Les revenus occultes et la possibilité d’apporter la preuve d’une erreur.

Par Nathalie Aflalo, Avocat.

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Explorer : # fraude fiscale # activité occulte # vérification de comptabilité # droit à l'erreur

Une activité occulte est une activité qui n’a, à aucun moment, été portée à la connaissance de l’administration fiscale.
Cette dernière devant s’entendre principalement d’une activité pour laquelle le contribuable n’a pas accompli les formalités auxquelles il était tenu lors de sa création [1].

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Dès lors, et en cas de découverte d’une activité occulte, les conséquences sont un droit de reprise de l’administration fiscale pouvant s’exercer jusqu’à la fin de la 10ᵉ année suivant celle au titre de laquelle l’imposition est due ainsi que l’application d’une majoration de 80%.

Dans ce contexte, se pose la question de savoir, s’il est possible pour le contribuable d’invoquer au titre de sa défense une quelconque erreur et dans quelles conditions ?

Nous analyserons ces questions au travers d’un cas pratique, relatif à la révélation en France d’un siège de direction effective, d’une société étrangère : une société de droit français, décide de créer à l’étranger pour des raisons diverses et variées, une société à l’étranger, Espagne, Angleterre, Luxembourg,…

Elle estime que les obligations fiscales accomplies à l’étranger, elle n’a rien à déclarer en France, l’administration fiscale va lui opposer une toute autre vision.

1 - Visite et saisie domiciliaire au visa de l’article L16 B du LPF.

Tout débute par une perquisition fiscale exercée au siège social de la société de droit français.

Ainsi et au visa de l’article L16 B du LPF :

« les agents des finances publiques disposent d’un droit de visite et de saisie pour la recherche des infractions en matière d’impôts directs et de taxes sur le chiffre d’affaires ».

Cette mesure permet à l’administration de rechercher en tous lieux, même privés, la preuve d’agissements frauduleux lorsqu’il existe des présomptions qu’un contribuable se soustrait à l’établissement ou au paiement de l’impôt sur le revenu ou sur les bénéfices, ou des taxes sur le chiffre d’affaires,

La mise en œuvre de la procédure spéciale de visite et de saisie prévue à l’article L16 B du LPF est subordonnée à l’autorisation de l’autorité judiciaire. L’administration doit solliciter cette autorisation pour chaque visite.

Le juge doit rechercher l’existence de présomptions d’agissements frauduleux commis sciemment.

La perquisition se clôture par la remise d’un procès-verbal listant les conditions de visite ainsi que la liste des pièces saisies, au dirigeant de la société.

Les voies de recours contre la procédure de visite et de saisie peuvent prendre la forme d’un recours contre l’ordonnance du juge des libertés et de la détention ou un recours contre les mesures d’exécution de la procédure de visite et de saisie.

L’ordonnance du juge des libertés et de la détention peut faire devant le premier président de la cour d’Appel.

A l’issue de cette procédure de visite et de saisie, dont l’objet est la recherche d’agissements frauduleux, l’administration considère qu’un siège de direction effective est caractérisé en France. Les éléments découverts l’amène à penser que la société étrangère exerce en France une activité occulte par l’intermédiaire « d’un établissement stable ». Elle procède dès lors à une vérification de comptabilité.

2 - La procédure de vérification de comptabilité : caractérisation d’un siège de direction effective en France.

Poursuivons notre raisonnement, la perquisition fiscale est achevée, les recours ont été exercés et la Cour d’Appel a validé la régularité de la procédure de visite et saisie prévue à l’article L16 B du LPF.

Dès lors, les copies des documents saisis sont opposables aux intéressés et aux tiers.

Dans la continuité, l’administration diligente une vérification de comptabilité à l’égard de la société française.

Son raisonnement est le suivant : elle se prévaut des fondements juridiques d’une entreprise exploitée en France au regard du droit interne et du droit conventionnel pour caractériser l’existence d’un siège de direction effective en France de notre société étrangère.

A l’appui de son argumentation, les articles 206-1 et 209-1 du Code général des impôts.

Selon l’article 209 du CGI,

« les bénéfices passibles de l’impôt sur les sociétés sont déterminés d’après les règles fixées par les articles 34 à 45,53 A à 57,108 à 117,237 ter A et 302 septies A bis et en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France, de ceux mentionnés aux a, e, e bis et e ter du I de l’article 164 B ainsi que de ceux dont l’imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions ».

Ainsi, une société étrangère qui exerce une activité en France peut se trouver imposée en France en vertu du principe de la territorialité de l’article 209-1 du Code Général des Impôts, en tenant compte :

  • Des bénéfices réalisés dans les établissements exploités en France
  • Des bénéfices dont l’imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions.

Les critères de droit interne.

Une société est assujettie à l’impôt en France sur ses bénéfices, notamment industriels et commerciaux, si elle peut être qualifiée d’entreprise exploitée en France. Cette notion d’« entreprise exploitée » correspond selon la jurisprudence et la doctrine administrative à l’ « exercice habituel d’une activité » en France.
Celle-ci peut s’exercer dans le cadre d’un établissement autonome ou bien, en l’absence d’établissement, par l’intermédiaire de représentants sans personnalité professionnelle indépendante ou bien encore résulter de la réalisation d’opérations formant un cycle commercial complet [2].

Cette interprétation a été confirmée par la jurisprudence [3].

Ainsi, sont imposables en France les entreprises étrangères qui y :

  • exploitent un établissement autonome
  • utilisent le concours de représentants dépourvus de personnalité professionnelle distincte et qui agissent comme ses préposés
  • réalisent des opérations qui constituent un cycle commercial complet
  • réalisent des revenus immobiliers ou des plus-values immobilières.

Les critères de droit conventionnels.

D’une manière générale les conventions fiscales internationales signées avec la France, considèrent que le résident d’un Etat contractant désigne toute personne qui en vertu de la législation de cet Etat y est assujettie à l’impôt en raison de son domicile, de sa résidence de son siège de direction.

Le siège de direction effective correspond au siège réel de la société d’où les activités sont effectivement dirigées et contrôlées.

En l’occurrence, la position de l’administration fiscale consistait à relever que le siège de direction effective se trouvait en France : décisions prises depuis la France, absence de bureau à l’étranger, pas de ligne téléphonique, existence d’une simple domiciliation à l’étranger…

La notion de siège social doit en principe s’entendre comme étant le siège social indiqué dans les statuts. Toutefois si le siège social apparaît dénué de substance, il y a lieu de retenir le siège réel, qui s’entend du lieu où sont en fait, principalement concentrés les organes de direction, d’administration et de contrôle de la société. Le siège réel correspond au siège de direction effective visé dans la plupart des conventions internationales conclues avec la France [4].

3 - Conséquences fiscales.

Les bénéfices de réalisées par la société étrangère doivent être taxés en France.

Une fois l’activité occulte caractérisée, le droit de reprise de l’Administration fiscale s’exerce jusqu’à la fin de la 10ᵉ année suivant celle au titre de laquelle l’imposition est due.

En effet, l’article L169 du LPF dispose :

« Pour l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l’administration des impôts s’exerce jusqu’à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l’imposition est due. Par exception aux dispositions du premier alinéa, le droit de reprise de l’administration s’exerce jusqu’à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l’imposition est due, lorsque le contribuable exerce une activité occulte ou lorsqu’il est bénéficiaire de revenus distribués par une personne morale exerçant une activité occulte. L’activité occulte est réputée exercée lorsque le contribuable ou la personne morale mentionnée à la première phrase du présent alinéa n’a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu’il était tenu de souscrire et soit n’a pas fait connaître son activité à l’organisme mentionné au deuxième alinéa de l’article L123-33 du Code de commerce, soit s’est livré à une activité illicite ».

De surcroît, la découverte d’une telle activité est susceptible d’entraîner l’application d’une majoration de 80% en vertu de l’article 1728,3 du Code Général des Impôts.

1. Le défaut de production dans les délais prescrits d’une déclaration ou d’un acte comportant l’indication d’éléments à retenir pour l’assiette ou la liquidation de l’impôt entraîne l’application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l’acte déposé tardivement, d’une majoration de :
a. 10% en l’absence de mise en demeure ou en cas de dépôt de la déclaration ou de l’acte dans les trente jours suivant la réception d’une mise en demeure, notifiée par pli recommandé, d’avoir à le produire dans ce délai ;
b. 40% lorsque la déclaration ou l’acte n’a pas été déposé dans les trente jours suivant la réception d’une mise en demeure, notifiée par pli recommandé, d’avoir à le produire dans ce délai ;
c. 80% en cas de découverte d’une activité occulte.

Dans ce contexte, existe-t-il encore un moyen de défense dont pourrait se saisir le contribuable ?

4 - Le droit à l’erreur à l’appui de la défense du contribuable.

Le premier moyen de défense consisterait à contester la réalité d’un siège de direction effective en France, en arguant d’une réelle activité à l’étranger, bureau, immobilisation, salarié,…

Ensuite, il pourrait arguer du droit à l’erreur.

Le Conseil d’Etat confirme que le contribuable peut s’opposer tant à la majoration de 80%, qu’au délai spécial de reprise de dix ans en cas d’activité occulte, s’il établit qu’il a commis une erreur justifiant qu’il ne se soit acquitté d’aucune de ses obligations déclaratives.

La preuve du caractère occulte est présumée apportée dès lors que le contribuable ne s’est pas acquitté de ces obligations déclaratives, sans que l’Administration ne soit tenue de démontrer de surcroît que son comportement révélait son intention de dissimuler son activité [5].

Le contribuable peut toutefois renverser cette présomption, en faisant valoir qu’il a commis une erreur justifiant qu’il ne se soit acquitté d’aucune de ses obligations déclaratives [6], puis transposée à l’application du délai spécial de reprise de dix ans [7].

Suivant la jurisprudence du conseil d’Etat notamment établie dans l’arrêt des 9ᵉ et 10ᵉ chambres du 21.06.2018 n°411956, l’usager peut faire échec à l’application du délai de 10 ans s’il démontre avoir commis une erreur de bonne foi.

Récemment par une décision en date du 27 novembre 2020, 9ᵉ-10ᵉ chambres réunies, le Conseil d’Etat a jugé :

« Il résulte des articles L169 du LPF et L176 du livre des procédures fiscales que dans le cas où un contribuable n’a ni déposé dans le délai légal les déclarations qu’il était tenu de souscrire, ni fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, son activité est réputée occulte s’il n’est pas en mesure d’établir qu’il a commis une erreur justifiant qu’il ne se soit acquitté d’aucune de ses obligations déclaratives.
S’agissant d’un contribuable qui fait valoir qu’il a satisfait à l’ensemble de ses obligations fiscales dans un Etat autre que la France, la justification de l’erreur commise doit être appréciée en tenant compte de l’ensemble des circonstances de l’espèce et notamment du niveau d’imposition dans cet autre État et des modalités d’échange d’informations entre les administrations fiscales des deux Etats
 ».

Ainsi, les deux critères posés par la jurisprudence Frutas y Hortalizas, ne sont pas exhaustifs, il est indiqué que la justification de l’erreur commise doit être appréciée en tenant compte de l’ensemble des circonstances de l’espèce, dont notamment, le niveau d’imposition et les modalités d’échanges d’informations.

L’adverbe notamment en est le reflet.

Ainsi et en conclusion, l’appréciation du comportement du contribuable appelle, par nature, un examen au cas par cas et le juge de l’impôt peut tenir compte de toute autre circonstance pertinente.

Entre autres indices utiles, à savoir :

  • le fait que le contribuable ait cru que son activité était imposable dans l’État étranger
  • ainsi que le fait que le contribuable ait satisfait à toutes ses obligations déclaratives à l’étranger.

L’intérêt étant de ramener le droit de reprise de 10 à 3 ans et de rendre inapplicable la majoration de 80%, puisque disparaîtrait la notion d’activité ou de revenus occultes au profit d’une erreur commise de bonne foi.

Ce qui nous permet de faire le lien avec la création du SMEC, permettant aux entreprises qui se trouvent dans une telle situation de se mettre en conformité avant de faire l’objet d’un contrôle fiscal.

5 - Le SMEC : le service de mise en conformité.

Alors, que certains comportements fiscaux intentionnels sont sanctionnés par des pénalités élevées, le gouvernement a souhaité que les entreprises et leurs dirigeants de bonne foi puissent se mettre en conformité avec la loi.

Ainsi, deux circulaires en date des 28 janvier 2019 et 8 mars 2021, ont défini un cadre clair de saisine du SMEC, devant intervenir avant tout contrôle fiscal ou enquête.

L’intérêt d’une telle saisine consistant dans la minoration des pénalités.

Ce service fera l’objet ultérieurement d’un article détaillé.

Nathalie Aflalo, Avocat
Barreau de Paris
www.aflalo-avocat.fr
avocat.aflalo chez yahoo.fr

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Notes de l'article:

[1D. adm. 13 L-142 n° 4, 1-7-2002 ; BOI-CF-IOR-60-10 n° 120, 12-9-2012 ; BOI-CF-PGR-20-30 n° 490, 12-9-2012.

[2BOI-IS-CHAMP-60-10-10 n°60.

[3CAA Versailles 18 novembre 2014, n°11VE02931, CAA Versailles 24 juillet 2018, n°13VE02686.

[4BOI-IS-CHAMP-60-10-20.

[5CE, 7 décembre 2015, n° 368227, Frutas y Hortalizas SL.

[6Solution d’abord limitée à l’application de la majoration pour activité occulte, CE, 7 décembre 2015, n° 368227, Sté Frutas y Hortalizas Murcia SL.

[7CE, 21 juin 2018, n° 411195.

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