Salariat déguisé : comment le déceler et quels sont les risques ?

Par Flora Labrousse, Avocat.

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Le salariat déguisé est une situation où un travailleur indépendant agit comme un employé pour une entreprise, sans bénéficier des mêmes avantages. C'est une pratique illégale utilisée pour échapper aux charges patronales. La cour d'appel de Paris a récemment établi les critères permettant de déterminer l'existence d'un salariat déguisé.
Description rédigée par l'IA du Village

La problématique du salarié déguisé existe depuis plusieurs années même si elle n’était jusqu’alors que très peu reconnue en jurisprudence. Ce phénomène fait partie des grandes tendances sociales des dix dernières années avec l’apparition de l’auto-entreprenariat, ou du « freelancing ».

Ce sujet a connu une recrudescence dans l’actualité avec le lancement des plateformes de services en ligne. Or, il touche tous les corps de métiers et il se trouve à toutes les échelles économiques.

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Définition du salariat déguisé.

Le salariat déguisé est une situation par laquelle un travailleur indépendant exerce ses fonctions pour une entreprise dans des conditions semblables à celles d’un salarié. Or, par définition, le statut de l’indépendant ne doit pas être confondu avec celui du salarié.

- D’une part, le salarié est celui qui accepte de fournir une prestation de travail, et de se soumettre aux ordres et aux directives de son employeur, en l’échange d’une rémunération fixée au contrat de travail.
Le salarié bénéficie également d’avantages tels que la protection sociale et le bénéfice de congés payés.

- D’autre part, le travailleur indépendant, quant à lui, n’est soumis à aucun pouvoir hiérarchique. Contrairement à un salarié, il est autonome dans la gestion de son organisation, dans le choix de ses clients et dans la tarification de ses prestations. Il ne bénéficie en revanche pas des mêmes avantages sociaux.

Le salariat déguisé est une pratique illégale qui consiste, pour une entreprise, à faire croire qu’elle confie des prestations de service à un travailleur indépendant, alors que ce dernier est soumis, dans la réalité, aux mêmes contraintes qu’un salarié, sans toutefois bénéficier des mêmes avantages.

Certains « employeurs » peuvent se rendre coupables de ces manœuvres sans en avoir conscience mais, la plupart du temps, cette pratique est utilisée sciemment aux seules fins d’échapper au règlement des charges sociales des cotisations patronales qui sont normalement dues dans le cadre d’un contrat de travail classique.

En effet, embaucher un salarié revient deux fois plus cher que de faire appel à un auto-entrepreneur, notamment à cause du coût des cotisations sociales que cela engendre.

Or, dans les faits, le travailleur indépendant qui n’est pas autonome et qui exerce ses fonctions comme le ferait un véritable salarié, doit pouvoir bénéficier des mêmes avantages que ce dernier. Une telle dérive observée constitue une précarisation des travailleurs en France sous forme de salariat déguisé.

C’est pourquoi, dans un tel contexte, il est possible de saisir le conseil de prud’hommes aux fins de faire constater l’existence d’un lien de subordination et donc d’un contrat de travail.

En 2024, la traque au salariat déguisé continue plus que jamais.

C’est ainsi qu’après plus de quatre années de bataille judiciaire, la cour d’appel de Paris, dans un arrêt rendu le 18 janvier 2024, a considéré qu’un contrat de travail existait entre une consultante comptable exerçant sous le statut d’auto-entrepreneur depuis le mois de novembre 2009 et la société comptable pour laquelle elle exerçait à titre exclusif.

Cette décision permet de déterminer les contours de cette notion, et d’apporter des précisions sur les critères et les indices retenus pour caractériser la dissimulation d’une relation salariale de subordination sous la forme d’une relation commerciale de sous-traitance.

En l’espèce, pour caractériser l’existence d’un contrat de travail, la cour d’appel de Paris a retenu que les indices suivants étaient réunis :

  • la requérante justifiait d’un engagement verbal en qualité de salariée pour la société en novembre 2009 et décembre 2009, avant de s’inscrire en qualité d’auto-entrepreneur en janvier 2010, suite à une demande formulée en ce sens par le cabinet comptable. Pour en justifier, elle produisait des échanges de courriels entre les associés et elle-même au cours des deux mois (novembre et décembre 2009) précédant son immatriculation en qualité d’auto-entrepreneur, qui laissaient apparaître qu’elle avait ben travaillé en qualité de salariée pour la société.
  • la requérante exposait qu’aucun contrat de prestation de services n’avait été passé avec la société et donc qu’à défaut de contrat écrit, elle était réputée avoir été engagée en CDI.
  • par ailleurs, elle indiquait qu’aucun devis n’avait jamais été établi ni aucune commande passée pouvant expliquer la rémunération qui lui était versée, qu’elle était rémunérée par le versement d’acomptes déterminés unilatéralement par la société et d’éventuelles régularisations en fin d’exercice. Elle n’avait, en définitive, aucun pouvoir sur la tarification de ses prestations.
  • la requérante démontrait par la production de nombreux échanges de courriels qu’elle ne prenait aucune initiative, que les associés lui donnaient des ordres et des directives en définissant les tâches à accomplir, en les priorisant, en fixant des délais et qu’ils contrôlaient son activité par le biais de fiches de suivi qu’elle était contrainte d’établir.
  • la requérante faisait également valoir qu’elle avait travaillé exclusivement pour le cabinet comptable pendant dix ans sans pouvoir développer sa propre clientèle. Pour en justifier, elle produisait notamment des attestations de clients de la société.
  • la requérante était également contrainte d’utiliser une adresse électronique composée avec la dénomination juridique de la société,

Au vu de l’ensemble de ces éléments, la cour d’appel de Paris a pu constater que la requérante travaillait au sein d’un service organisé par la société, directement avec les deux associés du cabinet comptable qui fixaient les conditions d’exécution du travail et sa rémunération.

Par conséquent, pour caractériser l’existence d’un contrat de travail, la cour d’appel de Paris a considéré que le faisceau d’indices faisait ressortir que la société donnait des ordres à la demanderesse qui dépassaient l’orientation des travaux et le but à atteindre que fixe un maître de l’ouvrage à un prestataire qui travaille en toute indépendance, et que la société exerçait un contrôle sur l’exécution du travail dépassant un simple contrôle de qualité.

Les entreprises pratiquant l’externalisation abusive de salariés et l’embauche volontaire de faux indépendants sont lourdement punies par la justice.

Les risques encourus.

L’employeur qui se serait livré à du salariat déguisé, encourt la condamnation à verser au salarié les indemnités suivantes :

  • une indemnité pour travail dissimulé,
  • des rappels de salaires correspondant aux dispositions de la convention collective applicable,
  • une indemnité compensatrice de congés payés,
  • une indemnité compensatrice de préavis,
  • une indemnité légale de licenciement,
  • une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (puisque, dans les faits de l’espèce, elle avait pris acte de la rupture de son contrat de travail à la suite de salariés impayés depuis plus de 4 mois).

Si, en qualité d’indépendant, vous pensez être victime de salariat déguisé, ou si en qualité d’employeur, vous souhaitez obtenir des conseils pertinents pour éviter de telles dérives, il vous est recommandé de consulter un avocat spécialisé qui saura vous orienter au mieux en fonction de la particularité de votre situation.

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Discussions en cours :

  • Et si l’entreprise en question se trouve dans un autre État membre de l’UE, et l’indépendant prestataire des services est en France ? Quel recours peut-il avoir ? Merci

    • par Carole , Le 18 mars à 13:34

      Bonjour Maitre,
      j’ai effectivement la même question, que se passe t-il quand le ou les donneurs d’ordre sont en dehors de la France ?
      Mais exactement dans ce cas là ?
      Merci.

    • par Dignity , Le 22 avril à 23:02

      Bonjour Maître,
      Nous sommes tout un groupe d’auto-entrepreneurs dans le domaine paramédical qui travaillons pour un grand groupe dans le domaine du soin psychiatrique et payés sur facture de manière très irrégulière depuis deux ans. Depuis deux mois cela empire encore, nous ne sommes plus du tout payés. Ils ne répondent à aucun de nos mails. Nous travaillons presque tous pour ce groupe quasiment à plein temps, pour certains depuis près de dix ans, donc totalement dépendant d’eux, et désormais dans le mépris le plus totale. Nous avons tous été initialement contraints de devenir auto-entrepreneur pour collaborer avec ce groupe, pour certains depuis dix ans, mais au vu de la situation, nous sommes devenus très précaires. Pouvons-nous faire une action collective auprès d’un huissier ( pour être payé déjà) et sinon auprès des prudhommes afin de défendre nos droits et notre dignité ? Merci de votre retour.

    • par Flora Labrousse , Le 23 avril à 20:20

      Bonjour,

      Je comprends que cette situation soit préoccupante.

      Je vous invite à prendre rendez-vous avec moi pour une analyse complète et confidentielle de votre situation.

      Mes coordonnées apparaissent en signature de mon article

      Merci

      Bien à vous

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