Le rejet direct des eaux pluviales vers le domaine public dans le cadre d’une gestion des eaux pluviales à la parcelle.

Par Elodie Cheikh, Elève-avocate.

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Explorer : # gestion des eaux pluviales # servitude d'écoulement # responsabilité des propriétaires # pouvoirs du maire

Quand il est prévu une gestion totale des eaux pluviales à la parcelle, est-il possible de prévoir un rejet direct de ces eaux pluviales (toiture, accès garage…) vers le domaine public ?

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Quid du régime juridique ?

Le régime légal des eaux pluviales est déterminé par les articles 640 à 643 du code civil.

L’article 640 pose en principe, une servitude dite « d’écoulement des eaux » qui s’applique dans les rapports entre propriétés (riveraines) et voies publiques.

En effet, cet article dispose que :

« Les fonds inférieurs sont assujettis envers ceux qui sont plus élevés à recevoir les eaux qui en découlent naturellement sans que la main de l’homme y ait contribué.
Le propriétaire inférieur ne peut point élever de digue qui empêche cet écoulement.
Le propriétaire supérieur ne peut rien faire qui aggrave la servitude du fonds inférieur.
 »

L’article 641 du Code Civil quand à lui dispose que :
« Tout propriétaire a le droit d’user et de disposer des eaux pluviales qui tombent sur son fonds.

Si l’usage de ces eaux ou la direction qui leur est donnée aggrave la servitude naturelle d’écoulement établie par l’article 640, une indemnité est due au propriétaire du fonds inférieur.

La même disposition est applicable aux eaux de sources nées sur un fonds.

Lorsque, par des sondages ou des travaux souterrains, un propriétaire fait surgir des eaux dans son fonds, les propriétaires des fonds inférieurs doivent les recevoir ; mais ils ont droit à une indemnité en cas de dommages résultant de leur écoulement.

Les maisons, cours, jardins, parcs et enclos attenant aux habitations ne peuvent être assujettis à aucune aggravation de la servitude d’écoulement dans les cas prévus par les paragraphes précédents.

Les contestations auxquelles peuvent donner lieu l’établissement et l’exercice des servitudes prévues par ces paragraphes et le règlement, s’il y a lieu, des indemnités dues aux propriétaires des fonds inférieurs sont portées, en premier ressort, devant le juge du tribunal d’instance du canton qui, en prononçant, doit concilier les intérêts de l’agriculture et de l’industrie avec le respect dû à la propriété.

S’il y a lieu à expertise, il peut n’être nommé qu’un seul expert. »

Les voies publiques doivent donc recevoir les eaux qui s’écoulent naturellement des propriétés riveraines et, éventuellement, de celles qui proviennent des toits par l’intermédiaire de gouttières (article 681 du code civil).

Le respect des servitudes d’écoulement - combiné aux pouvoirs de police du maire entraîne :
- l’interdiction ou la modification des gouttières d’écoulement des eaux pluviales qui provoquent la destruction ou la détérioration des voies publiques  [1] ;
- l’application d’une contravention de 5e classe pour rejet sur la voie publique de substances pouvant incommoder le public, menacer la salubrité ou la sécurité publique [2] ;
- l’entretien obligatoire des fossés limitrophes des chemins ruraux avec capacité d’injonction du maire [3] ; il faut noter que, dans ce cas, le maire ne peut faire exécuter d’office les travaux ;
- l’obligation d’assurer l’écoulement des eaux pluviales même en cas de travaux sur les voies publiques. Le maire doit donc surveiller ces travaux et le cas échéant, faire réaliser tout ouvrage, pour respecter ce droit d’écoulement [4]
- la possibilité de construire des ouvrages permettant de canaliser des eaux pluviales (article 641 2e alinéa du code civil) sans que ces ouvrages ne créent ni n’aggravent la servitude d’écoulement des eaux prévue par le code civil ;
- l’obligation pour les communes de délimiter les « zones où des mesures doivent être prises pour limiter l’imperméabilisation des sols et pour assurer la maîtrise du débit et de l’écoulement des eaux pluviales et de ruissellement », ainsi que les « zones où il est nécessaire de prévoir des installations pour assurer la collecte, le stockage éventuel et, en tant que de besoin, le traitement des eaux pluviales et de ruissellement lorsque la pollution qu’elles apportent au milieu aquatique risque de nuire gravement à l’efficacité des dispositifs d’assainissement » [5].

En effet, le maire est le garant de la commodité de circulation et de la conservation des voies publiques [6].

Ainsi, s’il s’agit de rejet des eaux pluviales vers le domaine public et s’il s’agit de la voie publique, voici les prescriptions qui peuvent être formulées :

Les propriétaires d’un terrains peuvent user et disposer des eaux pluviales qui tombent sur leur fond.

Les fonds inférieurs sont assujettis envers ceux qui sont plus élevés à recevoir les eaux qui en découlent naturellement sans que la main de l’homme y ait contribué. A noter que les propriétaires inférieur ne peut pas élever de digue pour empêcher cet écoulement. Ainsi, les propriétés riveraines situées en contrebas du domaine public, en cas de contestations, sont tenues de recevoir ces eaux pluviales.

De surcroît, les propriétaires de ces propriétés doivent prendre toutes les dispositions pour permettre en tout temps, ce libre écoulement.

Néanmoins, il est interdit pour les propriétaires des fonds supérieurs d’aggraver (suite à la survenance de travaux, suite à une construction nouvelle…) la servitude naturelle d’écoulement. A défaut, ils sont responsables des dommages qui seront causés aux propriétaires des fonds inférieurs.

Ainsi, si par exemple si le rejet des eaux pluviales des accès-garage sur le domaine public cause préjudices à des propriétaires de fonds inférieurs (préjudices qui n’existaient pas avant ce rejet / avant la création de ces lotissements ou ZAC par exemple) les propriétaires des fonds inférieurs pourront engager la responsabilité des propriétaires, si ceux-ci sont situés sur des fond supérieurs.

Autre précision, il est tout à fait possible que ces propriétaires fassent écouler (par l’intermédiaire de gouttières descendantes) les eaux pluviales qui proviennent de leurs toits sur le domaine public / sur la voirie publique.

Il est néanmoins possible pour le maire des communes concernées d’interdire (ou de soumettre à conditions) le rejet des eaux pluviales sur la voie publique. Il est même possible d’inscrire de telles prescriptions au PLU ou dans le Règlement d’Assainissement. A défaut de prescriptions en ce sens, de tels écoulements sur la voie publique sont possibles.

A noter qu’en effet, une responsabilité particulière pèse sur les communes en ce qui concerne le ruissellement des eaux sur le domaine public routier (en vertu de l’article R141-2 du Code de la Voirie Routière) [7].

Cette responsabilité revient à la commune dans la mesure ou l’article L2122-21 du CGCT charge le maire de pourvoir aux mesures relatives à la voirie communale (Ainsi par exemple, si l’écoulement vers les fonds inférieurs est aggravé par le mauvais entretien, l’absence d’ouvrage bordant la voie communale, la commune sera tenue d’effectuer les travaux pour y mettre un terme, ou encore, la jurisprudence du Conseil d’État considère que les caniveaux et les fossés situés le long d’une route ou encore les bassins de rétention collectant exclusivement les eaux pluviales ruisselant sur la chaussée relèvent de la collectivité en charge de la compétence « voirie » [8].

Ainsi un rejet des eaux pluviales vers le domaine public pourra être interdit dans les cas suivants :
- comme il a été précisé un peu plus haut, il est possible d’interdire des gouttières d’écoulement des eaux pluviales qui provoquent la destruction ou la détérioration des voies publiques [9].
- Il est tout à fait possible d’établir une contravention de 5e classe pour rejet sur la voie publique de substances pouvant incommoder le public, menacer la salubrité ou la sécurité publique [10] des risques d’inondations peuvent alors être invoqués, ou encore des risques d’accidents…

A l’inverse de ces cas particuliers, il apparaît qu’il est possible d’effectuer des rejets des eaux pluviales (des accès garage, des toitures) vers le domaine public.

Plusieurs conditions doivent être remplies : celui-ci ne doit pas se faire directement, si elles proviennent du toit par exemple, les eaux pluviales doivent être conduites vers le sol par des tuyaux de descentes, ou des gouttière.

Qu’est-il possible de faire pour interdire ces écoulements vers le domaine public ?

Comme il a été explicité plus haut, si il est souhaité que l’ensemble des écoulements d’eaux pluviales n’intervienne pas sur le domaine public, il est possible de vérifier si cela n’a pas déjà été interdit au sein du PLU ou du Règlement d’Assainissement et, si tel n’est pas le cas, il est possible de faire intervenir le maire, qui peut avancer que cette décision est prise pour favoriser la conservation du domaine routier public et de la sécurité routière par exemple.

Elodie CHEIKH, élève-avocate en droit public

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Notes de l'article:

[1Conseil d’Etat, 30 juillet 1909.

[2Articles L. 2122-21 du CGCT et R. 116-2 alinéa 4 du code de la voirie routière.

[3Article R. 161-21 du code rural.

[4article L. 2122-21 du CGCT.

[5Article L 2224-10 du CGCT.

[6Articles L. 2212-1 et L.2212-2 du CGCT.

[7Le régime juridique des eaux pluviales, Rapport de l’OPECST n° 2152 (2002-2003) de M. Gérard MIQUEL, fait au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scient. tech., déposé le 18 mars 2003.

[8CE, 1er décembre 1937, commune d’Antibes.

[9Conseil d’Etat, 30 juillet 1909.

[10Articles L. 2122-21 du CGCT et R. 116-2 alinéa 4 du code de la voirie routière.

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Discussions en cours :

  • par Jean-paul Leprat , Le 8 novembre 2021 à 07:07

    Article très complet du point de vue des propriétaires privés en amont, mais la responsabilité de la commune n’est pas envisagée.
    En effet, qu’en est-il des cas très fréquents d’une Commune qui aggrave sans cesse au fil des années tant l’écoulement que la récupération des eaux pluviales par l’urbanisation incessante et par les travaux d’augmentation de la capacité des canalisations de récupération en amont qui en découlent sans travaux en aval ?
    Dommage que cette hypothèse très réaliste ne soit pas traitée car le particulier est complètement démuni dans un tel cas.

  • par juliette mahourdeau , Le 31 août 2021 à 18:09

    Bonjour,
    je voudrais savoir si l’évacuation des eaux pluviales sur la voie privée (non pas sur l’habitation) doit être réalisée et payée par les riverains, sachant que l’égout de la voie privée est dit communal sur les actes de vente des maisons. Merci .

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