La responsabilité pénale des personnes morales en matière d’infractions non intentionnelles.

Par Laurent Vovard, Avocat.

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Les conditions de mise en œuvre de la responsabilité pénale des personnes morales a fait l’objet d’une évolution importante en jurisprudence ces derniers mois. Un arrêt récent de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation du 22 janvier 2013 est l’occasion de faire le point. (Cass. Crim. 22 janvier 2013, n°12-80.022)

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1. Rappel des principes :

L’article 121-2 al 1 du Code pénal dispose que : « Les personnes morales, à l’exclusion de l’Etat, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants…. »

Une personne morale peut donc se voir imputer une infraction dès lors qu’elle est commise pour son compte par un organe ou un représentant.

En matière d’infractions non intentionnelles, l’article 121-3 précise qu’il y a délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de « faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. »

Lorsque la faute non intentionnelle n’a pas directement causé le dommage, l’article 121-3 al. 4 prévoit que la responsabilité des personnes physiques ne peut être engagée, dans l’hypothèse où elles ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, que « s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer. »

En d’autres termes :

- pour apprécier la responsabilité pénale d’une personne physique il faudra distinguer selon que la faute non intentionnelle est directement à l’origine du dommage (homicide, blessure…) auquel cas une faute simple suffira, ou si la faute est indirectement à l’origine du dommage auquel cas une faute qualifiée sera nécessaire ;

- cette distinction n’est pas applicable aux personnes morales  : il en résulte qu’une faute non intentionnelle simple commise par un organe ou représentant de celle-ci, indirectement à l’origine du dommage, peut engager la responsabilité pénale de la personne morale sans que l’infraction ne soit constituée à l’égard de la personne physique pour qui une faute qualifiée sera exigée (voir par exemple Cass. Crim. 2 octobre 2012, n°11-84.415)

2. L’application, par la jurisprudence de ces principes :

La jurisprudence exigeait traditionnellement, pour engager la responsabilité pénale de la personne morale que soit établi (i) la qualité d’organe ou de représentant de l’agent (par ex, crim. 28 janvier 2000, Cass. Crim. 23 avril 2003, Bull crim. n° 91) et (ii) que l’agent a bien agi pour le compte de la personne morale.

Toutefois, la Chambre criminelle de la Cour de Cassation s’était affranchie de l’exigence de déterminer l’organe ou le représentant ayant agi pour le compte de la personne morale estimant ainsi que la responsabilité de la personne morale pouvait être engagée au titre, par exemple, d’une « défaillance manifeste du service d’accueil des urgences » sans qu’aucune personne physique ne soit désignée (Cass. Crim. 9 mars 2010 n° 09-80543).

Plus encore, la Chambre criminelle de la Cour de cassation, aux termes d’une jurisprudence dite Sollac, admettait la culpabilité de personnes morales par des présomptions d’imputation sans qu’il soit démontré en quoi la faute non intentionnelle avait été commise pour le compte de la personne morale (Cass. Crim. 20 juin 2006, n°05-85225)

Un frein a été mis à cette jurisprudence et la Cour de Cassation est revenue à une application plus orthodoxe de l’article 121-2 du Code pénal, notamment par un arrêt du 11 octobre 2011 censurant une Cour d’Appel au motif que : « ...en se prononçant ainsi, sans mieux s’expliquer sur l’existence effective d’une délégation de pouvoirs ni sur le statut et les attributions des agents mis en cause propres à en faire des représentants de la personne morale, au sens de l’article 121-2 du code pénal, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision »

Cette jurisprudence a été confirmée, notamment par un arrêt du 11 avril 2012, aux termes duquel la Cour de Cassation a censuré une Cour d’Appel qui avait retenu la responsabilité pénale d’une personne morale sans avoir recherché si « les manquements relevés résultaient de l’abstention d’un des organes ou représentants de la société X, et s’ils avaient été commis pour le compte de cette société, au sens de l’article 121-2 du code pénal ». Plus récemment encore, voir Cass. Crim. 2 octobre 2012, n°11-84.415.

3. Illustration récente : Cass. Crim. 22 janvier 2013 (n°12-80.022)

Les faits :

Plusieurs entreprises s’étaient groupées dans le cadre d’une société en participation pour la construction d’un centre commercial. Le groupement avait, par délégation et subdélégations de pouvoir, constitué l’employé de l’une d’entre elles aux fins d’organiser et diriger le chantier, notamment faire assurer le respect de la règlementation en matière d’hygiène et de sécurité.

Un accident était survenu sur le chantier, entraînant la mort d’un ouvrier et la blessure d’autres employés.

La procédure :

Une information judiciaire avait été ouverte à l’issue de laquelle des personnes morales ayant pris part à l’opération de construction avaient été renvoyées devant le Tribunal correctionnel des chefs d’homicide et blessures involontaires par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à des obligations de sécurité.

Les premiers juges avaient retenu différentes carences et négligences fautives d’un subdélégataire et déclaré plusieurs personnes morales intervenant sur le chantier responsables pénalement.

La Cour d’Appel de Paris, aux termes d’un arrêt du 21 juin 2011 a partiellement infirmé le jugement de première instance mais a confirmé la culpabilité de l’une des personnes morales, non plus sur le fondement de manquements aux règles d’hygiène et de sécurité au travail, mais pour «  défaut de conception de l’acte de construire qui a été à l’origine du manque de stabilité de l’ouvrage ayant provoqué l’accident ».

La Cour d’Appel, après voir rappelé plusieurs obligations règlementaires applicables en matière de construction ou de prévention des risques a notamment retenu que :

- les carences dans la mise en œuvre des obligations réglementaires caractérisent une négligence fautive ayant créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation de ce dommage ;

- ces carences sont imputables à deux subdélégataires qui avaient « la compétence, l’autorité et les moyens nécessaires, au sein de leurs entreprises, pour faire ressortir les problématiques et exigences du principe constructif retenu dans sa phase de réalisation, les formaliser afin que nul ne les ignore ou n’omette d’en tenir compte et s’assurer de la mise en oeuvre des dispositifs de sécurité nécessaires pour prévenir les risques propres à cette technique de construction »

- ces subdélégataires ont la qualité de représentant au sens de l’article 121-2 , et engagent donc la responsabilité pénale des personnes morales qu’ils représentent – qu’ils soient ou non les préposés de cette personne morale - à raison de leurs fautes causant un accident du travail

Un pourvoi en cassation a été formé contre cet arrêt faisant notamment valoir que la cour d’appel n’aurait pas identifié l’organe ou le représentant par lequel la responsabilité pénale de la personne morale aurait été engagée

La Cour de cassation, aux termes de son arrêt du 22 janvier 2013, et au visa des articles 121-2 et 593 du Code de procédure pénale, casse l’arrêt de la Cour d’appel au motif que :

« Attendu que, pour dire également la société appelante coupable d’homicide et de blessures involontaires, après avoir rappelé que, selon les premiers juges, les fautes commises par le subdélégataire de pouvoirs du groupement en matière d’hygiène et de sécurité fondaient la responsabilité de la société SICRA, l’arrêt retient que le défaut de conception de l’acte de construire imputable à la personne morale poursuivie, distinct du manquement aux règles d’hygiène et de sécurité, a été en la circonstance à l’origine du manque de stabilité de l’ouvrage ayant provoqué l’accident ;

Mais attendu que, si elle n’a pas outrepassé sa saisine en privilégiant la faute d’imprudence, la cour d’appel, en prononçant comme elle l’a fait, sans mieux s’expliquer sur le défaut de conception dénoncé ni préciser en quoi les infractions qu’elle retenait avaient été commises pour le compte de la société SICRA, par un de ses organes ou représentants, a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés »

Le délégataire ou subdélégataire de pouvoir est un représentant au sens de l’article 121-2 du Code pénal :

Le principe est admis de longue date (voir par exemple : Cass. Crim. 14 décembre 1999 JCP 2000 IV 1597) à condition bien sûr que la délégation de pouvoir soit valable, c’est-à-dire qu’elle soit confiée à une personne pourvue de « l’autorité, de la compétence et des moyens nécessaires » (Cass. Crim. 11 mars 1993, Bull crim n°112).

Il est également admis qu’une délégation de pouvoir puisse être confiée par plusieurs sociétés agissant dans le cadre d’un groupement, à une personne chargée de s’assurer du respect de tel ou tel aspect de la législation. C’est notamment le cas lors de chantiers de construction.

Le délégataire ou subdélégataire de pouvoir, régulièrement institué, est dont un « représentant » de la personne morale lui ayant donné pouvoir, quand bien même il ne serait pas salarié de cette personne morale. Il en résulte que dans le cadre d’un groupement, le délégataire ou subdélégataire peut engager la responsabilité pénale d’une personne morale dont il n’est pas le préposé.

La Cour d’Appel de Paris, aux termes de son arrêt du 21 juin 2011, l’avait bien résumé :

« si rien n’interdit à des entreprises du bâtiment chargées des travaux de gros œuvre d’un même chantier de se constituer en un groupement et de confier aux préposés de l’une d’elles, par délégation, voire subdélégation, les pouvoirs nécessaires pour prendre toutes mesures destinées à assurer, sur le site, l’hygiène et la sécurité de l’ensemble du personnel mis à disposition par le groupement, chacune des sociétés composant le groupe engage sa responsabilité pénale à raison des manquements fautifs aux règles d’hygiène et de sécurité dans le travail que ces préposés étaient tenus de faire respecter en vertu des délégations qui leur ont été consenties par l’une ou l’autre des sociétés composant le groupement »

Toutefois, la difficulté était de caractériser en quoi ce représentant avait agit pour le compte de la personne morale dont la responsabilité pénale avait été retenue.

Le délégataire ou subdélégataire de pouvoir doit avoir agi pour le compte de la personne morale dont la responsabilité pénale est mise en cause :

L’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de Cassation du 22 janvier 2013, dans la lignée du revirement de jurisprudence initié le 11 avril 2012 (Cass. Crim. 11 avril 2012, n°10-86.974), exige que soit démontré en quoi les infractions retenues avaient bien été commises - par l’organe ou le représentant - pour le compte de la personne morale mise en cause.

Et c’est là toute la difficulté en matière d’infraction non intentionnelle, surtout lorsque le délégataire ou le subdélégataire de pouvoir est institué par plusieurs personnes morales qui se sont groupées dans le cadre du chantier.

En effet, il n’est plus possible de recourir à des présomptions d’imputation (jurisprudence Sollac) qui permettaient la condamnation de la personne morale sans que se trouve expliqué en quoi le manquement reproché avait été commis spécifiquement le compte de cette personne morale.

Il faut donc démontrer que le délégataire de pouvoir a, au sein du groupement, agit pour telle personne morale, ainsi que le précise F. Duquesne : « Tel est surtout le cas de l’appartenance de l’être moral à un groupe que l’abandon de la jurisprudence Sollac place à nouveau sous les feux de l’actualité puisqu’il conduit à s’interroger, une fois encore, sur l’identité de la société dont la volonté est susceptible d’être incarnée par la faute du représentant établi à l’échelle du regroupement d’entreprises » (Semaine Juridique entreprises et affaire n°47, 22 novembre 2012, 1707).

Cela nécessite un travail d’investigation plus poussé (analyse de l’organisation et fonctionnement du groupement, prise de risque, nature de l’infraction…) mais semble davantage conforme à la lettre de l’article 121-2 du Code pénal.

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