La quotité disponible spéciale entre époux, ou la revanche de la belle-mère ? Par Guillaume Normand, Avocat et Tugdual Levatois.

La quotité disponible spéciale entre époux, ou la revanche de la belle-mère ?

Par Guillaume Normand, Avocat et Tugdual Levatois.

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Explorer : # quotité disponible # succession # héritiers réservataires # conjoint survivant

Primat de la conjugalité sur la parentalité, ou revanche patrimoniale de la belle-mère sur les enfants du premier lit. Ainsi pourrai être trivialement synthétisée l’existence, en matière successorale, d’une quotité spéciale disponible entre époux, permettant au conjoint survivant de bénéficier d’une part conséquente des biens du défunt.

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Cette quotité spéciale, introduite par la loi du 1er août 1972, assied la prétention successorale du conjoint survivant, à qui une place prépondérante dans la succession de son époux est offerte. Invoquée bien souvent au préjudice des propres enfants du défunt, cette quotité disponible spécifique donne lieu à un contentieux successoral abondant.

Quelques définitions liminaires s’imposent.

La quotité disponible, définie à l’article 912 du Code civil, désigne la portion du patrimoine du défunt que celui-ci peut librement donner ou léguer en présence d’héritiers réservataires, c’est-à-dire d’héritiers auxquels la loi reconnaît le bénéfice d’une réserve héréditaire.

Cette réserve héréditaire constitue la portion du patrimoine du défunt dévolue de droit à l’héritier réservataire. La réserve héréditaire fait partie intégrante de l’ordre public successoral. A ce titre, personne, pas même le défunt lui-même, ne peut en remettre en cause l’existence [1]. L’héritier réservataire peut par conséquent s’en prévaloir, contre la volonté antérieure du défunt. Dès lors, si le défunt a réalisé des libéralités excédant la quotité disponible, les héritiers réservataires sont en droit de demander en justice la réduction de ces libéralités.

La qualité d’héritier réservataire est, aujourd’hui, reconnue à deux catégories de proches du défunt :
- Les descendants [2] ;
- Le conjoint survivant [3]. Le conjoint survivant doit être entendu comme n’étant pas divorcé du défunt [4].

La quotité disponible spéciale, privilège lucratif reconnu au seul conjoint survivant.

Qui dit quotité disponible spéciale, dit également quotité disponible ordinaire. Cette quotité disponible ordinaire, applicable à toute libéralité, dépend de la présence ou non d’enfants, héritiers réservataires du défunt. L’article 913 du Code civil fixe cette quotité disponible ordinaire en la faisant varier selon le nombre d’enfants laissés par le conjoint survivant : si le défunt ne laisse qu’un seul enfant, la quotité disponible sera de la moitié des biens ; en présence de deux enfants, elle sera d’un tiers ; en présence de trois enfants ou plus, elle sera d’un quart. En l’absence d’enfants, l’article 914-1 du Code civil précise que la quotité disponible est de trois quart des biens lorsque l’époux laisse un conjoint survivant, le dernier quart constituant la réserve héréditaire du conjoint survivant.

Avec l’instauration d’une quotité disponible spéciale entre époux, le législateur a voulu favoriser les libéralités entre époux en présence d’enfants, issus ou non du mariage. De façon plus pragmatique, cette quotité disponible spéciale entre époux permet de pallier l’absence de qualité d’héritier réservataire reconnue au conjoint survivant, laquelle n’est conférée à celui-ci qu’en l’absence d’enfant.

C’est pourquoi l’article 1094-1 du Code civil reconnaît au conjoint survivant, en l’absence de descendants, une quotité disponible plus importante que celle qui peut en principe revenir à un tiers : il s’agit de la quotité disponible spéciale entre époux, part maximale que le conjoint survivant peut recevoir dans la succession. Cette quotité disponible a la particularité de se présenter sous la forme d’une option à trois branches.
En l’absence de volonté particulière du défunt, l’option est laissée à la discrétion du conjoint survivant.
Celui-ci dispose ainsi de la possibilité d’hériter, par libéralité :
- Soit de la quotité disponible ordinaire de l’article 913 du Code civil ;
- Soit de la totalité des droits en usufruit ;
- Soit du quart en pleine propriété et des trois quarts en usufruit.

Le volume maximum du patrimoine dont le défunt peut disposer au profit de son conjoint peut donc varier selon l’option du conjoint survivant, qui revêt un caractère strictement personnel [5].

Un privilège opposable par le conjoint survivant aux autres héritiers.

La quotité disponible spéciale est effective puisque le conjoint survivant peut l’invoquer pour faire échec aux prétentions des autres héritiers. Incontestablement, en présence du conjoint survivant, les parents pauvres de la succession sont les héritiers non réservataires, au premier rang desquels se situent les ascendants du défunt. Cette solution particulièrement défavorable au sort des ascendants n’a pas été remise en cause par les évolutions législatives récentes. Bien au contraire, la loi du 23 juin 2006, qui retire aux ascendants la qualité d’héritiers réservataires, manifeste cette volonté assumée du législateur de faire primer la conjugalité sur l’ascendance.

Il existe des règles d’articulation précises entre la quotité disponible spéciale de l’article 1094-1 et la quotité disponible ordinaire de l’article 913 du Code civil. Bien évidemment, le conjoint survivant ne peut invoquer la quotité disponible spéciale que dans la mesure où les libéralités consenties à son égard ne violent pas la réserve héréditaire des descendants du défunt. En effet, si tel était le cas, la libéralité consentie par l’époux en violation de la réserve héréditaire des enfants pourrait faire l’objet d’une action en réduction, sur le fondement des articles 921 et suivants du Code civil.

En revanche, la jurisprudence adopte une position favorable à l’égard du conjoint gratifié lorsque les droits de celui-ci sont en concurrence avec ceux des descendants du défunt, issus ou non du mariage. Ainsi, par un arrêt de la première chambre civile du 26 avril 1984, la Cour de cassation a jugé que le fait pour un conjoint survivant de se voir léguer la totalité des biens en usufruit, en application de l’article 1094-1 du Code civil, ne violait pas l’article 913. En effet, elle laissait à l’époux défunt la possibilité de disposer, au profit d’un ou de plusieurs enfants, de la nue-propriété de la quotité disponible ordinaire. Autrement dit, la réserve héréditaire des enfants du défunt est respectée, alors même que le conjoint survivant est usufruitier des biens dont héritent les enfants.

Les limites.

Cependant, la quotité disponible spéciale entre époux n’octroie pas au conjoint survivant une portion supplémentaire et cumulable du patrimoine du défunt.
C’est ce que précise l’article 758-6 du Code civil qui, créé par la loi du 23 juin 2006, fixe une règle d’imputation spécifique à la quotité spéciale disponible entre époux :

« Les libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant s’imputent sur les droits de celui-ci dans la succession. Lorsque les libéralités ainsi reçues sont inférieures aux droits définis aux articles 757 et 757-1, le conjoint survivant peut en réclamer le complément, sans jamais recevoir une portion des biens supérieure à la quotité définie à l’article 1094-1 ».

Concrètement, cela signifie que les biens reçus au titre libéralité par le conjoint survivant, en vertu de l’article 1094-1 du Code civil, sont pris en compte dans le calcul des droits du conjoint survivant. Par conséquent, celui-ci ne pourra pas invoquer l’existence de libéralités, sous forme de legs ou de donations, afin d’accroître le montant des droits qui lui sont conférés globalement dans la succession. A cet égard, la loi fait application du caractère absolu de la quotité disponible spéciale entre époux, reconnu très tôt en jurisprudence.
En effet, la Cour de cassation a jugé qu’une veuve ayant opté pour un quart en pleine propriété et les trois quarts en usufruit ne pouvait prétendre au bénéfice d’une disposition testamentaire qui, la déchargeant de partie de ses obligations d’usufruitière, aboutirait à lui donner au-delà de ce dont son mari pouvait disposer [6].

Enfin, spécificité notable, l’article 1098 du Code civil reconnaît une faculté d’immixtion aux enfants du de cujus issus d’une précédente union, alors même que cette libéralité intervient dans le respect des limites de la quotité disponible spéciale. En effet, sauf volonté contraire exprimée par le défunt, les enfants issus d’un premier lit peuvent obtenir la conversion en usufruit de la libéralité faite en pleine propriété par le de cujus au conjoint survivant. Cette conversion peut être obtenue individuellement par chaque enfant, dans la limite de la part de succession dont il aurait hérité en l’absence du conjoint survivant.

Me Guillaume NORMAND et M. Tugdual LEVATOIS
Cabinet NORMAND AVOCATS
67 av Kléber 75116 PARIS

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Notes de l'article:

[1C cass, Civ 1ère, 22 février 1977.

[2Article 913 du Code civil.

[3Article 914-1 du Code civil.

[4Article 732 du Code civil.

[5C cass, Civ 1ère, 1er juin 1994.

[6C cass, Civ. 1re, 18 oct. 1994, n° 93-11.384.

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