"Mister France" et le droit du travail.

Par Sébastien Lagoutte, Juriste.

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Explorer : # requalification de contrat # contrat de travail # subordination # Émission de télévision

Les participants à l’élection de "Mister France" sont-ils soumis à un contrat aléatoire dit "de jeu" exclusif de toute qualification de contrat de travail ?
TF1 Production soutenait l’affirmatif...La Cour de cassation en a décidé autrement (Cass. Soc. 25 Juin 2013, pourvoi n°12-13.968)

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Un homme a signé le 28 mai 2003 avec la société Glem, devenue TF1 production, un document intitulé « règlement participants » pour participer au programme « Élection Mister France 2003 ».

L’objet de ce programme consistait à ce que vingt-sept participants sélectionnés par le comité « Mister France » et la société soient réunis pour concourir à l’élection de « Mister France 2003 » et de ses deux dauphins.

Les répétitions se sont déroulées du 27 mai au 3 juin 2003, la diffusion, en direct, ayant eu lieu à cette date.

Le demandeur a obtenu le titre de « Mister France 2003 » et, à ce titre, reçu un prix évalué à 30 000 euros.

Il a saisi la juridiction prud’homale aux fins de requalification de la relation contractuelle en contrat de travail, ainsi que de paiement d’indemnités.

Pour se défendre contre une requalification de la relation contractuelle en contrat de travail, la société TF1 production a avancé les arguments selon lesquels le risque de perte ou de chance de gain caractérise l’existence d’un contrat aléatoire, exclusif de la qualification de contrat de travail.

Selon l’article 1964 du Code civil, le contrat aléatoire est celui « dont les effets, quant aux avantages et aux pertes, soit pour toutes les parties, soit pour l’une ou plusieurs d’entre elles, dépendent d’un événement incertain ».

En l’espèce, la société TF1 production faisait valoir que l’objet du contrat liant le demandeur à la société TF1 production était la participation à une compétition avec pour objectif de remporter un prix dont l’attribution était liée à la victoire (être élu Mister France) ou à l’arrivée en deuxième ou troisième position (être élu premier ou deuxième dauphin), les lauréats étant exclusivement désignés par le vote du public, intervenant en direct, sans aucune intervention de la société de production.

Elle ajoute que le contrat de travail est caractérisé par le lien de subordination qui lie le salarié à l’employeur.

Or, l’adhésion du candidat au règlement d’un jeu télévisé, s’il suppose que le celui-ci accepte, comme en l’espèce de se conformer aux directives de l’organisateur, est exclusive du lien de subordination caractéristique du contrat de travail.

Enfin, elle conclut en soutenant que l’existence d’une relation de travail salariée ne peut résulter que de l’exercice d’une activité professionnelle, c’est-à-dire d’une activité dont le but déterminant est de permettre à celui qui l’exerce de percevoir une rémunération.

Pour la société TF1 production, il ne saurait exister de contrat de travail sans que soit caractérisée la volonté initiale du prétendu travailleur de s’engager à accomplir une véritable prestation de travail pour le compte de son cocontractant moyennant une rémunération.

Ne saurait dès lors, en l’absence de vice du consentement sur les caractéristiques du programme et des modalités de participation, constituer une relation de travail, la participation à un programme de télévision pour laquelle le candidat garantit, dans le contrat conclu avec la production antérieurement au tournage, qu’il participe au programme à des fins personnelles et non à des fins professionnelles et ne perçoit de rémunération qu’au titre d’une éventuelle exploitation commerciale ultérieure de divers attributs de sa personnalité.

La Cour de cassation rejette une telle argumentation et retient que l’objet du contrat ne consistait pas dans l’organisation d’un jeu, que l’élection de « Mister France » était un concept d’émission et non une compétition ayant une existence propre, organisée de manière autonome, et que la prestation des candidats servait à fabriquer un programme audiovisuel à valeur économique, de sorte que la qualification de contrat de jeu devait être écartée.

La Cour suprême ajoute que l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs.

Or, le règlement candidats, effectivement appliqué, comportait des dispositions plaçant les participants sous l’autorité du producteur qui disposait d’un pouvoir de sanction.

Bien plus, le candidat s’engageait à participer aux répétitions et à l’émission pendant huit jours, il acceptait expressément de se conformer au choix du producteur sur les lieux de restauration et d’hébergement, de répondre aux questions du présentateur et aux interviews au cours de l’émission, d’être filmé, d’effectuer les chorégraphies choisies par le producteur.

L’existence d’une prestation de travail exécutée sous la subordination de la société, et ayant pour objet la production d’un bien ayant une valeur économique, prestation consistant pour les participants, pendant un temps et dans un lieu sans rapport avec le déroulement habituel de leur vie personnelle, à prendre part à des activités imposées, ce qui la distingue du seul enregistrement de leur vie quotidienne est parfaitement caractérisée.

Le demandeur était donc bien lié par un contrat de travail à la société de production.

Sébastien LAGOUTTE
Président Cabinet SL CONSULTING CONSILIUM
www.cabinet-sl-consulting.com
Twitter : @SASConsilium
Google+ : +SébastienLagoutte

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