La Convention Judiciaire d’Intérêt Public (CJIP) a été introduite par l’article 22 de la loi Sapin 2 du 9 décembre 2016. Il s’agit d’un nouvel instrument juridique de nature transactionnelle applicable en matière de corruption, trafic d’influence, fraude fiscale, blanchiment et autres infractions connexes.
La CJIP peut être proposée par le PNF à toute personne morale mise en cause ou mise en examen pour des atteintes à la probité. Elle implique les mesures suivantes pour la personne morale :
- Le paiement d’une amende d’intérêt public d’un montant maximal de 30% du chiffre d’affaires moyen annuel ;
- La mise en place, sous le contrôle de l’AFA, d’un programme de mise en conformité d’une durée maximale de trois ans ;
- La réparation du préjudice subi par la victime si celle-ci est identifiée.
Bien que le PNF suggère aux entreprises visées de reconnaître les faits de manière non-équivoque afin d’obtenir une réduction du montant de l’amende, la CJIP n’équivaut pas à une reconnaissance de culpabilité.
La CJIP n’entraîne pas d’inscription au casier judiciaire pour la personne morale qui la conclut. Cependant, pour qu’elle produise ses effets, elle doit être validée par le président du tribunal à l’issue d’une audience publique au cours de laquelle les conseils de la victime, de la personne morale et du PNF peuvent formuler des observations.
Le président du tribunal est saisi par une requête accompagnée de la proposition de convention signée et de la procédure d’enquête ou d’instruction.
L’ordonnance de validation ou de refus de validation est notifiée aux représentants légaux de la personne morale et de la victime. La personne morale dispose d’un délai de rétractation de dix jours. En l’absence de rétractation, les obligations prévues par la convention sont mises en œuvre.
La victime ne peut s’opposer à la proposition d’une CJIP ni interjeter appel de la décision de validation. Cependant, elle peut formuler des observations, notamment sur la détermination du préjudice subi.
Quels sont les avantages d’une Convention Judiciaire d’Intérêt Public ?
Le PNF souligne les avantages pour la personne morale, similaires à ceux de la justice négociée :
- Rapidité de la procédure transactionnelle ;
- Réduction de l’atteinte à la réputation de l’entreprise ;
- Affichage public d’une volonté de rompre avec les pratiques portant atteinte à la probité et volonté de transparence ;
- Cohérence des accords en tenant compte de la coopération internationale des autorités. Ainsi, une CJIP peut prendre en compte des procédures engagées à l’étranger pour établir un programme de mise en conformité cohérent ;
- Absence de certaines peines complémentaires susceptibles d’être prononcées par le tribunal correctionnel (confiscation, interdiction d’exercer certaines activités, exclusion des marchés publics).
Il convient cependant de noter que, conformément à l’article 41-1-2 du Code de procédure pénale, le parquet peut engager des poursuites pénales contre les personnes physiques, y compris les dirigeants de la personne morale, s’ils sont auteurs ou complices des infractions concernées par la CJIP. Le PNF examine au cas par cas les mesures à prendre à l’égard des personnes physiques, telles que la citation devant le tribunal correctionnel ou la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.
Dans quelles conditions une Convention Judiciaire d’Intérêt Public peut-elle être mise en œuvre ?
Il a été rappelé que la CJIP ne peut être utilisée que dans le cadre d’une enquête judiciaire préalable (enquête préliminaire ou information judiciaire) et pour des infractions déterminées par la loi.
Ces lignes directrices précisent cependant que son utilisation doit être réservée aux situations où il apparaît dans l’intérêt public de ne pas engager de poursuites pénales.
Si la CJIP n’aboutit pas, le procureur de la République engage l’action publique, sauf en présence d’éléments nouveaux.
La bonne foi, une condition indispensable :
Le PNF accorde une importance capitale à la bonne foi de la personne morale qui choisit cette voie. Elle peut se déduire notamment d’une révélation spontanée des faits au parquet dans un délai raisonnable.
Le parquet exige également que la personne morale participe à la manifestation de la vérité en réalisant une enquête interne sur les faits reprochés, les personnes impliquées et les dysfonctionnements au sein du système de conformité.
Aussi, la personne morale doit transmettre au parquet un rapport d’enquête interne contenant les éléments de preuve. Il est précisé que cette enquête interne est distincte de l’enquête judiciaire menée par les autorités.
Enfin, le parquet évalue la mise en place spontanée d’un programme de conformité pour les personnes morales, l’adoption de mesures correctives visant à renforcer la qualité et l’efficacité du programme de conformité, l’adaptation de la stratégie du groupe aux risques identifiés, la possible modification de l’équipe de direction et l’indemnisation préalable des victimes si elles sont identifiées.
Si la personne morale n’a pas mis en place un programme de conformité préalable ni pris de mesures correctives après avoir constaté des manquements, il est fort probable que le parquet n’oriente pas la procédure vers une CJIP.
Dans le cas de fraude fiscale, la personne morale doit avoir réglé ses obligations fiscales avant ou au moment de la signature de la CJIP (remboursement des impôts éludés, intérêts de retard et pénalités imposés par l’administration fiscale).
Dans les lignes directrices précédentes publiées en 2019, il était également mentionné que la personne morale ne devait pas avoir déjà fait l’objet d’une sanction antérieure pour des faits similaires si elle souhaitait bénéficier d’une CJIP.
Quelles sont les modalités de négociation de la Convention Judiciaire d’Intérêt Public ?
La personne morale et le PNF doivent s’accorder sur l’étendue matérielle et temporelle des faits couverts par la CJIP. Il est possible que d’autres faits soient reprochés à la personne morale en conséquence de ces négociations.
Ces domaines d’application de la CJIP sont déterminés en fonction des qualifications mentionnées dans les convocations à comparaître lorsqu’une personne morale est mise en examen ou placée sous le statut de témoin assisté.
L’enquête judiciaire et les actions menées par le Parquet se poursuivent normalement à l’égard des tiers et peuvent entraîner des mesures d’enquête telles que des perquisitions, des saisies ou des réquisitions.
Selon le dernier alinéa de l’article 180-2 du Code de procédure pénale, si une information judiciaire est ouverte, un accord sur la CJIP doit être conclu dans un délai maximal de trois mois à compter de la transmission du dossier par le juge d’instruction au parquet en vue de la mise en œuvre de la CJIP.
Si la CJIP n’est pas conclue dans ce délai, le Parquet transmet le dossier au juge d’instruction accompagné de réquisitions en vue de la reprise de l’information.
Focus sur la confidentialité des échanges :
L’article 11 du Code de procédure pénale garantit la confidentialité de l’enquête et de l’instruction.
Selon l’article 41-1-2 du Code de procédure pénale, si la CJIP n’est pas conclue, le procureur ne peut pas faire état devant la juridiction d’instruction ou de jugement des déclarations ou documents fournis par la personne morale. Seuls les éléments de preuve obtenus par voie de réquisition ou de saisie peuvent être réutilisés.
Cependant, cette confidentialité ne s’applique pas aux documents versés à la procédure avec l’accord de la personne morale lors des négociations préalables à la proposition formelle de convention.
Si les négociations n’aboutissent pas à un accord, l’enquête préliminaire ou l’information judiciaire se poursuivra.
Détermination de l’amende :
Le PNF précise ici les critères pour le calcul de l’amende qui peut être prononcée.
Les éléments pris en compte incluent notamment :
- L’évaluation des avantages résultant des manquements (directs et indirects) ;
- Le comportement de l’entreprise, qui peut justifier des majorations (jusqu’à 50% en cas de troubles graves à l’ordre public ou de répétition des actes) ou des réductions (jusqu’à 50% en cas de révélation spontanée).
Le PNF fournit même des précisions sur le calcul de la part punitive de l’amende d’intérêt public :
« La somme des facteurs d’aggravation (FA) et des facteurs d’atténuation (FA) détermine un coefficient appliqué à la base de calcul de la part punitive de l’amende d’intérêt public, qui correspond au montant des avantages tirés des manquements (ATM), comme suit : Part punitive de l’amende = ATM * (1 + FA - FA) ».
Ces éléments nouveaux contenus dans le document visent à encourager les entreprises à coopérer, prévenir et réagir dans le but de réduire le montant des amendes prononcées.
Le paiement de l’amende doit être effectué dans les 10 jours suivant la validation de l’ordonnance. Un échelonnement sur une durée maximale d’un an peut être convenu au cas par cas.
Mise en place d’un programme de mise en conformité :
L’entreprise doit s’engager à mettre en œuvre un programme de conformité dont l’exécution est supervisée par l’AFA (Agence française anticorruption). Ce programme, d’une durée maximale de trois ans, vise à garantir l’existence et la mise en œuvre des mesures et procédures énumérées à l’article 131-39-2 du Code pénal. Il est défini conjointement par le parquet et l’AFA. Le coût de ce programme de conformité incombe à la personne morale, et son montant maximal est évalué par l’AFA.
En cas de refus de validation, de rétractation ou de non-exécution de la CJIP, le procureur de la République engagera l’action publique, sauf en présence d’éléments nouveaux (tels que la découverte de faits nouveaux ou la disparition de la personne morale).
Si l’ordonnance est validée, elle fait l’objet des actions suivantes :
- Affichage au tribunal ;
- Communiqué de presse à l’issue de l’audience de validation ;
- Publication de la convention et de l’ordonnance sur les sites Internet du ministère de la Justice et du ministère du Budget après expiration du délai de rétractation ;
- Ordonnance de non-lieu ou de non-lieu partiel rendue par le juge d’instruction.
La CJIP constitue donc un outil permettant d’atteindre des objectifs de réparation et de prévention des infractions économiques et financières. Elle favorise une approche pragmatique tout en maintenant des exigences de transparence et de responsabilité. Ces lignes directrices offrent des orientations précieuses aux acteurs impliqués dans la mise en œuvre de la CJIP, dans le but de promouvoir l’intégrité et l’éthique des entreprises, ainsi que la préservation de l’intérêt public.
Discussion en cours :
Un grand Merci pour cet excellent résumé et perspectives.
Toutefois, il convient de souligner que si le Procureur PEUT proposer à une personne morale de conclure une CJIP, l’article 41-1-1 du CPP stipule en son dernier alinéa du paragraphe I clairement que "Les représentants légaux de la PM mise en cause demeurent responsables en tant que personnes physiques .....
Et, ceci fort heureusement, car le rappel de cette règle n’est que la simple traduction du sacro principe de la personnalité des peines et le fondement essentiel de notre pacte social.
Par ailleurs, et dans le cas contraire et à juste titre cela en ferait bondir plus d’un !