De l’exclusion des régimes foncier, forestier, agricole et minier en droit congolais : piste de solutions.

Par Annie Kakonde Mukadi.

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Explorer : # droits fonciers # conflits juridiques # exploitation minière # solutions législatives

Les droits foncier, forestier, agricole et minier sont organisés par des textes des lois divergentes. Cet état des choses donne l’impression que ces régimes cohabitent paisiblement alors qu’ils s’excluent.
Nous nous proposons un examen des problèmes que pose l’application des codes susvisés sur les mêmes espaces et de suggérer les voies et moyens pour les résoudre.
Notre préoccupation majeure et de trouver des solutions pour l’établissement d’un équilibre entre ces droits distincts en suggérant la cartographie minière et la gestion unique pour ces régimes qui semblent coexister alors que ce n’est pas le cas.

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Introduction.

Les régimes foncier, forestier, minier, agricole et pétrolier sont définis par les législations différentes qui sont le Code foncier, le code forestier, le Code minier, la loi agricole et le Code des hydrocarbures.

L’édiction de ces textes des lois donne l’impression que les régimes susvisés coexistent sur les mêmes espaces qui s’affichent comme leur support commun. Or, la réalité est toute autre.

Nous nous proposons d’analyser dans les lignes qui suivent, les problèmes que pose l’application des codes susvisés sur les mêmes espaces et de suggérer les voies et moyens pour les résoudre.

Notre préoccupation majeure est de rechercher les mécanismes juridiques susceptibles de conduire à l’établissement d’un équilibre entre les régimes définis par les codes pré-rappelés et ce, au regard de leurs finalités qui sont divergentes et diamétralement opposées.

Dans le premier point du propos, nous traitons de la portée des droits miniers, fonciers, forestiers, agricoles et pétroliers et leur cohabitation apparente (I). Dans le deuxième point, nous analysons les frictions qui résultent de la coexistence des droits que les codes organisent sur les mêmes espaces (II) et dans le troisième point, nous focalisons l’attention sur l’insécurité juridique comme conséquence du primat reconnu au droit minier par rapport aux autres droits sur le sol (III) et suggérons la piste de solution.

I. Portée et étendue des droits miniers, forestiers, fonciers et agricoles ainsi que leur cohabitation apparente en RDC.

Nous examinons en premier temps l’approche lexicale (§1) suivie des finalités des droits fonciers, forestiers, miniers, agricoles et pétroliers (§2).

§1. Approche lexicale.

D’entrée de jeu, nous révélons que la coexistence est significative de la cohabitation. Elle est le fait d’habiter dans un même lieu sur un même territoire. (Patricia Marie and all, 2016 : 262)

Elle présuppose également le fait d’exister en même temps. Elle peut être pacifique ou conflictuelle. La coexistence pacifique implique la renonciation à toute forme de conflit [1].

Patricia Marie and all (2006 : 61) enseignent que le verbe coexister peut-être perçu comme le synonyme d’exister simultanément, « Vivre les uns à côté des autres en se tolérant mutuellement. Plusieurs générations coexistent dans les villages ». La coexistence conflictuelle est perçue comme une opposition des sentiments entre des personnes ou des groupes des gens vivant dans un même lieu, elle est l’opposée de la coexistence pacifique puisqu’elle rime avec le désaccord et le manque d’harmonie entre individus ou groupes d’individus [2].

Les droits fonciers, forestiers, miniers et agricoles qu’organise le droit congolais ont des portées et finalités divergentes.

§.2. Finalités des droits fonciers, forestiers, miniers et agricoles.

Bien que coexistant sur les mêmes sols et sous-sol, les droits fonciers, forestiers, miniers, agricoles et pétroliers ont des finalités différentes qui sont perceptibles dans leur approche par l’Etat et les populations. L’appréhension desdites finalités aide à comprendre le nœud des problèmes à la base des conflits qui opposent les différents concessionnaires.

1. Rôle et fonctions des droits fonciers.

Les droits fonciers assument plusieurs rôles et fonctions.

Au regard de l’article 65 du Code foncier, les terres de la République Démocratique du Congo peuvent être concédées à des particuliers compte tenu de leur qualité propre ou de leur valeur individuelle, agricole, commerciale ou résidentielle.

L’article 7 de la loi de 1973 relative aux régimes des biens, régime foncier et mobilier et régime des sûretés énonce qu’en vertu des droits qui leur sont concédés, les concessionnaires fonciers perpétuels et ordinaires ont chacun le droit de construire, de planter, de disposer des constructions, des bois, arbres et autres plantes se trouvant sur le fond lors de leur entrée en jouissance. Ils ont également le droit de chasser et de pêcher s’il y a lieu sur les terrains qui leur sont concédés. Sans préjudice de la législation minière, ils peuvent extraire du fond des pierres, de l’argile et autres matières semblables. En son article 8 ter, elle dit qu’en dehors des concessions ordinaires et perpétuelles, les droits fonciers comprennent l’emphytéose, l’usufruit et l’usage.

Les concessions foncières donnent lieu, lorsqu’elles sont mises en valeur, à la création des habitats sous forme des quartiers, communes et villes.

Comme nous le savons, la ville constitue le pivot du développement tant économique, social, culturel que politique. Elle est perçue comme le centre névralgique apte à impulser l’évolution de mentalité, l’esprit de créativité et la cohésion entre les populations. Ces dernières viennent de partout pour habiter la ville. Cela entraîne le brassage des habitudes, des mœurs et des manières d’agir et de penser.

Hormis les terres urbaines, les terres rurales apparaissent comme un élément d’identification des populations. Elles sont subdivisées en chefferie, secteurs et villages [3].

Pour le dire autrement, elles confèrent la nationalité congolaise aux peuples qui y habitent depuis des époques reculées dans le temps. L’article 10 alinéa 3 de la Constitution est explicite à ce propos lorsqu’elle énonce que : « est congolais d’origine, toute personne appartenant aux groupes ethniques dont les personnes et le territoire constituaient ce qui est devenu le Congo (présentement la République Démocratique du Congo) à l’indépendance ».

Bien que l’appropriation publique du sol et du sous-sol soit consacrée par la Constitution et la loi foncière, les populations locales continuent de se considérer comme étant des véritables propriétaires des terres qu’elles habitent (Article quater de la loi de 1973 relative aux régimes des biens, régime foncier et mobilier et régime des sûretés).

Cet état des choses ne manque pas de générer des conflits entre l’Etat et les populations locales d’une part, et entre les concessionnaires et les villageois, d’autre part.

2. Rôle et fonctions des droits agricoles.

Le sol congolais est perçu également comme le socle de l’agriculture qui est proclamée par les pouvoirs publics comme étant la priorité des priorités (Article 8 quininies de la loi de 1973 relative aux régimes des biens, régime foncier et mobilier et régime des sûretés). Dans cette optique, l’Etat ne s’est pas empêché de faire édicter la loi portant les principes fondamentaux régissant l’agriculture que d’aucuns qualifient de code agricole.

Le législateur congolais a, en date du 24 décembre 2011, adopté la loi n° 11/022 portant principes fondamentaux relatifs à l’agriculture.

La loi agricole édicte le régime juridique propre aux terres agricoles et détermine les modalités d’accès à celles-ci ainsi que la manière dont elles doivent être gérées. Le régime susdit côtoie les régimes foncier, forestier et minier qui existent dans l’ordonnancement juridique congolais.

S’agissant du mode d’octroi des terres affectées aux activités agricoles ; le législateur a opté pour la formule de concession agricole qui, au regard de l’article 3 de ladite loi, s’appréhende en termes de contrat ou convention conclu entre l’Etat et un opérateur agricole, permettant à ce dernier d’exploiter le domaine privé de l’Etat dans les limites précise en vue d’assurer la production agricole. Signalons en passant qu’il existe deux types d’exploitation agricole dont familiales et industrielles.

L’agriculture a une importance non négligeable dans notre pays. Les politiques agricoles ont pour finalité d’assurer l’autosuffisance alimentaire des congolais, de limiter l’ importation des produits agricoles tels que : le café, le cacao, le caoutchouc, le maïs, le riz, le sucre, etc… [4].

3. Rôles et fonctions des droits forestiers.

L’article 9 du Code forestier de 2002 énonce que le territoire congolais renferme des étendues énormes des forêts. Comme le sol et le sous-sol, les forêts appartiennent à l’Etat et les particuliers ne peuvent acquérir sur elles que le droit de jouissance par le biais de concessions. Toutefois, tenant compte des intérêts des populations vivant dans les forêts, l’Etat a reconnu à ces derniers certaines prérogatives. En effet, les arbres situés dans un village, son environnement immédiat ou dans un champ collectif ou individuel, sont la propriété collective du village ou celle de la personne à laquelle revient le champ.

L’octroi d’une concession forestière confère un droit réel sur les essences forestières concédées, à l’exclusion d’un quelconque droit sur le fonds de terre. De même, les forêts naturelles ou plantées comprises dans les terres régulièrement concédées en vertu de la législation foncière appartiennent à leurs concessionnaires [5].

Le bois est une matière première. Comme on le sait, les forêts absorbent le carbone, les gaz à effet de serre qui sont nuisibles à la santé. Leur incidence sur la biodiversité est immense.

Les forêts préservent les écosystèmes forestiers et la biodiversité forestière au profit des vivants actuels et des générations futures. Cela met en exergue la valeur socio-économique et environnementale de la forêt » [6].

A son article 8, le Code forestier de 2002 enseigne que le concessionnaire forestier peut obtenir sur sa concession, une concession foncière superficiaire pour ériger les constructions nécessaires aux activités de l’exploitation.

Plus loin, à son 36èmè article, elle renchérit en disant que les droits d’usage forestier des populations vivant à l’intérieur ou à la proximité du domaine forestier sont ceux résultant des coutumes et traditions locales pour autant que ceux-ci ne soient pas contraires aux lois et à l’ordre public. Ils permettent le prélèvement de ressources forestières par ces populations en vue de satisfaire leurs besoins domestiques, individuels ou communautaires.

4. Rôle et fonctions des droits miniers.

Les gisements miniers sont logés dans le sol et le sous-sol qui sont les composantes de la terre. Tenant compte de leurs importances économiques, le législateur les a placés sous un régime différent du régime foncier. Il s’agit du régime minier qui consiste en ce que l’exploitation des ressources naturelles soit soumise à des autorisations administratives qui sont : le Permis de Recherche, le Permis d’Exploitation, le Permis d’Exploitation de Petite Echelle et le Permis d’exploitation des Rejets [7].

A ceux-ci s’ajoutent les autorisations de recherche et d’exploitation des substances des carrières.

Du point de vue minier, l’attribution essentielle du Permis d’Exploitation, est l’extraction et le traitement du minerai tant en surface qu’en profondeur dans le massif qui se projette verticalement au-dessus du périmètre d’exploitation.

Paul Orban (1938 : 77-78) explique que ce droit est, toutefois, limité à la substance ou aux substances visées au Permis d’Exploitation. Les autres substances restent la propriété du concédant, qui peut les revendiquer si elles ont été extraites abusivement ou se faire payer la valeur, déduction faite, toutefois, de tous les frais qui ont été nécessaires pour mettre à jour les minerais et éventuellement pour leur réalisation, nul ne pouvant s’enrichir au détriment d’autrui.

Généralement, les mines sont implantées sur les terrains inoccupés. Eu égard aux avantages que les exploitants miniers offrent, les populations viennent s’agglomérer autour des centres miniers. De même, il arrive que les mines soient découvertes dans les centres urbains.

Tenant compte de ce fait, l’article 279 du Code minier restreint le titulaire du droit minier dans son exercice. Cette disposition indique que : Nul ne peut occuper un terrain :
- réservé pour un cimetière ;
- contenant des vestiges archéologiques ou un monument national ;
- situé sur ou à moins de nonante mètres d’un barrage ou d’un bâtiment appartenant à l’Etat ;
- proche des installations de défense nationale ;
- faisant partie d’un aéroport ;
- réservé à la pépinière pour forêt ou plantation de forets ;
- situé à moins de nonante mètres des limites d’un village, d’une cité, d’une commune ou d’une ville ;
- constitue une rue, une route ;
- compris dans un parc national.

Dans le même sens, l’article susvisé relève que : « Sauf consentement du propriétaire ou occupant légal, nul ne peut occuper un terrain situé moins de :
- cent quatre-vingt mètres des maisons, des bâtiments occupés, inoccupés ou temporairement inoccupés ;
- quarante-cinq mètres des terres sarclés et labourées pour clôture de ferme ;
- nonante mètres d’une ferme ayant un élevage et de bovins, un réservoir, un barrage ou une réserve d’eau privée
 » (article 279 du Code minier de 2018).

Eu égard à ces divers éléments et paraphrasant un auteur, nous disons « qu’à la délivrance des titres miniers ou des carrières, il préexiste dans les périmètres y afférents, des terrains restreignant l’occupation du titulaire. Ces terrains constituent des zones de restrictions prévus à l’article 279 du Code minier, ils naissent donc pendant l’exercice des droits miniers ou des carrières par leur titulaire » [8].

Les terrains qualifiés de zone de restriction sont de deux ordres selon que leur occupation est subordonnée à l’autorisation de l’autorité publique ou au consentement du propriétaire ou occupant légal [9].

L’interdiction d’occuper ces terrains est motivée par le souci de protéger la population environnante et ses biens contre une activité minière [10].

Aux termes des dispositions de l’article 280 du Code minier, le titulaire des droits miniers ou l’amodiataire est, de plein droit, tenu de réparer les dommages causés par les travaux, même autorisés qu’il exécute dans le cadre de ses activités minières. La mise en œuvre de cette responsabilité peut conduire au paiement d’une indemnité aux occupants du sol dont la jouissance est troublée dans le cas de mutation d’un droit minier d’exploitation ou d’une autorisation d’exploitation des carrières permanentes et le montant devra correspondre soit au loyer, soit à la valeur du terrain lors de son occupation, augmentée de la moitié. Un règlement à l’amiable est possible dans les conditions prévues par l’article 281 du Code minier. Il importe de noter que le législateur a séparé le régime des hydrocarbures du régime minier.

II. De la friction entre les régimes foncier, forestier, agricole et minier en RDC.

A ce sujet, nous examinons la problématique de la cohabitation des droits miniers, fonciers, forestiers, agricoles et pétroliers (§1) et l’exclusion qui existe entre lesdits droits (§2).

§1. Problématique de la cohabitation des droits miniers, fonciers, forestiers.

La lecture de l’article 279 du Code minier fait penser à une coexistence parfaite des droits susvisés. Cette coexistence s’explique par le fait qu’ils s’imbriquent sur les mêmes sols et sous-sols compris dans les mêmes limites territoriales de l’Etat congolais.

La cohabitation est possible seulement si les gisements miniers ne se trouvent pas en dessous des fermes, des concessions foncières et forestières ou pour mieux dire, en dessous des terres occupées déjà.

Théoriquement, les droits fonciers, forestiers, miniers, agricoles et pétroliers peuvent s’exercer sur les mêmes terrains ou sur les terrains contigus. Cet exercice est possible si tous les droits sont concentrés dans les mêmes mains. Mais lorsqu’ils sont détenus par des personnes différentes, leur exercice postule des compromis susceptibles d’énerver les législations qui les consacrent. Leur catégorisation par le législateur a débouché sur la prévalence de certains d’entre eux sur les autres. Cet état des choses ne va pas sans occasionner des frictions.

§2. De l’exclusion des régimes agricoles, fonciers, forestiers, miniers et forestiers.

Lorsqu’on lit tel ou tel autre article du Code minier, on comprend que cette coexistence pose problème. En effet, l’article 281 du Code minier autorise le titulaire du permis d’exploitation à faire partir le concessionnaire foncier dès lors que les filons miniers se prolongent en dessous de la concession foncière. Le droit d’occuper le sol ne confère pas au titulaire de la concession foncière le droit d’exploiter les minerais qui sont dans le sous-sol. Cela s’explique par le fait que les ressources minières appartiennent à l’Etat.

Le concessionnaire forestier n’a pas non plus le droit d’exploiter les minerais qui se trouvent dans le sous-sol au regard de l’appropriation publique de ces derniers.
A vrai dire, la gestion de ces droits pose problème au regard du principe de primauté réservé au droit minier par rapport aux autres secteurs.

Concrètement, et eu égard à la valeur économique des gisements miniers, le législateur octroie aux détenteurs des droits miniers des prérogatives conduisant à l’éviction des titulaires des autres secteurs.

Comme l’indique Dieudonné Tshizanga (M. 2014 : 38-63), le primat dont jouit l’exploitation minière procède du régime juridique qui lui est applicable et a pour conséquence l’exclusion de toute coexistence sur les mêmes espaces de l’habitat et des activités agricoles.

Adolphe Bambi (2012 : 10-11) estime pour sa part que « l’une des problématiques majeures résulte dans la friction de ces droits. Il est souvent arrivé qu’un concessionnaire foncier revendique la propriété des droits miniers couverts par sa concession foncière. Tout comme un chef de terre le ferait pour ce qui concerne les forêts (les communautés locales). La raison ? C’est notamment la connexité ou le rattachement de ces droits au sol. Il n’existe en effet pas de forêts, de mines et d’espaces fonciers qui ne soient indissociables du sol ».

La primauté dont bénéficie le titulaire des droits miniers par rapport aux autres le fonde à faire expulser ces derniers de son périmètre minier.

1. La délocalisation des villages et des concessionnaires fonciers urbains.

La délocalisation des communautés locales par les compagnies minières est monnaie courante et est fondée sur la prééminence du régime minier sur le régime foncier. Les villages, les communautés locales ayant des concessions foncières en vertu du droit coutumier, les concessionnaires fonciers ayant des droits fonciers constatés par les titres à savoir : les contrats de concession et les « certificats d’enregistrement » sont tenus de vider le lieu et d’aller s’installer ailleurs, tout en laissant les terrains à la disposition du concessionnaire minier moyennant une indemnité correspondant à la valeur d’un terrain plus la moitié. Cette indemnité est perçue en termes de compensation mais elle ne répare pas les préjudices moraux et culturels que subissent les délocalisés qui sont obligés d’aller reprendre leur vie à zéro et ailleurs en abandonnant leurs cimetières, champs et habitations familiales.

Dans une conférence sur la régulation des espaces terrestres et le développement de la R.D.C, Dieudonné Tshizanga (2006) estime que bien que le sol et le sous-sol congolais aient fait l’objet d’appropriation par l’Etat, les communautés locales continuent à considérer les terres qu’elles occupent comme étant leur propriété collective qui procède du droit du premier arrivant ou de la première occupation et du droit d’usage. Leur rapport à la terre est fondamental puisqu’il s’agit de la base même de la survie du groupe.

Dans beaucoup des cas, les villageois se refusent à quitter les terres qu’ils habitent, ce qui donne lieu à des délocalisations forcées qui débouchent sur les émeutes et les contestations des Organisations Non Gouvernementales.

Au reste, les lieux choisis pour leur installation ne sont pas à leur goût. Certains sont arides et impropres à la culture des vivres et sont dépourvus de l’eau potable.

La délocalisation des villageois coupe pratiquement le lien ou le cordon ombilical entre les occupants et les ancêtres décédés.

Dans l’imaginaire populaire, les villages constituent le soubassement de la force vitale des communautés et les lieux de communion entre les vivants et les aïeux décédés.

De même, les citadins déguerpis par les titulaires des droits miniers rechignent à quitter les lieux. Ils perçoivent leurs habitations comme des richesses ou mieux comme un symbole de maturité leur conférant un statut social ou un degré de l’évolution dans la société où ils vivent.

2. Les cas de délocalisation ci-dessous ont défrayé la chronique.

A. Le cas des villages Kamukinda et de Kambimbi à Kolwezi.

Forte de ses droits miniers et ce, en vertu de l’article 281 du Code minier tel que modifié et complété par la loi n° 18/001 du 09 mars 2018, la société TCC a en date du 10 avril 2019, délocalisé les populations des villages Kamukinda et Kambimbi à Kolwezi. Ces villages ont renfermé un site de localisation d’une partie de la cité Kasulo que le gouvernement central avait transformée en Zone d’Exploitation Artisanale (ZEA) en 2017 pour lutter contre l’exploitation clandestine dans des maisons et assainir la chaine d’approvisionnement des minerais de cuivre et cobalt selon les principes de Diligence Raisonnable de l’OCDE (Précius Kanambuy, 2019 : 10-11).

B. Le cas du cimetière de Kalukuluku.

Dans la même veine, la société Ruashi Mining a, en juin 2020, envisagé d’étendre son exploitation minière sur le périmètre où se trouve le cimetière de Kalukuluku à Lubumbashi. La population environnante s’est soulevée pour exprimer son indignation surtout que le dernier cadavre venait d’y être enseveli.

C. Le cas du Lycée des jeunes filles de Lubusha.

Le lycée des jeunes filles de Lubusha qui est situé à Luisha dans les périphéries de la ville de Likasi, a failli être détruit par une société minière dont le périmètre minier englobe le terrain dudit lycée, n’eurent été des protestations des Organisations Non Gouvernementales des femmes, la société civile, des anciennes élèves dudit lycée et de l’Eglise catholique.

Le même problème de délocalisation du lycée Lubusha par les sociétés minières est d’actualité à ce jour. L’église catholique ou les mamans ont marché sur ordre de l’Archevêque Muteba Mugalu soutenant la protection de l’éducation de la jeune fille de Luisha.

Signalons qu’à la rentrée parlementaire : le dossier Lycée Lubusha était dans le gibecière du Député Nanou Memba.

Le lycée fut construit par un ancien Directeur Général de la Gécamines à l’époque « Union Minière du Haut - Katanga » au profit des enfants de ses travailleurs. La société a échoué de délocaliser le lycée malgré le contenu du sous-sol et la rigueur de la législation minière.

D. Le cas de la concession de Kilobelobe.

Un autre conflit du genre a opposé l’entreprise Malta Forrest, titulaire d’une autorisation d’exploitation de carrières à un titulaire d’une concession foncière au sujet d’une concession couverte par les deux titres. Dès lors que l’exploitation de la carrière par l’entreprise Malta Forrest devait nécessiter les travaux de découverte sur le périmètre litigieux, le concessionnaire foncier devait quitter les lieux, les deux protagonistes ne pouvant survivre sur les espaces où les droits disputés se superposent ou se chevauchent. En définitive, le concessionnaire foncier a dû capituler.

Toutefois, le cadastre minier a annulé l’avis favorable émis en faveur de l’entreprise Malta Forrest en se ralliant à l’article 154 du Code minier qui traite du consentement précédant.

III. De l’insécurité juridique comme conséquence du primat reconnu au droit minier par rapport aux autres droits sur le sol.

Comme relevé ci-haut, les titulaires des droits miniers sont fondés à exclure les titulaires des droits fonciers, forestiers et agricoles dès lors que ces derniers portent sur leurs polygones miniers.

Bénéficiant des mêmes prérogatives que les droits miniers, les droits des hydrocarbures évincent généralement les droits fonciers et les droits agricoles ainsi que les droits forestiers qui sont octroyés dans les mêmes périmètres.
Cet état des choses ne va pas sans soulever des conflits entre les titulaires des droits miniers et les autres. Ces conflits se traduisent par les émeutes, des troubles à l’ordre public.

La prévalence de droit minier procède de ce que les pouvoirs publics congolais appréhendent les ressources minières comme une source importante des revenus.

Cela se traduit par le fait que le quadrillage cadastral minier qu’il prône est l’expression éloquente de la prédominance des activités minières dans l’économie congolaise et présuppose que tout le territoire congolais est exploitable, au plan minier, dès lors que les gisements miniers sont découverts peu importe les lieux (Dieudonné Tshizanga ; 2014 : 39).

L’article 281 alinéa 2 du Code minier proclame clairement que : « Le territoire national fait l’objet d’un quadrillage cadastral minier selon le système des coordonnées appropriées précisé dans le règlement minier ». C’est ainsi que « Toute occupation de terrain privant les ayants-droits de la jouissance du sol, toute modification rendant le terrain impropre à la culture entraîne, pour le titulaire ou l’amodiataire des droits miniers et/ou de carrières à la demande des ayants droit du terrain et à leur convenance, l’obligation de payer une juste indemnité correspondant soit au loyer, soit à la valeur du terrain lors de son occupation, augmentée de la moitié ».

Par le sol dont il est question à l’alinéa ci-dessus, il faut entendre le sol sur lequel les individus ont toujours exercé ou exercent effectivement une activité quelconque.
En exécution de cette disposition, bon nombre des titulaires des droits miniers se sont employés à délocaliser les villageois vivants sur les terres comprises dans leurs périmètres miniers y compris les concessionnaires forestiers et agricoles.

Que faire pour résorber l’insécurité découlant du primat dévolu aux droits miniers ?

Pour résoudre le problème lié à l’insécurité juridique sus-relevé, il est utile que les espaces terrestres de la RDC soient cartographiés de telle sorte que les uns soient dédiés aux activités foncières, forestières, agricoles et les autres aux activités minières et pétrolières.

Cette façon d’agir renforcera la sécurité juridique et la paix sociale tant recherchée.
Pour une meilleure coordination de la gestion des espaces ainsi dédiés, le cadastre minier, foncier et autres existants doivent être fusionnés en un seul cadastre doté des registres spécifiques pour chaque catégorie d’espace.

Bien plus, le gouvernement congolais doit diversifier ces sources des revenus en encourageant les activités agricoles, forestières et autres.

Conclusion.

Etant organisés par des textes des lois divergentes, les régimes miniers, fonciers, agricoles, forestiers et pétroliers ont généré des conflits entre les titulaires desdits droits. Des frictions qui en ont découlé ont créé une insécurité juridique déconcertante, hypothéquant la paix et la quiétude des populations.

Les délocalisations opérées par les titulaires des droits miniers en vertu de la prévalence de leur droit ont donné lieu à des troubles et des mécontentements des victimes.

Pour obvier à ces difficultés, il s’avère nécessaire de quadriller les terres en tenant compte de leurs finalités. Il faudrait que l’Etat fasse une cartographie minière du Congo qui permettra de localiser les sites miniers, ce qui fera que la terre, le sol et le sous-sol qui ne contiennent pas des minerais seront gardés pour l’habitat et l’agriculture. Les terres forestières ne seront destinées qu’à la biodiversité et à la conservation de la nature. En revanche, les sites minéralogiques seront réservés aux activités minières et pétrolières.

Carreler la République tout entière sera une bonne solution pour équilibrer les choses.

Les pouvoirs publics peuvent aussi penser à une gestion unique de tous ces régimes. Cela signifie qu’il faut un seul législateur pour tous ces droits afin de bien les coordonner.

Références.

I. Textes légaux.

1. Loi n°73/021 du 20 juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier et mobilier et régime des sûretés.
2. Loi n° 011/2002 du 29 aout 2002 portant Code forestier, JORDC, 43ème année du 31 avril 2002.
3. Loi n° 11/ 022 portant principes fondamentaux relatifs à l’agriculture, in JORDC, n° spécial du 27 décembre 2011.
4. Loi n° 007/2002 du 11 juillet 2002 telle que modifiée et complétée par la loi n° 18/001 du 09 mars 2018, in JORDC, n° spécial du 28 mars 2018.

II. Bibliographie.

A. Ouvrages.

1. Adolphe Bambi Kabashi, Le droit minier congolais à l’épreuve des droits fonciers, L’Harmattant, Paris, 2012.
2. Emery Mukendi Wa Fwana, Droit minier congolais, Juriscongo, Kinshasa, Aout 2005.
3. Grégoire Bakandeja Wa MpuLoingu, Droit minier et des hydrocarbures en Afrique centrale, Larcier, Bruxelles, 2009.
4. Paul Orban, Droit minier du Congo belge, Bruylant, Bruxelles, 1938.
5. Patricia Maire, Michel Giraut et Natalie Lankriet, Larousse maxi-poche, Dictionnaire Larousse, Paris, 2006.

B. Articles.

1. Dieudonné Tshizanga Mutshipangu, « Le Code minier, le Code foncier et le Code forestier : Quelles mesures de sécurité pour une paix durable ? », in conférence sur la régulation des espaces terrestres et le développement économique de la RDC. « Problématique et perspectives », Kinshasa, 2006, inédit.
2. Dieudonné Tshizanga Mutshipangu, « Exploitation minière et protection des exploitants agricoles en RDC », in « les conditions d’un développement durable en RDC ». Espérance, Marcq-en Baroeul, 2014.
3. Précious Kanambuy, « Constat amer sur la vie des villageois de Samukinda et Kambidi », in Mining News Magazine 149-avril 2019, Edition International Bilingue.

III. Webographie.

1. Philippe Makambo Mafelly, « L’agriculture : moteur du développement de la RDC ». Congo vision, Los Angeles (USA) 17 février 2007, mars 2011.

Annie Kakonde Mukadi
Assistante /Faculté de Droit / Université de Lubumbashi / République Démocratique du Congo

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Notes de l'article:

[1Patricia Marie and all, 2016 :262.

[2Patricia Marie and all, 2006 : 288.

[3Article 8bis de la loi de 1973 relative aux régimes des biens, régime foncier et mobilier et régime des sûretés.

[4Philippe Makambo, 2011 : 8.

[5Article 9 du Code forestier de 2002.

[6Article 9 du Code forestier de 2002.

[7Articles 50, 64, 86, 97 et 98 du Code minier de 2018.

[8Emery Mukendi Wa Fwana, 2005 : 146-149.

[9Emery Mukendi Wa Fwana, 2005:149.

[10Emery Mukendi Wa Fwana, 2005 : 149.

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