Peut-on refuser de saluer au travail ?

Par Arthur Tourtet, Avocat.

51795 lectures 1re Parution: 1 commentaire 3.67  /5

Explorer : # politesse au travail # sanction disciplinaire # relations professionnelles # liberté individuelle

La salutation est la base de la courtoisie dans toute société. Au Moyen âge, il était même normal de se saluer entre chevaliers avant un combat. La politesse est inconditionnelle.
Ainsi, dans un contexte professionnel où l’image est importante, il n’est évidemment pas possible de refuser de saluer.
Sauf dans quelques situations très exceptionnelles, refuser de saluer peut vous valoir une sanction disciplinaire.

-

1/ Au travail, tout le monde mérite d’être salué.

Vous pensez que la courtoisie rime avec hypocrisie ? Vous pensez qu’il est désuet et ridicule de saluer n’importe qui ? Vous avez été mal élevé ? Vous êtes trop timide ?

Peu importe : vous n’avez pas d’excuse.

Au titre de votre contrat de travail, et même si cela n’est pas précisé dans une clause particulière, un salarié se doit de suivre les règles de politesse et de respecter les personnes qu’il côtoie au travail [1].

Sans surprise, un refus de saluer est fautif [2].

Si vous souhaitez passer pour quelqu’un qui ne respecte rien, ce n’est pas seulement votre problème. C’est aussi celui de l’entreprise, lorsque vous endossez la qualité de salarié.

Si vous refusez de saluer un collègue ou un tiers, ce dernier ne va pas se dire que vous êtes un grossier personnage.

Il va surtout se demander pourquoi votre entreprise recrute des personnes aussi mal éduquées que vous. Votre manque de politesse ne peut que causer du tort à l’image de votre employeur.

Un refus de saluer, surtout en public, peut encore provoquer des tensions qui peuvent rapidement s’envenimer.

Il y a des chances pour que votre geste choque et que la personne offensée réagisse d’une manière aussi dure que la vôtre, ce qui vous incitera à aller encore plus loin dans l’irrespect.

Il suffit de songer à tous ces conflits de voisinage qui ont des origines futiles, pour se rendre compte qu’il ne faut pas grand chose pour que deux personnes se fassent la guerre.

L’employeur sera forcé de réagir (et pas en votre faveur), car de tels conflits n’ont pas leur place dans une relation de travail.

2/ Quelle sanction pour un refus de saluer ?

Si l’employeur décide de punir ce manque de politesse, la sanction disciplinaire doit être proportionnée.

Comme pour tout autre comportement fautif, l’employeur doit prendre en compte le contexte entourant le refus de saluer [3].

Toute circonstance a son importance : personnalité et passé disciplinaire des protagonistes, existence d’un conflit préexistant, position dans l’entreprise du salarié malpoli et du salarié offensé, conséquences pour l’entreprise, etc.

Un oubli de saluer par inattention ne peut pas être traité de la même manière qu’un refus de saluer qui serait provocateur.

En principe, un refus de saluer ne peut justifier, à lui seul, un licenciement, lorsqu’il est un fait isolé sur toute la carrière du salarié [4].

Par exemple, est proportionné, un avertissement prononcé à l’encontre d’un salarié ayant ostensiblement refusé de saluer deux collègues [5].

Si ce manque de politesse concerne un supérieur hiérarchique, la faute sera moins facilement pardonnée.

Le fait de refuser de saluer un supérieur hiérarchique en public, peut être considéré comme étant une véritable marque d’hostilité [6].

Pour illustration, est justifié le licenciement d’un salarié pour un refus de serrer la main d’un supérieur devant d’autres cadres, en proférant les propos suivants : « non Monsieur, je ne vous salue pas » [7].

Dans d’autres cas, le refus de saluer n’est qu’une faute parmi d’autres, ce qui permet à l’employeur de prononcer une sanction plus grave que celle qu’il aurait pu adopter si le salarié avait été courtois [8].

Pour faire simple, si un refus de saluer ne justifie pas forcément le licenciement, il peut grandement le favoriser.

3/ Vous n’êtes pas obligé de serrer la main ou de faire la bise, tant que le respect est présent.

Bonne nouvelle pour les timides, vous pouvez choisir la forme de salutation de votre choix, à la condition qu’elle soit respectueuse et adaptée à votre milieu professionnel.

Pour illustration, serrer la main à la place de faire la bise, n’est pas fautif [9].

N’est pas non plus un comportement inacceptable, le fait de préférer un salut oral, plutôt que de serrer la main [10].

L’employeur ne peut donc pas vous imposer des salutations tactiles, ce qui est logique. Tout le monde n’aime pas toucher ou être touché.

On peut considérer que choisir sa forme de salutation relève de la liberté individuelle, laquelle ne peut subir une restriction injustifiée et/ou disproportionnée de la part de l’employeur [11].

Par prudence, évitez de saluer de manière trop familière ou décalée, sauf si c’est un usage toléré dans votre entreprise.

Comme toute liberté, le droit de choisir une forme de salutation comporte des limites.

Par exemple, si un salarié refuse ouvertement de serrer la main à des femmes, un tel geste peut être interprété comme étant discriminatoire et justifier un refus de promotion [12].

Aussi, refuser de serrer la main d’un collègue en particulier, sans lui donner d’explications, peut être considéré comme étant un acte délibéré d’impolitesse [13].

Vous l’aurez compris, si votre manière de saluer n’est pas tactile, soyez cohérent et ne faites pas de jaloux.

4/ Un refus de saluer n’est toléré qu’à de rares exceptions.

Sachant que les règles de politesse sont censées être inconditionnelles, il y a normalement peu de chances pour qu’un refus de saluer soit justifié.

Néanmoins, dans certaines situations exceptionnelles, refuser de saluer n’est pas fautif.

N’est pas fautif le fait de refuser de saluer un supérieur, en réponse à un reproche totalement injustifié [14].

Également, n’est pas fautif le fait de refuser de saluer l’employeur suite à un désaccord concernant le respect des règles de sécurité et dans un contexte de contentieux relatif à un rappel de salaire [15].

N’est pas non plus fautif, le refus d’un salarié de serrer la main à deux collègues qui avaient attesté contre lui, dans un litige concernant une sanction disciplinaire qui a ensuite été jugée comme étant injustifiée. De plus, le salarié était irréprochable et bien noté. Dans un tel contexte, le refus de saluer s’apparente comme étant un exercice normal de la liberté d’expression [16].

Il faut souligner que de telles décisions sont rares.

Il faut vraisemblablement la présence d’un motif suffisamment grave et légitime, afin que le refus de saluer ne soit pas sanctionnable.

Il y a peu de chances pour les juges admettent facilement un tel motif légitime, car dans le cas contraire, ce serait la porte ouverte à l’impolitesse dans l’entreprise.

Notre société souffre déjà suffisamment des incivilités au quotidien. Inutile de les exporter sur les lieux de travail.

N’oubliez pas que saluer est un geste que l’on doit accomplir, parce qu’il faut tout simplement l’accomplir.

Saluer quelqu’un n’est pas un signe de soumission ou d’affection. Vous pouvez très bien rester poli avec une personne hostile, tout adoptant une réaction ferme afin qu’elle cesse de vous marcher sur les pieds.

Conclusion.

Si vous avez un litige avec un collègue, avec un supérieur, ou avec un client, refuser de le saluer ne va certainement pas résoudre le problème.

Au contraire, vous risquez de vous exposer à une sanction disciplinaire, ce qui ne fera que donner satisfaction à la personne que vous détestez.

Arthur Tourtet
Avocat au Barreau du Val d\’Oise

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

63 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

[1Cour d’appel de Nîmes 13 avril 2010, n° 08/03594 et Cour d’appel de Paris 11 octobre 2012, n° 10/11058.

[2Cour d’appel de Lyon, 17 octobre 2014, n° 13/09963.

[3Cass. soc., 3 avril 2001, n° 98-45.818.

[4Cour d’appel de Reims, 15 juillet 2020, n° 19/01326.

[5Cour d’appel de Lyon, 8 septembre 2015, n° 13/10060.

[6Cour d’appel de Paris, 2 novembre 2011, n° 10/00808.

[7Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 11 mai 2009, n° 08/11094.

[8Cour d’appel de Paris, 24 septembre 2014, n° 13/05402, Cour d’appel d’Angers, 13 janvier 2015, n° 12/02683 et Cour d’appel de Fort-de-France, 14 décembre 2018, n° 17/00165.

[9Cour d’appel de Caen, 13 mai 2016, n° 15/01805.

[10Cour d’appel de Grenoble, 4 mai 2017, n° 15/02589.

[11C. trav. art. L1121-1.

[12Cour d’appel de Paris, 8 septembre 2021, n° 19/03196.

[13Cour d’appel de Lyon, 25 mars 2016, n° 15/01723.

[14Cour d’appel de Montpellier, 30 mars 2022, n° 18/01014.

[15Cour d’appel de Toulouse, 23 mars 2007, n° 06/01464.

[16Cour d’appel de Grenoble, 6 juin 2011, n° 10/03379.

Commenter cet article

Discussion en cours :

  • par Malénon , Le 22 février 2023 à 20:41

    Bonjour sur quel article de loi du code du travail vous vous basez ? Sans citer les cours d’appel ou cass. Merci

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 320 membres, 27838 articles, 127 254 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Voici le Palmarès Choiseul "Futur du droit" : Les 40 qui font le futur du droit.




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs