1) Faits et procédure.
M. [D], soutenait avoir travaillé en qualité de réalisateur pour le compte des sociétés Louis Vuitton malletier (LVM) et La Pac.
Il a saisi la juridiction prud’homale afin de voir reconnaître l’existence d’un contrat de travail le liant à celles-ci.
Dans un arrêt du 24 novembre 2022, la Cour d’appel de Paris a jugé que le Conseil de prud’hommes était incompétent au profit du tribunal judiciaire.
M. [D] s’est pourvu en cassation.
2) Moyens.
2.1) Sur l’application de l’article L7121-3 du Code du travail.
M [D] considérait que l’arrêt de la Cour d’appel de Paris devait être cassé car il lui a refusé l’application de la présomption de contrat de travail des artistes du spectacle en application de l’article L7121-3 du Code du travail.
Il plaidait que la cour d’appel avait relevé qu’il avait
« sélectionné l’équipe de tournage, le choix des matériels nécessaires, les différents techniciens participant à ce tournage » et qu’il avait eu un rôle de conseil sur les prises de vue et donc « qu’il n’avait pas eu un rôle de simple exécutant mais avait bénéficié d’une certaine liberté artistique ».
Par ailleurs, il rappelait qu’est réalisateur celui qui dirige notamment la mise en scène, les acteurs, les prises de vues et de son.
Pour juger que la présomption de salariat de l’article L7121-3 du Code du travail dont il se prévalait ne s’appliquait pas, la Cour d’appel de Paris a jugé que :
« la conception artistique » du film, telle que prévue dans les dispositions du Code du travail, a bien été celle de Monsieur [V] s’agissant du scénario, des lieux de tournage spécifique, des décors, des acteurs, des mannequins et même du montage ».
M [D] reprochait à la cour d’appel de ne pas avoir recherché si le choix des prises de vue ainsi que la direction de la mise en scène et des acteurs ne résultaient pas de sa conception artistique et partant que la cour d’appel avait privé sa décision de base légale au regard des articles L7121-2 et L7121-3 du Code du travail.
Enfin, M. [D] soulignait que les plans du storyboard réalisés sous sa direction étaient ceux qui figuraient dans la version définitive du film, à la différence de celui qui lui avait été adressé le 28 mai 2021 ce dont il résultait que la réalisation était l’exécution matérielle de sa conception artistique.
2.2) Sur la subordination à la société La Pac.
M. [D] fait grief à l’arrêt de juger le conseil de prud’hommes incompétent au profit du tribunal judiciaire sans répondre à ses conclusions dans lesquels il soutenait qu’il était sous la subordination de la société La Pac et partant que la cour d’appel a violé l’article 455 du Code de procédure civile.
3) Réponses de la Cour de cassation.
3.1) Sur l’application de l’article L7121-3 du Code du travail au « conseil sur les prises de vues ».
La cour d’appel qui a constaté que, si M. [D] avait un rôle de conseil sur les prises de vue, il n’avait pas décidé du scénario, des lieux de tournage, des décors, n’avait pas choisi les acteurs ni les mannequins et n’était pas intervenu au niveau du montage ni dans la réalisation du story-board, en a exactement déduit, sans être tenue de procéder à une recherche ni de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, qu’il ne pouvait se prévaloir de la présomption de salariat tirée de l’article L7121-3 du Code du travail.
Le moyen n’est donc pas fondé.
3.2) Sur la subordination à la société La Pac.
Au visa de l’article 455 du Code de procédure civile, tout jugement doit être motivé, à peine de nullité. Le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs.
Pour juger le conseil de prud’hommes incompétent au profit du tribunal judiciaire, la cour d’appel retient, d’une part, que les éléments invoqués et les pièces produites ne permettent pas de caractériser l’existence d’un co-emploi, d’autre part, qu’aucune des pièces versées aux débats ne permet de constater que M. [D] a reçu des ordres de la société LVM et qu’il n’est nullement justifié ni même argué que celle-ci disposait d’un pouvoir de sanction à son égard.
En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions du salarié qui invoquait également l’existence d’un contrat de travail le liant à la société La Pac, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
La Cour de cassation casse et annule, en toutes ses dispositions, l’arrêt de la Cour d’appel de Paris.
Elle remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la Cour d’appel de Paris, autrement composée.
4) Analyse.
4.1) Pas d’application de la présomption de contrat de travail de l’article L7121-3 en l’espèce.
Est réalisateur est celui ou celle qui « assure la responsabilité de l’exécution d’un tournage, notamment dans sa dimension artistique, depuis sa préparation jusqu’à sa parfaite réalisation. Il/elle est responsable des aspects créatifs du programme ainsi que de la gestion de l’équipe qu’il va diriger ».
En l’espèce, la Cour de cassation écarte la qualification de réalisateur pour le demandeur au pourvoi car
« il n’a pas décidé du scénario, des lieux de tournage, des décors, n’a pas choisi les acteurs ni les mannequins et n’est pas intervenu au niveau du montage ni dans la réalisation du story-board ».
Elle juge qu’il avait un simple rôle de « conseil sur les prises de vue ».
Dès lors, la présomption de salariat de l’article L7121-3 lui est refusée.
Dans trois jugements du 31 août 2018, le juge départiteur du Conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt a requalifié les CDD d’usage de Chefs Monteurs de TF1, en CDI en qualité de Réalisateurs, dès lors qu’ils exerçaient cet emploi, peu important la qualification mentionnée dans le contrat de travail, considérant que :
« Il est constant que la qualification professionnelle d’un salarié dépend des fonctions qu’il exerce réellement.
Il en résulte des contrats de travail produits par le demandeur, que Monsieur G. a été engagé par la société TF1 en qualité de chef monteur, à l’exception du contrat daté du 2 mars 2015 qui vise expressément la fonction de réalisateur. Or il apparait à la lecture des pièces produites et notamment des nombreux courriels reçus directement par le demandeur, exposant les consignes de la chaîne de télévision à l’attention des réalisateurs ; des photographies de capture d’écran des génériques des émissions de télévision auquel le demandeur a pu participer et qui le citent expressément en qualité de réalisateur, des actions de formation entreprises, des attestations produites par les deux parties décrivant les tâches incombant à un réalisateur (…) que Monsieur X exerçait en réalité les fonctions de réalisateur » [1] (Voir l’article Intermittents : trois chefs monteurs en CDDU requalifiés en CDI avec un emploi de réalisateur).
Le demandeur au pourvoi aurait peut-être pu plaider devant la cour d’appel qu’il était « opérateur prise de vue » et non réalisateur.
Dans ce cas, en pratique, les opérateurs prises de vues sont des techniciens du spectacle engagés sous contrat de travail.
Ils bénéficient dès lors qu’ils sont salariés du régime spécifique d’assurance chômage prévu à l’annexe 8 du règlement d’assurance chômage.
4.2) Sur la subordination à la société La Pac : cassation de l’arrêt de la cour d’appel.
La Cour de cassation refuse au demandeur au pourvoi le bénéfice de la présomption de salariat de l’article L7121-3 du Code du travail.
Toutefois, elle lui donne une autre chance puisqu’elle casse l’arrêt de la cour d’appel de Paris qui n’a pas répondu aux conclusions du « salarié » qui invoquait l’existence d’un contrat de travail le liant à la société La Pac.
On en revient au droit commun de la requalification en contrat de travail.
Le « conseil sur les prises de vues » devra prouver que les 3 éléments constitutifs du contrat de travail sont remplis, à savoir : un travail, une rémunération et un lien de subordination.
Ceci devra être tranché par la cour d’appel de renvoi.
À suivre.