Un sujet proposé par la Rédaction du Village de la Justice

Plantation et construction hors de sa propriété : quel est leur sort ?

Par Katia Martineau, Avocat.

910 lectures 1re Parution: Modifié: 4.97  /5

Explorer : # droit de propriété # construction illégale # accession # mauvaise foi

Vous avez réalisé des plantations ou édifié des ouvrages hors de votre propriété (par méconnaissance des limites séparatives ou de l’existence d’un bornage, de bonne foi ou de mauvaise foi) ? Vous les avez entretenus sans que le propriétaire du terrain ne réagisse ou n’élève aucune contestation ? Pouvez-vous revendiquer la propriété de ces plantations ou de ces ouvrages implantés sur la propriété d’un tiers ? Au contraire, le propriétaire du terrain peut-il exiger de vous leur démolition ? Avez-vous droit à une indemnisation pour les frais engagés pour ces travaux ?

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Les hypothèses de construction ou plantation sur le terrain d’autrui surgissent souvent dans le cadre de certaines relations contractuelles, telles les baux ruraux ou les baux commerciaux. Dans ce cas-là, les questions de propriété, démolition, accession ou indemnisation sont en général envisagées par les parties lors de la signature du contrat.

Il peut toutefois se présenter des situations dans lesquelles les parties n’ont pas envisagé les conséquences de la construction ou plantation sur le fonds d’autrui ou encore dans lesquelles aucune relation contractuelle n’existe.

Nous n’envisagerons pas la question du simple empiètement, mais plutôt celle dans laquelle une construction nouvelle est entièrement implantée sur le terrain d’autrui.

Les réponses peuvent être trouvées aux articles 552 à 555 du Code civil.

D’emblée l’article 552 du Code civil pose le principe de départ :

« La propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous ».

Autrement dit, tout ce qui est édifié sur un terrain appartient au propriétaire de ce terrain.

Partant de ce principe, combiné avec l’article 545 du Code civil qui offre une protection au droit de propriété, on pourrait penser que le propriétaire du sol peut demander la démolition pure et simple de toute construction édifiée sur son terrain par un tiers.

C’est là que l’article 555 du Code civil entre en jeu.

Son alinéa premier prévoit deux options : le propriétaire du sol a le droit soit de conserver la propriété des constructions ou plantations, soit d’obliger le tiers à les enlever.

La démolition.

La démolition n’apparaît pas comme la sanction automatique de la construction sur le sol d’autrui.

Elle n’est d’ailleurs pas laissée totalement au libre choix du propriétaire du sol.

En effet, il résulte de l’alinéa 4 de l’article 555 du Code civil que la démolition ne pourra être sollicitée qu’à l’encontre du constructeur de mauvaise foi.

Ce n’est donc que face à un constructeur de mauvaise foi que le propriétaire du sol disposera d’une véritable option : la démolition ou l’acquisition des ouvrages, à charge, dans cette dernière hypothèse, d’indemniser le constructeur.

Il exercera cette option de manière arbitraire.

En effet, le jeu de l’article 555 du Code civil étant déconnecté de toute notion de responsabilité, le propriétaire pourra demander la démolition sans avoir à justifier d’un quelconque préjudice.

Le constructeur de mauvaise foi ne pourra pas s’y opposer. Il devra procéder à la démolition à ses propres frais et sans aucune indemnité, conformément à l’alinéa 2 de l’article 555 du Code civil.

Ainsi, en l’état actuel de la jurisprudence, il ne pourra notamment pas invoquer avec succès son droit au domicile et à la protection de sa vie privée et familiale [1].

La mauvaise foi.

La jurisprudence apprécie la mauvaise foi à la lumière de la définition posée à l’article 550 du Code civil :

« Le possesseur est de bonne foi quand il possède comme propriétaire, en vertu d’un titre translatif de propriété dont il ignore les vices.
Il cesse d’être de bonne foi du moment où ces vices lui sont connus
 ».

La mauvaise foi au sens de l’article 555 du Code civil s’entend donc de l’absence de titre [2].

Par suite, pour la jurisprudence, il ne suffit pas de s’être simplement cru propriétaire pour être de bonne foi. Encore faut-il posséder en vertu d’un titre de propriété [3].

Cette définition s’applique de manière stricte. Ainsi, un bail ne confère jamais de droit de propriété sur le sol, mais uniquement un droit de jouissance. Partant, le preneur à bail est nécessairement toujours de mauvaise foi. D’où l’importance, dans une telle situation contractuelle, de bien vérifier ce que prévoit le contrat au sujet des constructions ou plantations réalisées par le preneur (clause de remise en état, clause d’accession avec ou sans indemnité).

Ainsi, est cassé l’arrêt de la Cour d’appel ayant considéré comme de bonne foi un preneur ayant loué une parcelle de terrain avec « autorisation de construire sur le terrain » et y ayant édifié des constructions. Cet arrêt est l’occasion pour la Cour de cassation de rappeler que :

« le terme de bonne foi, employé par l’article 555 du code civil, s’entend par référence à l’article 550 de ce code et ne vise que celui qui possède comme propriétaire, en vertu d’un titre translatif de propriété dont il ignore le vice » [4]. C’est déjà ce qu’elle avait affirmé en présence d’un simple accord verbal du bailleur [5].

Le constructeur doit avoir ignoré que son titre était entaché d’un vice. Si l’acte d’acquisition tombe à raison d’une condition suspensive qui a défailli, on ne peut pas considérer que l’acquéreur était de bonne foi [6]. Pareillement, si l’acquéreur construit alors qu’une procédure est en cours concernant la validité de l’acte d’acquisition, il ne sera pas considéré comme étant de bonne foi [7].

A fortiori, celui qui construit sciemment sur le terrain d’autrui est évidemment de mauvaise foi.

N’a pas la qualité de constructeur de bonne foi un père ayant construit sur un terrain appartenant à sa fille. Il ne dispose pas d’un titre translatif de propriété et la démolition peut être ordonnée [8].

Sont également de mauvaise foi, des enfants qui construisent sur le terrain appartenant à leurs parents [9] ou un père qui construit sur le terrain acquis par lui pour sa fille mineure [10].

Par conséquent, si l’on reprend le postulat et les questions posées en tête de cet article, si vous avez construit sur le terrain d’autrui et que vous avez entretenu la construction ou les plantations sans que le propriétaire du fonds ne se manifeste, vous ne pourrez pas être considéré comme étant de bonne foi, dans la mesure où vous ne disposez d’aucun titre de propriété.

C’est au constructeur qu’il appartiendra de rapporter la preuve qu’il est de bonne foi et qu’il dispose d’un juste titre [11]. Si cette preuve est rapportée, le propriétaire devra alors établir que le constructeur connaissait les vices de son titre.

A défaut, en présence d’un constructeur de bonne foi, le propriétaire du fonds ne pourra pas exiger la démolition des constructions. Il devra les conserver (ou les faire démolir à ses propres frais), à charge pour lui de payer une indemnité au constructeur.

Il s’agit là du mécanisme de l’accession.

L’accession.

Il s’agit d’un mode d’acquisition de la propriété reposant sur le principe selon lequel « l’accessoire suit le principal », qui permet au propriétaire de la chose principale (le sol) d’acquérir la propriété de toutes les choses accessoires (plantations, constructions) qui s’unissent à cette chose.

Elle opère de plein droit, sauf convention contraire. Le propriétaire du sol n’a donc pas besoin de saisir la justice pour faire reconnaître sa propriété sur les ouvrages édifiés par un tiers sur son terrain [12].

En revanche, si les constructions sont conservées, par choix ou par obligation, le propriétaire devra payer une indemnité au constructeur.

Et ce, peu importe que le constructeur soit de bonne foi ou de mauvaise foi [13].

Prenons l’exemple d’un couple, marié sous le régime de la communauté légale, qui construit sur un terrain appartenant aux parents de l’un des époux. Le terrain ne leur appartenant pas, il n’y aura aucune difficulté à considérer qu’ils sont de mauvaise foi. Si un divorce survient, pour préserver la paix des familles, la maison ne reviendra pas à l’époux devenu « étranger » à la famille. Mais, dès lors que la maison aura été édifiée grâce à des fonds communs, il pourra prétendre à une indemnisation pour la moitié du coût des matériaux, action qui sera exercée non contre son ex-époux, mais contre le propriétaire du terrain, à savoir les ex-beaux-parents. C’est ce qui s’induit de l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 21 septembre 2023, confirmant un arrêt de la Cour d’appel de Bastia ayant jugé la demande de l’ex-épouse recevable et ayant condamné l’ex-beau-père au remboursement de la moitié du coût des matériaux et du prix de la main d’œuvre [14].

Cette indemnité sera égale soit à la valeur des matériaux et de la main d’œuvre, soit à la plus-value apportée au fonds, au choix discrétionnaire du propriétaire du terrain, le juge ne pouvant pas lui imposer l’un ou l’autre mode de calcul [15].

L’évaluation se fera au jour où le juge statue et non au jour des travaux ni au jour de la demande [16].

L’article 555 du Code civil ne prévoit une indemnité qu’à la charge du propriétaire du fonds. On ne saurait mettre à la charge du constructeur une compensation pour la moins-value qui résulterait de l’existence d’un édifice [17].

Enfin, en présence d’un mauvais payeur, la jurisprudence considère que le constructeur dispose d’un droit de rétention sur les constructions ou les plantations tant qu’il n’a pas obtenu paiement de son indemnité [18]. Le propriétaire ne devrait donc pas pouvoir obtenir l’expulsion avant d’avoir payé l’indemnité due au titre de l’article 555 du Code civil.

Dispositions supplétives.

Les dispositions de l’article 555 du Code civil peuvent être écartées par les parties à un contrat.

Les cocontractants peuvent ainsi convenir plus précisément du sort des constructions. Un bail peut prévoir que le bien sera restitué dans l’état dans lequel il se trouvait lors de la prise d’effet du bail, ce qui induit la démolition de toute construction, ou encore prévoir une clause d’accession sans indemnité.

Le principe selon lequel l’accession se fait au fur et à mesure de la construction peut également être écarté.

Ainsi, dans le cadre des baux ruraux ou baux commerciaux le sort des constructions nouvelles édifiées par le preneur est différé. Pendant toute la durée du bail le preneur sera propriétaire des plantations qu’il installe ou des constructions qu’il édifie. Il s’agira d’une sorte de droit de propriété temporaire. Ce n’est qu’à la fin du bail, et en l’absence de stipulations contraires, que les principes de l’article 555 du Code civil s’appliqueront et que le bailleur en deviendra propriétaire [19].

Un lien de droit existant entre les parties peut venir modifier ou évincer l’application de l’article 555 du Code civil (bail, indivision, usufruit, époux, bail à construction, …).

Combinaison avec les règles d’urbanisme.

Si la démolition est soumise à l’obtention d’un permis de démolir, le refus d’autorisation par la municipalité pourra faire échec à la démolition et à l’application de l’option prévue par l’article 555 du Code civil. Il n’y a aucune jurisprudence connue à ce jour concernant cette hypothèse. Privé de son droit d’option, on peut alors imaginer que le propriétaire n’ait aucune indemnité à verser et qu’il puisse le cas échéant solliciter des dommages et intérêts pour le préjudice que lui cause le maintien de la construction. Cette demande devrait alors se fonder sur l’article 1240 du Code civil.

Usucapion.

Si le propriétaire n’a pas besoin d’exercer une action pour faire reconnaître sa propriété sur les nouvelles constructions édifiées par un tiers, attention toutefois à ne pas rester inactif.

En effet, l’accession constitue une présomption de propriété, qui peut être mise en échec par la prescription acquisitive [20]. Cela supposera que le constructeur remplisse toutes les conditions pour se prévaloir de la prescription trentenaire, notamment une possession présentant les qualités posées à l’article 2261 du Code civil pendant 30 ans (10 ans si le possesseur justifie d’un juste titre et s’il est de bonne foi).

Le propriétaire du sol aura donc tout intérêt à se manifester régulièrement et à accomplir des actes marquant sa qualité de propriétaire afin de faire échec à une éventuelle prescription acquisitive.

Katia Martineau
Avocat au barreau de Strasbourg
https://www.martineau-avocat.com/

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Notes de l'article:

[1C. cass. 1ère civ. 17.05.2018 n° 16-15792 ; C. cass. 3ème civ. 04.07.2019 n° 18-17119

[2C. cass. 3ème civ. 15.04.2021 n° 20-13649.

[3C. cass. 3ème civ. 29.03.2000 n° 98-15734 ; C. cass. 3ème civ. 12.07.2000 n° 98-18857 ; C. cass. 3ème civ. 15.06.2010 n° 09-67178 ; C. cass. 3ème civ. 16.12.2014 n° 13-24296

[4C. cass. 3ème civ. 01.06.2010 n° 08-21.254

[5C. cass. 3ème civ. 14.11.2002 n° 01-02.597 ; C. cass. 3ème civ. 27.11.2002 n° 01-02.601

[6C. cass. 3ème civ. 15.03.2006 n° 04-20345

[7C. cass. 3ème civ. 24.11.1993 n° 91-15134

[8C. cass. 3ème civ. 15.04.2021 n° 20-13649

[9C. cass. 3ème civ. 29.03.2000 n° 98-15734

[10C. cass. 3ème civ. 01.03.1995 n° 93-14418

[11C. cass. 3ème civ. 08.12.1971 n° 70-13550, concernant toutefois un empiètement.

[12C. cass. 3ème civ. 27.03.2002 n° 00-18201.

[13C. cass. 3ème civ. 29.04.2009 n° 08-11431 ; C. cass. 1ère civ. 06.01.2010 n° 08-14120 ; C. cass. 3ème civ. 14.09.2010 n° 09-69265 ; C. cass. 3ème civ. 24.09.2020 n° 19-16694.

[14C. cass. 3ème civ. 21.09.2023 n° 22-15.359.

[15C. cass. 3ème civ. 13.10.1999 n° 97-18010.

[16C. cass. 3ème civ. 22.02.2006 n° 04-19852.

[17C. cass. 3ème civ. 12.10.2011 n° 10-18175

[18C. cass. 3ème civ. 03.10.1990 n° 88-18415

[19C. cass. 3ème civ. 02.04.2003 n° 01-17017, C. cass. 3ème civ. 05.01.2012 n° 10-26965

[20C. cass. 3ème civ. 27.04.2017 n° 16-10.753 ; C. cass 1ère civ. 17.05.2018 n° 16-15792 ; C. cass. 3ème civ. 24.09.2020 n° 19-16.635.

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