts bancaires ont été rejetés au motif que le chiffrage de ceux-ci n’étant pas définitif à tout le moins insuffisamment fondés, au regard de l’incidence d’un remboursement anticipés du capital.
    Ces intérêts d’emprunts et assurance s’élèvent tout de même à 75000€.
    La banque est-elle dans l’obligation de nous restituer cette somme lorsque nous procéderons à la clôture du prêt ?
    Étonnamment nous n’arrivons pas à obtenir de notre conseil une réponse précise à ce sujet. Nos divers interlocuteurs nous précisant que notre cas est assez rare...
    Le juge précise dans son jugement que le notaire et le vendeur sont responsables de l’ensemble des préjudices découlant de la nullité de la vente.

    Merci pour votre éclairage.

    • par Vivier Annick , Le 9 février 2021 à 12:23

      Bonjour.
      Notre achat VEFA a été arrêté suite à des malfaçons découvertes par le promoteur. Celui ci nous a indemnisés en partie par le par voie protocole amiable. Nous avons durant 3 années payé les intérêts du prêt puis du capital + intérêt durant 3 autres années. Nous avons grâce au dédommagement du promoteur remboursé la banque du capital restant dû en 2019. Maintenant donc un an plus tard, comme prévu au protocole amiable avec le promoteur, le notaire nous invite à signer une résolution VEFA.
      Peut on demander à la banque de remettre les choses en l’état à la date de signature du prêt VEFA lié à l’opération ? Donc au mars 2012.. Donc nous lui devons le capital emprunté mais lui nous devrait alors la totalité des intérêts versés ? Merci de votre éclairage.

    • par Laurent Latapie avocat , Le 16 février 2021 à 07:39

      cher Monsieur
      je fais suite à votre mail
      je partage votre analyse
      la banque ne saurait garder les intérêts pour acquis,
      je pense que vous devriez également vous retourner contre le notaire et le vendeur
      je veux bien prendre connaissance de la décision rendue
      bien à vous

    • par NANOUSH , Le 9 novembre 2022 à 09:48

      Bonjour,

      Je suis dans la même situation que vous, quelle a été l’issue de vos démarches concernant vos frais bancaires ?
      Avez vous réussi à obtenir le remboursement de la banque ?
      Aviez vous une clause résolutoire dans votre contrat de prêt pour annulation de la vente ?

      Vous remerciant par avance pour votre retour.

    • par laurent latapie avocat , Le 12 novembre 2022 à 09:05

      il faut dans le cadre du procès entre acheteur et vendeur en nullité de la vente, appeler en cause la banque pour régler les conséquences de la nullité du prêt qui s’impose de manière accessoire
      je tenais à vous en aviser
      bien à vous
      Laurent Latapie avocat

    • par Robic , Le 31 mai 2024 à 15:06

      Suite a l annulation de vente peut ont demmander des dommage pour recontracter un pret delta de 4/100 2018 /2024

  • Merci Maître pour vos infos sur ce blog. Je suis victime d’une double escroquerie de ce type. Je signe un compromis de vente en avril 2014. Je profite de la présence de la venderesse et de son notaire pour poser les questions dont je n’obtenais pas les réponses de la négociatrice. La venderesse ne répond à aucune de mes questions et ne cesse de ricaner. Préalablement, elle et son notaire arrivent en se faisant la bise et se tutoie pendant la signature... J’ai pensé sur le coup qu’elle était handicapée légère.
    Je comprends qu’il y a un problème avec la maison pour laquelle j’ai signé et leur demande de réparer la maison. Son jeune notaire, ancien avocat râté, me menace de m’envoyer les huissiers si je ne signe pas. Perdue, je signe en annotant toutes les pages du contrat de vente. J’apprends que mon notaire est un alcoolique notoire et que ce sont ses enfants qui l’assistent pendant les signatures d’actes authentiques. J’assigne en référé la venderesse, son notaire et la négociatrice. L’expertise informe le juge qu’il y a 35 000 euros de travaux de reprise de l’ouvrage et que le mitoyen, promoteur immobilier, a écrit en AR à la venderesse pour lui demander de réparer sa maison puisque un devers de 15 cm à hauteur du toit au 1er étage lui interdit d’ériger un immeuble. Je suis condamnée à payer un article 700 au notaire de cette dame. Son avocat qui sait que c’est perdu d’avance pour sa cliente fait durer depuis plus de 4 ans pour ne pas payer de dommages et intérêts. J’habite depuis toujours dans 45 m2 que je n’ai pas finis de payer. Ma banque me martyrise et me laisse avec 250 euros de reste à vivre par mois. De quoi écrire un livre : je m’arrête là. Encore merci à vous : je vais faire plaider l’erreur et attaquer à nouveau son notaire.

    • par laurent latapie avocat , Le 14 novembre 2018 à 08:33

      cher Monsieur, je ne peux que vous inviter à m’adresser de plus amples éléments à mon adresse électronique : latapie.avocat chez hotmail.fr
      dans cette attente
      bien cordialement
      Laurent LATAPIE Avocat

    • par Planson , Le 25 avril 2019 à 19:02

      Bonjour
      Nous avons achete un bien immobilier en 2009 et peu de temps après l achat, nous avons eu infiltration. Comme assurance décennale notre sur ac te notarié, nous avons contacte la notaire mais aucune assurance décennale n existait .
      Nous sommes allés en justice et le tgi a décidé résolution de la vente.
      Nous sommes allés en appel pour y incriminer la notaire car sa faute n était pas retenue car résolution !
      Nous avons rendu la maison .
      Résultat de l’appel ,elle s en sort indemne .
      Aujourd’hui nous n avons toujours pas récupéré l argent car le vendeur n a rien .
      Mais le crédit est toujours sur nos têtes.

      Il était spécifié sur tgi que si nous perdions la chance de récupérer l argent, la notaire serait mise in solidium
      Mais comment s y prendre alors que le tgi et cour d appel ont statue
      Nous nous sentons piégés
      Nous devons paye le crédit alors que la maison ne nous appartient plus et ne pouvons la faire vendre car hypothèque judiciaire qui était déjà sur la maison lors de notre achat mais à notre insu.
      Comment faire pour récupérer cet argent et nous soulager enfin de ce crédit.
      Merci de votre réponse

  • par Jo , Le 30 août 2017 à 13:17

    Cher Maître,
    Je me permets de commenter votre article, au demeurant très instructif, pour y ajouter la référence de l’arrêt en question : Cass. civ. 3, 1 juin 2017 n°16-14428.
    Bien à vous,

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