[Point de vue] République démocratique du Congo : le sens de la peine d’emprisonnement.

Par Selemani Ngwamba Perry Grace, Avocat et Mamba Kilembe Nancy, Assistante.

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Explorer : # souffrance carcérale # réinsertion sociale # conditions de vie en prison # criminalité et récidive

Cette recherche se veut être une recherche empirique. Par ce qu’elle va s’appuyer exclusivement sur des connaissances par l’expérience de vie carcérale. Elle cherche à comprendre le sens de l’emprisonnement auprès des personnes qui en sont victimes.
Cette Etude et analyse, permet de comprendre tant soit peu le discours sur la peine d’emprisonnement.Par ce que la peine d’emprisonnement apparaît ne plus s’adapter au contexte de la société moderne actuelle.

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Introduction.

Le Code pénal prévoit les peines applicables à ceux qui ont troublé l’ordre public et qui sont jugés par nos juridictions répressives. Ces mesures ordonnées par le juge ne sont pas souvent similaires. Ils prennent parfois des décisions, spécifiquement, celles de l’emprisonnement du délinquant. L’impression que cela donne est de faire subir un châtiment ou une punition au délinquant sans lui en donner le sens.

C’est sur cette hypothèse que cet article se propose d’étudier le sens de la peine à travers une analyse du discours de prisonniers de la prison Kasapa. Notons, que cette recherche répond à un objectif de nature à traverser tout le processus du champ pénal permettant à celui-ci de le questionner.

Toute peine est entendue par définition comme douleur, impossible de sortir de là (Catherine Baker, 2004:178). En ce sens, la notion de la peine a souvent été avancée dans le but de protéger la société des délinquants, de prévenir le crime etc… cela ne peut être possible que lorsqu’on intègre dans l’arsenal juridique des mesures capables de supprimer les causes de la criminalité permettant au délinquant de se réinsérer ou de se resocialiser bien facilement après sa période d’incarcération.

Et pourtant, le constat de l’architecture carcérale, la peine synonyme de la souffrance et l’Etat ne fait que punir et pour le public, l’emprisonnement est avant tout une œuvre de vengeance (Jacques Faget, 2005:151-152).

Les dispositifs pour améliorer les conditions de vie des incarcérés coûtent très cher et par conséquent, on investit de moins en moins dans les questions sociales de prévention, en amonts, avant la commission de l’infraction.

Il convient de préciser que cette recherche va mettre l’accent sur la peine d’emprisonnement qui fait davantage débat et qui est au centre de différents discours et écrits des auteurs, laquelle peine suscite une recherche avec des lunettes pénalistes afin de bien appréhender ce savoir scientifique.

I. Analyse du sens de l’emprisonnement.

Cette analyse va dans le but de cerner différents sens de la peine d’emprisonnement telle que vécu par les prisonniers. Ces derniers étaient appelés à répondre aux deux questions qui portent essentiellement sur :

1. Comment avez-vous vécu votre condamnation ?
2. Qu’est-ce que ça vous fait, lorsque vous pensez à votre condamnation ?

Ces questions nous ont permis d’appréhender la connaissance donnée dans cet article.

1. La peine de prison est une souffrance.

Cela ne fait pas doute des propos qui ont dû se résigner à ces conditions des souffrances ci-après :

« Je n’ai jamais vécu une telle souffrance… des mauvaises choses à manger, mal dormir …c’est pénible » (Paulin).

Ces mots qualifient l’emprisonnement d’une douleur physique subie par le corps, causé par des conditions difficiles de la vie carcérale. Cette douleur infinie qu’il qualifie de souffrance, donne un reflet de l’emprisonnement comme celui qui produit un état physique pénible.

A. La peine de prison : une souffrance inhumaine.

Mais quel type de souffrance s’agit-il ? Différente de celle que le législateur et les pénalistes entrevoient. C’est comme ça que Patient estime que :

« J’ai eu un sentiment particulier que je ne saurai définir, la condamnation à la prison n’a pas de sens pour moi, appart détruire ma vie ... » (Patient).

Le patient trouve que l’emprisonnement n’a pas de sens et que c’est irrationnel. Car l’impact et l’effet que la peine a sur l’individu ne favorise pas le sens de l’« humain ».

Par ce que les conditions d’incarcérations ne sont pas bonnes d’autres mesures devaient être envisagé qu’une peine d’emprisonnement.

B. Une nouvelle forme d’esclavagisme.

Le traitement subit a une connotation de l’esclavagisme. Le pouvoir de juger a permis de perdre le sens humain. Les êtres humains dans le modèle carcéral deviennent des objets de traitement dégradant. Ce qui est appuyé par ce propos :

« …condamner quelqu’un à la prison, c’est le soumettre à l’esclavagisme, car ici on ne mange pas bien, on ne dort pas bien, des conditions sanitaire difficile alors tout est difficile même » (Arsène).

En ce propos, Arsène compare traitement de l’homme qui reprend un contenu historique à l’esclavagisme caractérisé par la domination d’un peuple sur l’autre comme un état de violence mis sous la puissance des uns sur les autres.

2. Emprisonner c’est ôter la vie.

La comparaison analogique de la peine d’emprisonnement comme quelque chose qui ôte la vie. La peine d’emprisonnement est perçue comme un acte d’exclusion d’une personne de sa vie sociale comme le souligne ce propos :

« C’est vous enlever votre vie » (Arsène).

Dans ce récit, Arsène, perçoit que l’emprisonnement ôte la paix, la santé, le goût de vivre, l’honneur, le sommeil etc. Ce qui fait qu’elle fait cesser toute une vie.

3. La peine de prison : l’enfer ou la voie qui y mène.

La peine de prison comme un enfer ou la voie qui y mène, il faut cependant, reconnaître que l’« enfer » est par définition un séjour de mort. Comparer la peine de prison à cet endroit est caractéristique de quelque chose d’atroce et d’horrible que les humains ne peuvent supporter. Ce propos d’Alain, explique que :

« C’est le Transfert à la mort […] Il y a une réalité ici qui fait en sorte que si vous êtes condamnés à perpétuité, votre place n’est pas ailleurs qu’ici… vous allez passer toute une éternité ici » (Alain).

Alain perçoit la peine d’emprisonnement, pour lui, comme synonyme de transfert. C’est-à-dire sortir quelqu’un d’un lieu à autre. Ce milieu naturel où il vivait pour l’amener dans un autre milieu où il doit vivre.

4. La peine de prison : une mort sociale.

La peine d’emprisonnement est à la base de la mise à l’écart d’une personne dans une société donnée. Cette rupture sociale entre la personne, sa famille, (femme et enfants), la société est comme déstabilisatrice de l’estime de soi, de l’estime sociale, du statut social. Comme souligné en ce terme :

« C’est la mort, vivre ici » (Arsène).

La peine d’emprisonnement favorise la perte de l’estime de soi, ce qui semble être difficile à vivre et à comprendre pour ceux qui sont en prison.

5. Qui ne resocialise pas.

Resocialiser un délinquant c’est le rendre docile tout en le réadaptant positivement à la vie sociale, or, la peine d’emprisonnement révolte plutôt le délinquant au lieu de contribuer à son redressement. Tel que reprend ce récit :

« …la prison n’a rien de bon, il y a des gens qui ne méritent pas d’être en prison, par ce que j’ai eu à constater que la prison ne rééduque pas, elle rend les gens plus mauvais qu’avant » (Mihali).

Le suivi carcéral du délinquant reste un mythe dans notre système pénal, l’effet de l’enfermement n’aide le délinquant à s’améliorer pour éviter la récidive.

6. Favorise le mélange entre les vrais criminels et les faux.

La peine d’emprisonnement ne fait plus distinction entre les personnes. Ce mélange des grands et petits criminels compte tenu de la gravité des faits créent une promiscuité qui favorise l’apprentissage de la délinquance. Léon marie dit :

« Imagine lorsqu’on est en contact avec d’autre, on sent maintenant l’impact, on aide plutôt les gens à prendre courage d’affronter la justice et la souffrance permet à tous ces jeunes ici de s’habituer du coup rien ne change dans la société » (Léon Marie).

La peine de prison ne serait qu’une occasion ou un lieu de rencontre pour l’apprentissage criminel. Cette école de délinquance favorise la criminalité. Car la majorité des gens qui y sont condamnés, y sont pour un faible taux des peines. La promiscuité dû à la surpopulation carcérale permet un apprentissage criminel.

7. La peine de prison : un danger sur le plan sanitaire.

Les conditions de vie carcérales sont précaires et l’Etat s’investit moins pour cette question. Ces besoins sanitaires, avec la prise en charge des détenus contre les maladies contagieuses devient un casse-tête. Le risque de contamination élevé suite à la surpopulation dans ce milieu fait en sorte que la peine d’emprisonnement soit l’exposition à un danger réel sur le plan sanitaire comme repris dans ce récit :

« Condamner quelqu’un pour moi c’est exposer quelqu’un au danger » (Erick).

La vie humaine tient à certaine condition pour sa survie. Or la prison a été plusieurs fois décriée comme étant un lieu où la santé humaine était tellement fragile. Car dépourvue de moyen nécessaire pour faire face à la surpopulation carcérale. Ce qui constitue un danger permanent pour cette population qui y habite. Car la promiscuité impose une vie qui manque assez d’hygiène avec des installations qui ne favorisent des conditions sanitaires adéquates.

8. Qui remet le compteur de la vie à zéro.

L’emprisonnement place l’homme dans des situations de dépossession de sa vie et ainsi une mise en question de son chemin de vie. Cette désorientation créée en lui une sorte de perte, l’individu adopte une attitude inverse, ou il passe tout son temps sur place, en regardant les quatre murs sans rien faire. Comme est repris dans ce récit :

« Ça ramène ma vie à zéro » (Erick).

La peine ne prive pas seulement la liberté mais anéantis toute la vie. La personne se trouve enfermer, sans rien faire et de projet bloqué. Il vous rend immobile et improductif pour signifier le compte à rebours pour ses projets de la vie anéantis par les temps qui passent en prison.

9. Hypothèque l’avenir.

L’emprisonnement compromet l’avenir. Cela veut dire qu’il arrête tout par son passage dans la vie. Non seulement elle prive la liberté, mais, elle crée des obstacles pour l’avenir et empêche ainsi au condamné d’avoir accès à un avenir radieux. C’est comme ça que Junior estime qu’ :

« Elle m’a fait rentrer en arrière, ça me cause du retard dans la vie, dans 2 ans je devais avoir ma licence qui est quelque chose de bon » (Junior).

L’emprisonnement constitue un événement qui contribue à la régression. Car il cause du retard selon le calendrier de la personne et hypothèque tout un avenir. Partant d’un avenir incertain la peine de prison a été un événement qui ne lui permet pas de faire du survol.

Discussion.

L’administration pénitentiaire a été souvent déclarée comme une administration d’exclusion et la prison est restée longtemps un monde clos (Jacques Faget, 2005:148). C’est quelque chose qui se dit rarement, mais lorsque l’on analyse les discours sur la pénalité dans le milieu des juristes, cela est la première représentation de la peine d’emprisonnement depuis que les institutions pénitentiaires existent. Ainsi, l’entreprise ne peut réussir que si elle s’inscrit dans une mécanique naturelle (Michel Foucault, 1970:123). Dans ce sens, réussir la réinsertion d’un délinquant demande, de la part de l’autorité compétente, la mise en place des mesures qui rendraient possible la réinsertion sociale.

La prévention de la récidive est l’une des visions de chose qui évolue progressivement. La difficulté de prison, la qualité d’accompagnement carcéral et des moyens mis en place pour donner sens au temps passé en prison restent des questions qui ne trouvent jusqu’à lors aucune réponse.

La question que nous devrions nous poser avant ou au moment du prononcé de la peine d’emprisonnement, est celle de savoir si le choix de la peine d’emprisonnement serait la réponse aux problèmes du délinquant.

Cela permettrait également au juge de savoir quelle peine serait réellement la réponse face au comportement socialement prohibé. C’est-à-dire les peines qui soient naturelles par l’institution et qui reprennent dans leur forme le contenu du crime, (Michel Foucault, 1970:124). Cette question ne touche vraiment pas la sensibilité des juristes. Connaitre la peine appropriée au crime commis et au délinquant. Savoir si la peine choisie répond aux problématiques de la personnalité du délinquant et si son application lui permettrait de régler les questions qui ont concouru au passage à l’acte ; tels devraient être au centre de questionnement lors du choix des peines à appliquer en cas condamnation.

Conclusion générale.

Notre étude a exploré systématiquement les discours des condamnés sur le sens de la peine d’emprisonnement. Après une longue littérature consultée et des entretiens réalisés, nous concluons par dire que la méthode qualitative qu’est le récit de vie a été choisie pour nous permettre de recueillir des données.

Car celle-ci permet d’appréhender le sens que les individus donnent de son expérience de la peine d’emprisonnement. Ce qui nous a permis de pouvoir arriver aux résultats que nous avons développés ci-haut. Nous avons recueilli huit entretiens qui nous ont permis d’analyser et comprendre le sens de la peine de prison.
Nous avons analysé les récits des enquêtés, ce qui nous a permis de dégager les concepts exploités dans cet article.

Nous dégageons un certain nombre d’éléments de notre analyse des récits qu’enquête pour retenir un concept qui peut expliquer d’une manière générale les autres concepts comme : « une souffrance », « ôter la vie » « l’enfer ou la voie qui y mène » « renforce la délinquance » etc…cela nous a conduit à une conceptualisation qui retient et explique à la fois tous les éléments significatifs du sens de la peine que nous avons dans le cadre de cette recherche.

La prison ne satisfait pas à sa prétention d’insertion, car elle n’arrive pas à transformer ce que Blatier (2014:5) appelle « la personnalité criminelle » définie comme la somme des modes comportementaux actuels ou potentiels déterminés par l’hérédité ou l’environnement.

On peut cependant se demander si la personnalité criminelle peut être transformée par un enfermement sans aucune autre mesure de conscientisation. Car ce point de vue fondé sur la criminologie du passage à l’acte, considérant le délinquant comme criminel-né, oriente à un contrôle social plus sévère de la délinquance et du délinquant conçu comme un monstre qu’il faut écarter, faire souffrir avec un traitement spécial que nous avons qualifié d’« esclavagisme ».

Bien que toutes les peines s’équivaillent et qu’il y ait des récidives partout, comme le reconnait Cusson, il n’y a donc pas de fondement d’apprécier uniquement la peine de prison comme la seule efficace. Mais parmi les causes de cette préférence, il y a aussi l’ignorance des justiciables.

Les critiques du système pénale donnent la prétention d’administrer des punitions, justes proportionnées et dissuasives alors que dans la pratique, il ne le fait pas. Par ce que selon les termes des enquêtés la justice se réduisait au « monnayage » des décisions.

Dans son Crime, shame and reintegration, comme nous l’avons souligné dans nos précédentes publications qu’il soutient que les sociétés dont les taux de criminalités sont les plus bas, couvrent de honte le comportement criminel de manière la plus efficace. Il distingue ainsi, faire honte dans le but de réintégrer et stigmatiser. Le premier prévient la criminalité alors que le deuxième aggrave le problème ce qui est le cas dans notre société.

Pour cet auteur, la stigmatisation fait honte en créant des exclus, elle est irrespectueuse et humiliante. Elle traite les délinquants comme des gens mauvais, ayant commis des actes malveillants.

Mais, en raison de leur effet stigmatisant, les prisons empirent les choses pour ceux dont l’incarcération vient affirmer l’identité criminelle, pour ceux que la stigmatisation mène à chercher un réconfort dans la compagnie d’autres exclus, pour ceux qui considèrent la prison comme une institution d’enseignement permettant l’acquisition des nouvelles compétences utiles sur le marché hors- la- loi.

Bibliographie.

Jacques Faget, Sociologie de la délinquance et de la justice pénale, Paris, Editions Erès, 2007.
Kensey Annie, (2007), Prison et récidive, des peines de plus en plus longues : la société est-elle vraiment mieux protégée ?, éd. Armand Colin, Paris.
Gailly Philippe et Alii, (2011), La justice restauratrice, Bruxelles, éd. Larcier.
Blatier Catherine, (2014), Les personnalités criminelles, évaluation et prévention, Paris, Dunod.
Foucoult Michel, (1975), surveiller et punir : la naissance de prison, Paris, Gallimand.

Est assistant de recherche à l’Université de Lubumbashi et également avocat au Barreau près la Cour d’Appel de Kinshasa Matete

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