Plus-value immobilière, résidence principale et marchands de biens : l’exonération d’impôt s’applique t-elle ?

Par Margaux Dossin-Disant, Avocat.

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Explorer : # plus-value immobilière # exonération fiscale # résidence principale # fraude fiscale

Il résulte de l’article 35 du Code général des impôts que les personnes qui habituellement achètent des immeubles en vue de les revendre sont réputées exercer une activité de marchand de biens.
Cette qualification nécessite donc que deux conditions soient réunies : l’intention spéculative (appréciée à la date d’acquisition du terrain) et le caractère habituel des opérations.
Lorsque c’est le cas, les gains de cession doivent être imposés à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (ci-après BIC) et assujettis à la TVA.
Mais qu’advient-il de cette qualification lorsque le contribuable procédant à de telles opérations revendique l’exonération applicable lors de la cession de sa résidence principale ?

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A titre de rappel, la plus-value immobilière réalisée lors de la cession de la résidence principale est exonérée d’impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux par application de l’article 150-U-II, 1° du Code général des impôts.

L’administration fiscale considère que sont constitutives des résidences principales « les immeubles ou parties d’immeubles constituant la résidence habituelle et effective propriétaire » (BOI-RFPI-PVI-10-40-10 n°40).

  • La résidence habituelle doit s’entendre du lieu où le contribuable réside habituellement pendant la majeure partie de l’année.
  • S’agissant de l’effectivité, elle précise qu’« une utilisation temporaire d’un logement ne peut être regardée comme suffisante pour que le logement ait le caractère d’une résidence principale susceptible de bénéficier de l’exonération. Lorsqu’un doute subsiste, le contribuable est tenu de prouver par tous moyens de la résidence ».

L’analyse du juge de l’impôt en la matière étant devenue purement factuelle, il apprécie les faits à la lumière d’un faisceau d’indices parmi lesquels :

  • Le lieu d’imposition,
  • Les comptes bancaires,
  • La consommation énergétique (qui doit correspondre au mode de vie normal d’une habitation principale),
  • L’adresse postale communiquée aux administrations diverses, etc.

Tout étant affaire de circonstances, il convient donc d’être attentif lorsqu’on revendique cette exonération qui, si elle est remise en cause par l’administration fiscale, peut entraîner outre l’application logique de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux (19% + 17,2% après application éventuelle des abattements pour durée de détention), l’application d’intérêts de retard mais également d’importantes pénalités.

Par deux récents arrêts en effet, le juge de l’impôt a validé :

  • L’application des majorations de 40% pour manquement délibéré (CAA de Paris, 30-06-2023, 21PA05087) : « En mentionnant que M. B... avait donné son appartement constituant le lot n° 40, acquis en 2004, en location jusqu’à l’été 2009, puis y a hébergé à titre gracieux un étudiant, et a conservé sa résidence principale dans l’appartement contigu, constituant le lot n° 41, qu’il a conservé, le ministre établit que l’intéressé, qui ne pouvait ignorer lequel de ses deux appartements constituait sa résidence principale, a commis un manquement délibéré justifiant ainsi la pénalité de 40 % infligée au requérant ».
  • Et même l’application des majorations de 80% pour manœuvres frauduleuses (CAA Douai, 4-05-2023, 21DA01897). Au cas particulier, le contribuable s’était prévalu abusivement de plusieurs adresses et de différents déménagements afin de placer les plus-values réalisées lors de la cession des biens en cause sous le régime d’exonération.

Cela signifie-il que le fait de revendiquer plusieurs fois l’exonération dans un laps de temps réduit constitue une manœuvre frauduleuse ?

A priori non : dans l’arrêt précité de la Cour administrative d’appel de Douai, l’application des majorations de 80% ne tenait pas au fait que le contribuable se soit prévalu de l’exonération à trois reprises en deux ans mais à la circonstance que ce dernier était incapable de démontrer avoir habité habituellement et effectivement dans les biens immobiliers cédés.

Qui plus est, la jurisprudence a rappelé à de multiples reprises que la brièveté de l’occupation à titre principal n’était pas de nature à remettre en cause l’exonération.

L’administration fiscale quant à elle prévient (BOI-RFPI-PVI-10-+40-10 n°180) : l’exonération est refusée lorsque l’occupation au moment de la vente répond à des motifs de pure convenance et notamment lorsque le propriétaire revient occuper le logement juste avant la vente pour les besoins de cette dernière.

Ces considérations étant faites, cela n’a pas empêché le juge de l’impôt, dans un arrêt étonnant (CE, 14-06-2023 n°461960), d’offrir à deux « marchands de biens » la possibilité de faire échec à la taxation à l’impôt sur le revenu en BIC et à l’assujettissement à la TVA en se prévalant du fait que ces biens avaient constitué leur résidence principale…

En l’occurrence, lesdits contribuables avaient procédé à neuf opérations d’achats de terrains et de reventes de maisons entre 1999 et 2012 tout en prenant soin d’y établir leur résidence habituelle et effective peu de temps avant la revente.

L’administration fiscale, suivie par la Cour administrative d’appel (CAA Bordeaux, 6 mai 2021, 19BX0455), avait logiquement conclu à l’existence d’opérations de marchands de biens et procédé à la taxation des gains correspondant à l’impôt sur le revenu en BIC ainsi qu’à des rappels de TVA.

En cause bien sûr, l’intention spéculative des contribuables qui faisait pourtant peu de doute tant le nombre des opérations d’achat-revente était important et prise en considération des circonstances suivantes :

  • Le court délai séparant l’achèvement des travaux de construction et la vente,
  • Le fait que le couple, avant même que la maison ne soit vendue, avait déjà préparé le coup d’après par l’acquisition d’un autre terrain…

Le Conseil d’Etat considère quant à lui que :

« Il résulte de ces dispositions que les bénéfices et le chiffre d’affaires réalisés à l’occasion de la cession d’immeubles sont imposables à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux et taxables à la taxe sur la valeur ajoutée, lorsque ces cessions sont faites par un contribuable qui se livre habituellement à l’activité de marchand de biens, sauf pour l’intéressé à établir soit que les immeubles qu’il a vendus avaient été acquis pour satisfaire des besoins personnels ou familiaux et, de ce fait, que leur vente relevait de la simple gestion de son patrimoine personnel, soit que les immeubles en cause constituaient sa résidence principale ».

« La seule circonstance qu’un contribuable procède à des acquisitions et cessions successives d’immeubles qu’il affecte à sa résidence principale, sans que l’administration fiscale n’établisse ni qu’il ne les aurait pas occupés à ce titre ni que ces opérations procédaient d’un abus de droit, ne saurait, compte tenu de l’exonération des plus-values de cession de résidence principale prévue par l’article 150-U du code général des impôts, caractériser une activité de marchand de biens. »

Est-ce dire que l’on peut échapper à l’imposition en BIC lorsque les immeubles vendus ont successivement constitué sa résidence principale ?

Prudence étant mère de sûreté, il convient de ne pas s’engouffrer dans la brèche, le Conseil d’Etat semblant fixer une limite : l’administration aurait pu rendre aux opérations ci-dessus décrites leur véritable qualification en se plaçant sous la procédure d’abus (ou de « mini » abus) de droit fiscal (Livre des Procédure Fiscales, articles L. 64 et L 64 A).

Pour cela, il aurait suffi de démontrer que les contribuables avaient établi leur résidence habituelle et effective dans les biens immobiliers cédés en vue (exclusivement ou principalement) d’éluder l’impôt sur la plus-value.

Or, rappelons que le cas échéant, des majorations au taux de 40% et 80% sont dues.

Margaux Dossin-Disant, Avocat fiscaliste,
Barreau de Lyon
MDD Avocat Conseil
www.mdd-avocat.com

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  • par GRAIN Sophie , Le 28 juillet 2023 à 07:31

    Bonjour,

    je viens de lire votre article qui est fort intéressant

    Pourriez vous me donner votre avis d’expert vis à vis de ce qui suit :
    Exonération des plus-values immobilières en cas de réemploi immédiat
    Les marchands de biens peuvent bénéficier d’une exonération d’impôt sur les plus-values immobilières s’ils réinvestissent le produit de la vente dans l’achat d’un autre bien immobilier dans un délai de deux ans suivant la vente. Cette exonération est soumise à certaines conditions, notamment celle que le bien acheté soit destiné à la revente.
    En résumé, l’activité de marchand de biens consiste à acheter des biens immobiliers pour les revendre après rénovation ou transformation. Les marchands de biens sont soumis à la TVA sur leurs achats et peuvent récupérer la TVA payée sur les ventes. Ils sont également soumis à l’impôt sur les sociétés sur leurs bénéfices et doivent payer l’impôt sur les plus-values immobilières lorsqu’ils vendent un bien immobilier. Cependant, ils peuvent bénéficier d’une exonération d’impôt sur les plus-values immobilières s’ils réinvestissent le produit de la vente dans l’achat d’un autre bien immobilier dans un délai de deux ans suivant la vente.

    détails des règles pour l’exonération des plus-values immobilières pour les marchands de biens :
    • Les marchands de biens peuvent bénéficier d’une exonération d’impôt sur les plus-values immobilières s’ils réinvestissent le produit de la vente dans l’achat d’un autre bien immobilier dans un délai de deux ans suivant la vente.
    • Cette exonération est soumise à certaines conditions, notamment celle que le bien acheté soit destiné à la revente.
    • Le bien acheté doit être revendu dans un délai de 5 ans à compter de son acquisition, sauf exceptions.
    • Le montant de l’exonération dépend du prix d’acquisition du bien revendu et du prix d’acquisition du bien acheté.
    • Si le prix d’acquisition du bien acheté est inférieur à celui du bien vendu, l’exonération est partielle et proportionnelle à la différence de prix.
    • Si le bien acheté est revendu avant l’expiration du délai de 5 ans, l’exonération est remise en cause et l’impôt sur la plus-value est dû.
    • Enfin, il est important de noter que les marchands de biens doivent tenir une comptabilité spécifique pour bénéficier de cette exonération.

    Je vous remercie d’avance pour votre aide éclairée

    Excellente journée !

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