Point de liberté sans bornes à la télévision.

Par Manon Vialle, Juriste.

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Explorer : # liberté d'expression # humour et droit # discrimination # droits des femmes

Comme chacun le sait, la liberté d’expression est un droit humain fondamental. C’est aussi une expression très utilisée ces dernières années à la télévision et dans les médias en général. Peut-on tout dire à la télévision et dans les médias ? Quelle est la place de l’humour ? Quelles sont les limites juridiques ?

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Diverses sources juridiques consacrent la liberté d’expression.
L’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme dispose que "tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit."
L’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen inséré dans le préambule de la Constitution de 1958 dispose également que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »
Au niveau européen, la liberté d’expression est également garantie par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme : « la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière ».

Le 18 juin 2018, le Conseil d’État a rendu deux décisions relatives à l’usage de la liberté d’expression à la télévision. Les deux décisions concernent la société C8 qui diffuse l’émission de Cyril Hanouna, « Touche pas à mon poste ».
Dans le premier arrêt, le Conseil d’État donne raison au CSA (Conseil supérieur de l’Audiovisuel) par rapport à la sanction prise à l’encontre de la société C8.
Voici le rappel des faits : lors de l’émission de divertissement « Touche pas à mon poste », diffusée en direct le 7 décembre 2016, l’animateur a proposé à une chroniqueuse de fermer les yeux et de deviner quelle partie du corps elle lui touchait. Après quelques séquences, l’animateur a posé la main de la chroniqueuse sur son entrejambe. Le CSA a mis en demeure la société C8 et l’a sanctionnée en interdisant la diffusion « des séquences publicitaires, pendant une durée de deux semaines, au sein de l’émission en cause et pendant les quinze minutes précédant et suivant la diffusion de cette émission ». La société défenderesse a demandé au Conseil d’État l’annulation de cette sanction qu’elle juge disproportionnée. Mais le Conseil d’État a donné raison au CSA pour plusieurs motifs.
Tout d’abord, selon l’arrêt rendu [1], il est relevé un défaut de maîtrise de l’antenne [2] et un manquement aux obligations de l’alinéa 5 de l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 [3] relatif au droit des femmes à la télévision. Il est reproché à l’émission d’avoir véhiculé des stéréotypes de la femme comme objet sexuel et une image dégradante de la femme.

Dans le deuxième arrêt [4], le Conseil d’État donne à nouveau raison au CSA pour avoir sanctionné la même chaîne à une amende de trois millions d’euros. Lors de l’émission nommée ci-dessus rebaptisée pour l’occasion « TPMP, Baba hot line », diffusée le 18 mai 2017, Cyril Hanouna a eu des conversations téléphoniques avec des auditeurs hommes homosexuels en se faisant passer pour une personne bisexuelle. Ils ont échangé des propos explicites diffusés à l’insu des interlocuteurs de l’animateur.
Le CSA a estimé que ces faits étaient contraires aux valeurs qui doivent être promues à la télévision comme la non-discrimination, la solidarité [5] et au respect de la vie privée [6]. Comme il ne s’agit pas du premier manquement de l’émission et de la chaîne, le CSA a fixé la sanction pécuniaire à 3 millions d’euros.

Ces deux affaires posent une fois de plus la question du rapport entre l’humour et le droit. La jurisprudence en la matière est déjà conséquente. La caricature, la parodie, l’humour en général n’est pas toujours conforme au droit. La Cour de cassation a, une fois de plus, mis en avant les limites au droit à l’humour dans ces deux arrêts.

Ces dernières années, les tribunaux ont dû se pencher sur bon nombre d’affaires relatives au droit à l’humour. L’humour est encadré par le droit et on ne peut pas tout dire ou faire sous le joug de l’humour. Par exemple, un animateur d’une émission de radio avait parodié l’émission "L’École des fans", et mis en scène la petite-fille d’un homme politique d’extrême droite dont il imitait la voix. Elle chantait des chansons avec des paroles modifiées à caractère polémique telles que « il court, il court le führer ». Les parents de la petite-fille ont intenté une action contre la société qui a diffusé la parodie. Après avoir été déboutés en première instance et en appel, les parents ont obtenu gain de cause en cassation. La Haute juridiction considère qu’il y a atteinte à la vie privée de l’enfant conformément aux articles 8 et 10 de la Convention des Droits de l’Homme [7].

Que ce soit au sujet de la religion, des orientations sexuelles, politiques, de la vie privée des personnes en général, des droits fondamentaux… le droit et l’humour sont indissociables. Le droit permet autant qu’il limite les différentes formes d’humour.

Manon VIALLE, Avocat

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Notes de l'article:

[1Arrêt CE, 18/06/2018, n°412071

[2Article 4-2-4 de la convention relative au service de télévision « Direct 8 » du 10 juin 2003.

[3Il assure le respect des droits des femmes dans le domaine de la communication audiovisuelle. A cette fin, il veille, d’une part, à une juste représentation des femmes et des hommes dans les programmes des services de communication audiovisuelle et, d’autre part, à l’image des femmes qui apparaît dans ces programmes, notamment en luttant contre les stéréotypes, les préjugés sexistes, les images dégradantes, les violences faites aux femmes et les violences commises au sein des couples. Dans ce but, il porte une attention particulière aux programmes des services de communication audiovisuelle destinés à l’enfance et à la jeunesse.

[4Arrêt CE, 18/06/2018, n° 414532

[5Article 2-3-3 de la convention du 10 juin 2003 : l’éditeur « veille dans son programme à promouvoir les valeurs d’intégration et de solidarité qui sont celles de la République et à lutter contre les discriminations ».

[6Article 9 du Code civil + article 2-3-4 de la convention du 10 juin 2003.

[7Arrêt civ 1ère, 20 mars 2014

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