Le 17 septembre 2013, le rapport « JEGOUZO » [1], énonçait dix propositions destinées à non pas simplement définir le préjudice écologique mais bien donner à cet outil un régime cohérent. Si la mesure phare est bien évidemment la codification du préjudice écologique au sein du Code civil, il n’en demeure pas moins que le Groupe de travail est allé beaucoup plus loin que ce qui avait déjà été fait en la matière (2). Mais comme le soulignait le Professeur JEGOUZO « Nous n’avions pas une page blanche » [2], le préjudice écologique est le fruit d’une conscience environnementale qui s’est dessinée ces dernières années (1).
1. De la conscience environnementale à la reconnaissance du préjudice écologique pur.
La notion de préjudice écologique, tel qu’à l’entendre dans ce rapport, c’est à dire per se, n’a pas été une évidence. Seule la prise de conscience de la préservation de l’environnement a permis de réparer les dommages causés à l’environnement par l’allocation de dommages-intérêts réparant les préjudices objectifs causés à lui (par exemple, l’atteinte à la biodiversité).
Très succinctement, plusieurs textes de sources internationale ou européenne démontrent que la question de l’environnement se pose. Mais alors que l’accent est fort en ce qui concerne la prévention des atteintes à l’environnement, il n’en demeure pas moins que beaucoup d’entre eux appelaient à l’édiction d’un régime de responsabilité spécifique. Ainsi en est-il déjà de la Charte européenne de l’environnement et de la santé [3] . Cette dernière énonce l’obligation pour « chaque individu a l’obligation de contribuer à la protection de l’environnement, dans l’intérêt de sa propre santé et de la santé des autres » [4] ; encore « Toutes les composantes de la société sont responsables de la protection de l’environnement et de la santé, qui constitue une question d’ordre intersectoriel faisant intervenir de nombreuses disciplines ; leurs obligations respectives devraient être précisées » [5] . Seulement, l’environnement n’était envisagé que comme lieu d’évolution de l’être humain, lieu qui devait être préservé dans l’intérêt de celui-ci. Mais dépassant la simple économie anthropocentrique vers laquelle tend la charte, il y est énoncé qu’ « Il faudrait appliquer le principe en vertu duquel tout organisme public ou privé provoquant des dommages dans l’environnement ou susceptible d’en provoquer est responsable au plan financier (principe « pollueur-payeur ») » [6] . Le glissement vers l’appréhension de situations post-dommages s’opérait alors (même si la notion de préjudice écologique pur ne s’évoquait pas encore tel qu’entendu actuellement).
Internationalement se développe en parallèle l’idée de devoir réparer les dommages causés à l’environnement. Peuvent être citées parmi d’autres, la Convention de Lugano [7] et la Convention d’Aarhus [8], les parties signataires reconnaissant, dans cette dernière, en son préambule « qu’une protection adéquate de l’environnement est essentielle au bien-être de l’homme ainsi qu’à la jouissance des droits fondamentaux, y compris du droit à la vie lui-même » (l’environnement n’est alors encore conçu qu’à travers le prisme de son impact sur l’être humain).
L’union européenne a affirmé avec force la protection de l’environnement, en définissant sa politique dans le domaine de l’environnement comme « fondée sur les principes de précaution et d’action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement et sur le principe du pollueur-payeur » [9]. Incluant ainsi non seulement la prévention de dommages environnementaux mais également soulignant la nécessité pour les États membres de se doter d’un régime de responsabilité environnementale, le rapport JÉGOUZO conclu que le traité a « eu le mérite de mettre en évidence la spécificité du dommage écologique » [10]. Partant, le Parlement européen et le Conseil européen ont adopté une directive dont l’objet est d’établir un cadre commun de responsabilité en cas d’atteinte à l’environnement [11].
Si pléthore de textes internationaux ou européens existent, le droit interne s’est également pourvu de normes destinées à renforcer l’efficacité de la prévention contre les atteintes à l’environnement mais également à fonder un régime de responsabilité « environnementale ». Outre la codification à droit constant (réalisée en 2000) créant le Code de l’environnement, la Charte de l’environnement a constitué une prémisse importante en matière de responsabilité environnementale . Elle énonce notamment, en son article 4, que « Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement, dans les conditions définies par la loi ». Le Conseil constitutionnel rappelait, à cet égard, qu’il appartenait au législateur d’adopter une législation définissant un régime de responsabilité quant aux dommages environnementaux [12].
Au carrefour des politiques environnementales européenne et française, la Directive précitée a été transposée en droit interne par la loi « relative à la responsabilité environnementale et à diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de l’environnement (LRE) » [13] . Elle définit la notion de « dommage causé à l’environnement » comme constitué par les « détériorations directes ou indirectes mesurables de l’environnement » [14] qui peuvent notamment affecter la santé, l’état écologique des eaux, la conservation des espèces et des habitats et les services écologiques. Si elle énonce un premier régime de responsabilité des acteurs à l’origine de dommages causés à l’environnement, la mise en œuvre de cette loi, qui ne repose pas directement sur elle mais sur le droit commun de la responsabilité, est apparue très difficile compte tenue des exclusions que celle-ci présente et de sa mise en œuvre par la police administrative.
Fondée sur le régime commun de la responsabilité, c’est la jurisprudence qui est à la source de la plus probante initiative. Au sein de sa thèse, le Professeur L.NEYRET [15] avait proposé que soit créé un préjudice écologique pur, ne visant qu’à réparer les préjudices subis par l’environnement per se. En effet, il faut nécessairement distinguer dommage et préjudice pour appréhender cette notion de préjudice écologique pur. Alors que le dommage est constitué par l’atteinte portée à la victime (dommages corporels, matériels, moraux), ceux-ci ouvrent droit à la réparation des préjudices de la victime (extra-patrimoniaux ou patrimoniaux). Ces derniers caractérisent l’atteinte portée aux droits subjectifs. En quelque sorte, ils découlent des premiers. Le préjudice écologique pur s’entend alors de réparer les préjudices de l’environnement pour des dommages causés à celui-ci et non plus réparer les préjudices de victimes (associations diverses, communes, …) qui auraient eu à subir les dommages causés à l’environnement.
La Cour d’appel de Paris avait déjà retenu la qualification de préjudice écologique pur pour condamner TOTAL à réparer celui-ci [16] . Logiquement, les magistrats du Quai de l’Horloge ont repris à leur compte la notion de préjudice écologique, dans l’acception développée par la Cour d’appel [17]. Ainsi, « Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et a ainsi justifié l’allocation des indemnités propres à réparer le préjudice écologique, consistant en l’atteinte directe ou indirecte portée à l’environnement et découlant de l’infraction ». Il faut noter que la Cour d’appel de Paris avait donné la définition du préjudice écologique en les termes suivants : « toute atteinte non négligeable à l’environnement naturel, à savoir, notamment, l’air, l’atmosphère, l’eau, les sols, les terres, les paysages, les sites naturels, la biodiversité et l’interaction entre ces éléments qui est sans répercussions sur un intérêt humain particulier mais qui affecte un intérêt collectif légitime ».
Si le préjudice écologique entrait par la porte des prétoires dans le droit positif, il n’en demeurait pas moins que sa détermination et la quantification des préjudices demeuraient incertaines. En témoigne la Cour de cassation, dans sa décision précitée, qui répare le préjudice moral d’association en parallèle du préjudice écologique, en déterminant le quantum de ceux-ci de la même façon, alors que le préjudice écologique est un préjudice objectif tandis que le préjudice moral est subjectif.
Quelques décisions suivirent par la suite [18] . Il est possible d’observer que ce mouvement jurisprudentiel s’est activé à la suite de la marée noire due au naufrage de l’Erika. L’impulsion réactionnelle en matière de préjudice écologique n’est pas nouvelle. En effet, aux Etats-Unis, le Congrès américain s’était saisie de la question de la réparation du préjudice écologique par suite d’une autre célèbre marée noire en Alaska, causé par le naufrage de l’Exxon Valdez, en 1989. La loi CERCLA (surnommée « superfund », prévoit que le gouvernement puisse agir pour réparer les sols souillés – la loi s’appliquant en cas de contamination des sols par des toxiques – tout en conservant la faculté de se retourner contre les auteurs de la pollution, sur le fondement d’une responsabilité objective, rétroactive et solidaire [19]. Cette loi s’est vue renforcée par le vote, par le Congrès américain, de l’Oil Pollution Act (OPA), le 18 août 1990 à la suite du naufrage. Cette loi institue un régime de responsabilité des acteurs maritimes en cas de marée noire atteignant l’espace maritime territorial états-unien.
Pour pallier aux lacunes du régime prétorien naissant mais également conférer une bien plus grande sécurité à la réparation du préjudice écologique pur, le Parlement devait nécessairement se saisir de la question. En ce sens, le sénateur de VENDÉE, Monsieur B. RÉTAILLEAU a déposé, le 23 mai 2012, une proposition de loi visant à l’inscription du préjudice écologique dans le Code civil. Le 16 mai 2013, le Sénat forme un consensus et vote la proposition de loi, à laquelle il propose la création d’articles 1386-19 à -21 proposant un régime de responsabilité pour les atteintes à l’environnement. Si la proposition de loi manquait de précisions quant au régime de responsabilité, il n’en demeure pas moins qu’elle formait un premier pas vers l’inscription du préjudice écologique dans le Code civil.
C’est dans ce contexte que, mandaté par la Garde des Sceaux, le groupe de travail présidé par le Professeur Y. JÉGOUZO a rendu, il y a quelques jours, un rapport comptant dix propositions en la faveur de la création d’un régime légal de responsabilité pour atteintes à l’environnement.
2. Synthèse des propositions du rapport JÉGOUZO.
• Proposition n°1 : « Définir le préjudice écologique et créer un régime de réparation du dommage environnemental dans le Code civil ». A cette fin, le rapport préconise la création d’un Titre IV ter dans le Livre IIIème du Code civil, qui s’intitulerait « Dispositions spécifiques à la réparation du dommage environnemental ». Un article 1386-19 serait alors inséré, disposant que : « Indépendamment des préjudices réparés suivant les modalités du droit commun, est réparable le préjudice écologique résultant d’une atteinte anormale aux éléments et aux fonctions des écosystèmes ainsi qu’aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement. Pour la détermination des chefs de préjudice mentionnés à l’alinéa précédent, il y a lieu notamment de se référer à la nomenclature établie par décret ».
Le préjudice écologique serait donc une « atteinte anormale aux éléments et aux fonctions des écosystèmes ainsi qu’aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement ». Première observation, la notion d’écosystèmes a été préférée à d’autres car revêtant un caractère plus « pertinent », mais paraissant englober tout l’environnement aux différentes échelles. L’insertion de cet article créerait un précédent en ce qu’il n’est jamais évoqué dans le Code civil de préjudice spécifique. Mais outre cette anecdote, le rapport JÉGOUZO préconise que soit adoptée par décret la nomenclature des chefs de préjudice proposés [20] . Trop riche pour être détaillée ici, elle comprend trois sous-catégories pour les seuls préjudice causés par l’environnement, à savoir les « atteintes aux sols et à leur fonction », « atteintes à l’air ou à l’atmosphère et à leurs fonctions », « atteintes aux eaux, aux milieux aquatiques et à leurs fonctions ». Partant, le groupe de travail a tenu à anticiper les difficultés de mise en œuvre, quant aux chefs de préjudice, en matière de dommages corporels (ce qui avait aboutit à l’adoption de la nomenclature DINTILHAC).
• Proposition n°2 : « Renforcer la prévention des dommages environnementaux ». Dès lors, deux articles seraient insérés au Code civil : article 1386-20 : « Les dépenses exposées pour prévenir la réalisation imminente d’un dommage, en éviter l’aggravation ou en réduire les conséquences peuvent donner lieu au versement de dommages et intérêts, dès lors qu’elles ont été utilement engagées » ; et l’article 1386-21 : « Indépendamment de la réparation du dommage éventuellement subi, le juge peut prescrire les mesures raisonnables propres à prévenir ou faire cesser le trouble illicite auquel est exposé l’environnement ».
Il faut remarquer que la prévention est ici examinée à travers le prisme de l’urgence. Deux cas de figures sont envisagés : si le dommage à l’environnement n’a pas encore eu lieu, il est possible d’œuvrer pour le prévenir. Cependant, l’action engagée devra prévenir la réalisation imminente d’un dommage (la jurisprudence aura sans doute à préciser la notion d’imminence) – dès lors, les sommes engagées pourront donner lieu à l’allocation de dommages-intérêts – ; si le dommage à l’environnement est caractérisé, alors il est possible, dans les mêmes conditions que le premier cas, de tâcher d’en éviter l’aggravation ou de réduire les conséquences de celui-ci. Malgré cela, si le juge a d’ores et déjà été saisi, il lui sera possible de prendre toutes mesures « raisonnables » dans le but de faire cesser « le trouble illicite » ou de la prévenir. La rédaction de l’article 1386-21 semble devoir être l’un des fondements de la saisine du Juge des Référés, tant les vocables utilisés rappellent ceux usités en matière de référé.
• Proposition n°3 : « Ouvrir largement l’action en réparation du préjudice écologique ». Le texte serait alors celui-ci : « Sans préjudice des procédures instituées par les articles L. 160-1 et suivants du code de l’environnement, l’action en réparation des préjudices écologiques visés à l’article 1386-19 est ouverte à l’Etat, au ministère public, à la Haute autorité environnementale [ou au Fonds de réparation environnementale], aux collectivités territoriales ainsi qu’à leurs groupements dont le territoire est concerné, aux établissements publics, fondations et associations, ayant pour objet la protection de la nature et de l’environnement ».
Ouvrir l’action, mais pas à n’importe quel prix. Voilà qui résume cette proposition. Si l’articulation d’avec la loi LRE, telle prévue dans ce texte, démontre que les deux régimes sont indépendants, trois catégories seraient titulaires du droit d’action. Le ministère public, évidemment, qui pourraient se fonder sur la protection de l’intérêt général [21]. Puis, les collectivités territoriales et leurs groupements, les établissements publics, les fondations et associations, qui présentent un caractère de victime potentielle. En outre, en ce qui concerne les associations, elles peuvent d’ores et déjà agir en réparation de l’atteinte à l’intérêt collectif qu’elles ont pour objet de défendre [22]. Il ne s’agit donc que de codifier un droit que la jurisprudence leur accorde déjà. Mais c’est avec l’ouverture de l’action à la « Haute autorité environnementale (ou au fonds de réparation environnementale) » que le rapport est particulièrement novateur. Il s’agirait, en substance, de créer une haute autorité, indépendante, garante du respect de l’environnement. Cette Haute Autorité est la proposition n°4.
• Proposition n°4 : « Créer une Haute Autorité environnementale garante de la protection ».
Il s’agit de combiner effectivité et baisse de l’empreinte budgétaire. Pour parvenir à ceci, l’idée est de fusionner les AAI préexistantes, qui toutes poursuivent un objet commun mais dont les missions ne sont attachées qu’à une certaine branche de la protection de l’environnement, pour en faire une Haute Autorité, instrument unique de protection de l’environnement. Elle aurait « mission générale d’évaluation, de régulation et de vigilance quant à la prévention et la réparation des dommages causés à l’environnement ». Intervenant à tous les instants de la protection de l’environnement, elle serait l’interlocuteur unique garante d’une plus grande effectivité. Une précision s’impose en matière de réparation des dommages : elle pourrait mettre en œuvre des moyens d’expertises indépendants qui aiderait à quantifier les dommages subis par l’environnement en cas d’atteinte, et donc permettrait objectivement [23] de déterminer l’étendue du préjudice écologique pur.
• Proposition n°5 : « Prévoir des règles de prescription spécifique ». A cette fin, serait inséré un nouvel article 2226-1 dans le Code civil, qui disposerait que : « L’action en responsabilité tendant à l’indemnisation des préjudices réparables en vertu du titre IV ter du présent code, se prescrit par dix ans à compter du jour où le titulaire de l’action a connu ou aurait dû connaître la manifestation du dommage causé à l’environnement ».
Rédaction assez classique en matière de prescription, le groupe de travail a souhaité non pas retenir un délai de 30 ans, comme le prévoit la loi LRE, mais au contraire agir sur le point de départ du délai. C’est pourquoi est retenu un point de départ subjectif, qui se traduit par le moment où le titulaire de l’action « a connu ou aurait dû connaître », « la manifestation du dommage ». Cela signifie que le point de départ peut être postérieur à la date du fait générateur. En outre, la durée du délai s’aligne sur celle existant en matière de dommages corporels.
• Proposition n°6 : « Spécialiser le juge de la réparation du dommage environnementale ». A cette fin, serai inséré dans le Code de l’Organisation Judiciaire (COJ) : « Le siège et le ressort des tribunaux de grande instance et des cours d’appel ayant compétence exclusive pour connaître des actions en réparation des préjudices résultant d’une atteinte à l’environnement, sont fixés conformément au tableau annexé au présent code ».
« Au sein de chaque tribunal de grande instance et de chaque cour d’appel dont la compétence territoriale est étendue en application de l’alinéa précédent, le procureur général et le premier président, désignent respectivement un ou plusieurs magistrats du parquet ou du siège après avis du procureur de la République ou du président du tribunal de grande instance pour exercer les compétences relatives à la réparation des atteintes à l’environnement ».
Touchant tant les magistrats du Siège que du Parquet, cette spécialisation aurait pour but de répondre aux défis techniques qu’auraient à connaître les magistrats. Par la spécialisation, ceux-ci acquerraient une expertise sur les questions environnementales. Certains cabinets d’avocats étant déjà spécialisés, la spécialisation des juges apparaît logique, surtout en regard de ce qui se pratique déjà – par exemple en matière de propriété intellectuelle.
• Proposition n°7 : « Créer les conditions d’une expertise spécialisée et indépendante en matière environnementale ». Substantiellement, la proposition consiste à renforcer l’indépendance des experts par l’obligation de déclarer tout conflit d’intérêts ; d’adhérer à la charte de déontologie déjà existante [24]. Le fonds de réparation environnementale pour remplir une mission de « financeur » de ces expertises.
• Proposition n°8 : « Consacrer le principe de la réparation en nature du préjudice écologique ». Si la proposition était retenue, l’article 1386-22 du Code civil serait ainsi rédigé : « La réparation des préjudices visés à l’article 1386-19 s’effectue par priorité en nature, par des mesures de réparation primaire, complémentaire et le cas échéant, compensatoire.
En cas d’impossibilité, d’insuffisance ou de coût économiquement inacceptable d’une telle réparation, le juge alloue des dommages et intérêts affectés à la protection de l’environnement. Subsidiairement, ces dommages et intérêts sont alloués au Fonds de réparation environnementale [ou à la Haute autorité environnementale] à des fins exclusives de réparation environnementale ».
Il s’agit là d’une des propositions les plus fortes du rapport JÉGOUZO. En droit commun, le juge a souvent conservé la liberté de pouvoir accorder une réparation par équivalent, quand bien même la réparation en nature fût demandée [25]. Mais il s’agit là d’atteindre un objectif si particulier, que l’allocation de dommages-intérêts ne saurait être suffisante à plusieurs égards. Premièrement, la monétisation de l’environnement reviendrait à lui conférer une valeur marchande. Or, la nature a un caractère non marchand. Deuxièmement, il est particulièrement difficile d’évaluer monétairement le coût du préjudice écologique, tant que l’atteinte à l’environnement n’est pas absolument réparée. La réparation n’est alors pas figée mais adaptable à mesure des coûts qu’elle entraine. Enfin, cela permet d’atteindre l’objectif premier de la réparation du préjudice écologique pur, à savoir la remise en état de l’environnement atteint. C’est par ailleurs la solution qu’avait adopté la loi LRE. La Haute Autorité ou le Fonds seraient garants de la bonne marche des opérations, de même que le juge qui resterait saisissable à mesures que des difficultés se feraient montre. Trois exceptions au principe de réparation en nature existeraient : l’impossibilité de celle-ci (le rapport évoque l’impossibilité juridique de mettre un terme à une activité dès lors qu’elle a été autorisée administrativement), l’insuffisance (il faut y voir une forme de complémentarité d’avec la réparation en nature) et le « coût économique inacceptable » de la réparation en nature. Conformément à la directive de 2004 qui évoquait l’hypothèse de « l’option raisonnable », la réparation en nature ne doit pas avoir un coût au-delà de ce qui est acceptable (est-ce à dire que ce serait la reconnaissance d’une forme de mitigation du préjudice écologique, dans son volet réparation en nature ?). Enfin, les dommages-intérêts seraient affectés en premier lieu au demandeur, a contrario du droit commun – sauf l’hypothèse subsidiaire prévue à l’alinéa 2 de l’article 1386-22 du rapport.
• Proposition n°9 : « Créer un fonds de réparation environnementale ». Ce fond, qui, d’une part, serait relié à la Haute Autorité environnementale en une ligne comptable ou, d’autre part, serait doté de la personnalité juridique si la Haute Autorité environnementale n’était pas créée, aurait pour objet premier de recevoir et veiller à la bonne utilisation des sommes allouées à la réparation du préjudice écologique. Il pourrait, dans la seconde hypothèse évoquée, être chargé d’une mission de protection de l’environnement.
• Proposition n°10 : « Consacrer l’amende civile ». Serait créé un article 1386-23 rédigé comme suit : « Lorsque l’auteur du dommage a commis intentionnellement une faute grave, notamment lorsque celle-ci a engendré un gain ou une économie pour son auteur, le juge peut le condamner, par une décision spécialement motivée, au paiement d’une amende civile.
Cette amende est proportionnée à la gravité de la faute commise, aux facultés contributives de l’auteur ou aux profits qu’il en aura retirés.
L’amende ne peut être supérieure à 2 millions d’euros. Toutefois, elle peut être portée au décuple du montant du profit ou de l’économie réalisés.
Si le responsable est une personne morale, l’amende peut être portée à 10 % du montant du chiffre d’affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d’un des exercices clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel la faute a été commise.
Cette amende est affectée au financement du Fonds de réparation environnementale ».
Le choix s’est porté sur l’amende civile, écartant ainsi les dommages-intérêts punitifs qui, selon le groupe de travail, opérait une trop grande confusion d’objets entre responsabilités civile et pénale. L’amende civile ne serait prononcée quand dans une hypothèse, à savoir la faute grave. Celle-ci pourrait être constituée par la faute lucrative, c’est à dire que la faute commise par l’auteur de l’atteinte lui serait économiquement profitable, malgré toute condamnation, ou a été commise dans le but d’en tirer profit [26] . L’alinéa 2 prévoit que la détermination du montant de l’amende se ferait en fonction de critères visant à la proportionnaliser. Les alinéas suivants évoquent des plafonds, particulièrement importants pour les personnes morales (la plupart des auteurs d’atteintes à l’environnement à grande échelle), dans un objectif avoué de dissuader de commettre une telle faute. Enfin, la logique voudrait que les sommes versées en règlement de l’amende civile n’intègrent pas le budget général de l’Etat mais soit alloué au Fonds de réparation environnemental. Sanctionner pour atteinte intentionnelle à l’environnement, l’auteur se trouverait ainsi – en dehors de la réparation de l’atteinte – acteur de la protection de l’environnement.