Le nouveau Code de déontologie des avocats est publié : un travail de réécriture à droit constant. Par Patrick Lingibé, Avocat.

Extrait de : Jurisguyane

Le nouveau Code de déontologie des avocats est publié : un travail de réécriture à droit constant.

Par Patrick Lingibé, Avocat.

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Explorer : # déontologie des avocats # code de déontologie # principes professionnels # réforme juridique

Cet article présente le décret du 30 juin 2023 créant un Code de déontologie des avocats.

Le décret n° 2023-552 du 30 juin 2023 portant Code de déontologie des avocats a été publié au Journal Officiel du dimanche 2 juillet 2023.

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Pour rappel, l’article 53 (2°) de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques dans sa version issue de l’article 42 de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire dispose :

« Dans le respect de l’indépendance de l’avocat, de l’autonomie des conseils de l’ordre et du caractère libéral de la profession, des décrets en Conseil d’Etat fixent les conditions d’application du présent titre.
Ils présentent notamment : (…) 2° Le Code de déontologie des avocats préparé par le Conseil national des barreaux ainsi que la procédure et les sanctions disciplinaires (…)
 ».

Le législateur a donc chargé l’organe représentant la profession d’avocat de constituer le contenu de base de ce projet de Code de déontologie qui devra être retranscrit, le cas échéant amendé, par voie décrétale [1].

Ce code est destiné à faciliter l’accès aux règles régissant la profession d’avocat et énonce à droit constant les grands principes applicables aux avocats dans leurs relations avec les justiciables, les magistrats, leurs confrères et l’ensemble de leurs interlocuteurs.

Faute de précisions formelles, c’est la direction des affaires criminelles et du sceaux (DACS) qui a apporté oralement des précisions quant au projet de Code de déontologie, en indiquant notamment les points ci-après [2].

En premier lieu, la codification devait se faire à droit constant, ce qui a nécessité donc que le Conseil national des barreaux a du compiler, réorganiser et réécrire ses textes lorsque cela est nécessaire. En effet, le travail de codification « à droit constant » doit se limiter à seulement recenser et à compiler des textes existants. Dans une réponse écrite publiée en 2006, le garde des sceaux a rappelé à une sénatrice que « l’expression « à droit constant » signifie « sans modification de l’ordre juridique » : par exemple, à la différence des textes législatifs ou réglementaires, qui créent, modifient ou abrogent des dispositions ayant des effets en droit, les circulaires ministérielles, qui précisent la mise en œuvre de ces normes ne se conçoivent qu’à droit constant » [3].

En deuxième lieu, le code devait contenir uniquement les grands principes des règles déontologiques de la profession d’avocat, le travail de chaque profession devant extraire les grands principes des textes qui la concerne. En effet, un Code de déontologie a été créé pour les officiers ministériels. Il convient de rappeler sur ce point que l’article 2 de l’ordonnance n° 2022-544 du 13 avril 2022 relative à la déontologie et à la discipline des officiers ministériels prévoit :

« Un Code de déontologie propre à chaque profession est préparé par son instance nationale et édicté par décret en Conseil d’Etat. Ce code énonce les principes et devoirs professionnels permettant le bon exercice des fonctions et s’applique en toutes circonstances à ces professionnels dans leurs relations avec le public, les clients, les services publics, leurs confrères et les membres des autres professions.
Les instances nationales mentionnées au premier alinéa sont l’Ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, la Chambre nationale des commissaires de justice, le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce et le Conseil supérieur du notariat.
Les instances nationales précisent par voie de règlement les règles professionnelles propres à assurer le respect du Code de déontologie. Pour les officiers publics et ministériels, ce règlement est approuvé par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice
 ».

Avec le décret n° 2023-146 du 1er mars 2023, les avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation ont été les premiers professionnels du droit à disposer d’un Code de déontologie (Décret n° 2023-146 du 1er mars 2023 relatif au Code de déontologie des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, Journal Officiel du 2 mars 2023).

En troisième lieu, le code ne doit pas décliner l’organisation des règles professionnelles qui reste traité par le décret statutaire n° 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié organisant la profession d’avocat.

Afin de préparer le projet du Code de déontologie, la commission des règles et usages du Conseil national des barreaux a créé un groupe de travail pertinent composé de certains de ses membres, de représentants du Barreau de Paris et de la Conférence des bâtonniers. Ces travaux feront l’objet d’un rapport qui sera présenté à l’assemblée générale du Conseil national des barreaux le 10 juin 2022 par la présidente de sa commission règles et usages Madame le bâtonnier Laurence Junod-Fanget. Ce rapport sera accompagné de deux annexes : d’une part le projet de résolution et d’autre part, le projet de Code de déontologie. Ils ont été adoptés par l’assemblée générale le même jour.

Il est à noter que le projet adopté et transmis par le Conseil national des barreaux à la chancellerie ne comporte que 39 articles par rapport aux 54 articles retenus par le décret du 30 juin 2023 publié.

Le décret du 30 juin 2023 se limite donc seulement à énoncer les grands principes applicables aux avocats dans leurs relations avec les justiciables, leurs confrères et l’ensemble de leurs interlocuteurs.

Il vise la résolution du Conseil national des barreaux portant sur le projet du Code de déontologie des avocats du 10 juin 2022.

Il est composé de six titres déclinés en 54 articles qui portent effectivement tous sur des aspects déontologiques de la profession d’avocat lato sensu :

- Titre IER : Principes essentiels de la profession d’avocat (Articles 1 à 5).

A noter dans ces cinq articles, l’article 4 sur le secret professionnel qui s’impose à l’avocat en toutes circonstances :

« L’avocat est le confident nécessaire de son client.
Le secret professionnel de l’avocat est d’ordre public, absolu, général et illimité dans le temps.
L’avocat ne peut en être relevé par son client ni par quelque autorité ou personne que ce soit, sauf dans les cas prévus par la loi.
L’avocat ne commet, en toute matière, aucune divulgation contrevenant au secret professionnel, sous réserve des strictes exigences de sa propre défense devant toute juridiction et des cas de déclaration ou de révélation prévues ou autorisées par la loi
 ».

- Titre II : Devoirs envers les clients (Articles 6 à 15).

Dans ce titre comportant dix articles, il convient de noter l’article 10 du décret du 30 juin 2023 qui fixe les conditions d’information et de transparence qui s’imposent à l’avocat à l’égard du client qui le sollicite :

« L’avocat informe son client, dès sa saisine, des modalités de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles et de l’ensemble des frais, débours et émoluments qu’il pourrait exposer. L’ensemble de ces informations figurent dans la convention d’honoraires conclue par l’avocat et son client.

Sauf en cas d’urgence ou de force majeure ou lorsqu’il intervient au titre de l’aide juridictionnelle totale ou de la troisième partie de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, l’avocat conclut par écrit avec son client une convention d’honoraires, qui précise, notamment, le montant ou le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles, ainsi que les divers frais et débours envisagés.
Les honoraires tiennent compte, selon les usages, de la situation de fortune du client, de la difficulté de l’affaire, des frais exposés par l’avocat, de sa notoriété et des diligences accomplies.
Toute fixation d’honoraires qui ne le serait qu’en fonction du résultat judiciaire est interdite. Est licite la convention qui, outre la rémunération des prestations effectuées, prévoit la fixation d’un honoraire complémentaire en fonction du résultat obtenu ou du service rendu.
Au cours de sa mission, l’avocat informe régulièrement son client de l’évolution du montant de ces honoraires, frais, débours et émoluments.
Des honoraires forfaitaires peuvent être convenus. L’avocat peut recevoir d’un client des honoraires de manière périodique, y compris sous forme forfaitaire.
Lorsque la mission de l’avocat est interrompue avant son terme, il a droit au paiement des honoraires dus dans la mesure du travail accompli et, le cas échéant, de sa contribution au résultat obtenu ou au service rendu au client.
La rémunération d’apports d’affaires est interdite
 ».

- Titre III : Devoirs envers la partie adverse et envers les confrères (Articles 16 à 20).

Ce titre III est composé de cinq articles.

Il convient de relever la rédaction pertinente et nuancée de l’article 20 du décret du 30 mars 2023 : « Dans l’intérêt du client et d’un exercice professionnel de qualité, la confraternité exige des relations de confiance entre avocats. Elle ne doit cependant jamais mettre en opposition les intérêts de l’avocats et ceux du client ».

- Titre IV : Incompatibilités (Articles 21 à 35).

Ce titre comporte quinze articles.

Les incompatibilités existantes sont retranscrites même si nous considérons qu’un travail de fond doit être mener à ce niveau par pour un souci de cohérence.

A noter l’article 22 du décret du 30 juin 2023 qui reprend l’incompatibilité générale avec certaines activités :

« La profession d’avocat est incompatible :
a) Avec toutes les activités de caractère commercial, qu’elles soient exercées directement ou par personne interposée ;
b) Avec les fonctions d’associé dans une société en nom collectif, d’associé commandité dans les sociétés en commandite simple et par actions, de gérant dans une société à responsabilité limitée, de membre du directoire ou directeur général d’une société anonyme, de gérant d’une société civile à moins que celles-ci n’aient pour objet la gestion d’intérêts familiaux ou l’exercice de la profession d’avocat.
Les incompatibilités prévues aux alinéas précédents ne font pas obstacle à la commercialisation, à titre accessoire, de biens ou de services connexes à l’exercice de la profession d’avocat si ces biens ou services sont destinés à des clients ou à d’autres membres de la profession.
L’avocat ou la société d’avocat qui fait usage de la dérogation prévue au b ou au quatrième alinéa en informe par écrit, le conseil de l’ordre du barreau dont il ou elle relève dans un délai de trente jours suivant le début de l’activité concernée. Le conseil de l’ordre peut lui demander tous renseignements ou documents utiles pour lui permettre d’apprécier si une telle activité est compatible avec les règles de déontologie de la profession
 ».

- Titre V : Conditions d’exercice de la profession (Articles 36 à 50).

Il est constitué également de quinze articles.

Il convient de relever l’article 36 du décret du 30 mars 2023 sur le respect des règles déontologiques s’imposant à tout avocat : « Le respect des règles déontologiques s’impose à l’avocat, quels que soient son statut et son mode d’exercice, et notamment le respect des obligations en matière d’aide judiciaire et de commission d’office, et la faculté pour l’avocat collaborateur, libéral ou salarié, de demander à être déchargé d’une mission qu’il estime contraire à sa conscience ou susceptible de porter atteinte à son indépendance ».

- Titre VI : Dispositions diverses (Articles 51 à 54).

Ce dernier titre VI comporte seulement quatre articles, dont les articles 51 et 53.

L’article 51 du décret du 30 juin 2023 abroge par voie de conséquence le décret n°2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d’avocat.

Cependant, même s’il reprend et retranscrit des dispositions actuelles du Règlement Intérieur National de la profession d’avocat : il est précisé que ce dernier continue de s’appliquer. Il sera nécessairement mis à jour à la suite du décret du 30 juin 2023 [4].

L’article 53 du décret du 30 juin 2023 prévoit, en dehors des dispositions statutaires particulières régissant ces collectivités ultramarines, que ses dispositions sont applicables de plein droit à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Saint-Barthélemy, dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française à l’exception des articles 28 (situation de l’avocat investi d’un mandat de conseiller régional), 29 (situation de l’avocat investi d’un mandat de conseiller départemental) et 31 (situation de l’avocat investi d’un mandat de maire, d’adjoint au maire, de conseiller municipal). En effet, ces cinq territoires d’outre-mer relèvent chacune d’une loi organique appliquant le principe dit de la spécialité législative : selon ce principe, les lois et règlements de l’hexagone ne sont pas applicables de plein droit dans ces collectivités contrairement aux départements-régions d’outre-mer, sauf dispositions prévues par lesdites lois organiques ainsi que pour les compétences dites régaliennes appliquées sur tout le territoire de la République.

Il convient de rappeler que dans son rapport de mission sur la discipline des professions du droit et du chiffre remis en octobre 2020 au garde des sceaux Eric Dupond-Moretti, l’Inspection générale de la justice avait formulé 25 recommandations. Parmi celles-ci, la recommandation n° 10 à l’attention de la direction des affaires civiles et du sceau pour engager un processus d’élaboration d’un code des professions du droit avec un volet consacré à la déontologie et à la discipline regroupant les règles déontologiques communes, la réglementation et la procédure disciplinaire [5]

Outre la réforme de la procédure disciplinaire qui s’est opérée [6], le Code de déontologie des avocats s’inscrit dans cette recommandation et surtout dans la volonté du législateur de mettre en place un corpus de dispositions éparses qui soit facilement consultable, accessible et intelligible pour principalement les justiciables.

Les dispositions du décret du 30 juin 2023 portant Code de déontologie des avocats entrent en vigueur à compter du lundi 3 juillet 2023.

Patrick Lingibé
Membre du Conseil National des barreaux
Ancien vice-président de la Conférence des bâtonniers de France
Avocat associé Cabinet Jurisguyane
Spécialiste en droit public
Diplômé en droit routier
Médiateur Professionnel
Membre de l’Association des Juristes en Droit des Outre-Mer (AJDOM)
www.jurisguyane.com

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Notes de l'article:

[1Le Conseil national des barreaux (CNB) est un établissement d’utilité publique doté de la personnalité morale, crée par la loi n° 90-1259 du 31 décembre 1990. Depuis 1992, il représente l’ensemble des avocats de France auprès des pouvoirs publics.

[2Cette rencontre a eu lieu le 24 janvier 2022 et est mentionné dans le rapport présenté à l’assemblée générale du Conseil national des barreaux le 10 juin 2022.

[3Question écrite n° 16368 de Mme Henneron Françoise (Pas-de-Calais - UMP) publiée le 10 mars 2005 et réponse du ministre de la Justice publiée dans le Journal Officiel du Sénat du 24 aout 2006, page 2217.

[4L’article 21-1 de loi du 31 décembre 1971 modifiée a confié au Conseil national des barreaux la compétence d’unifier par voie de dispositions générales les règles et usages de la profession d’avocat. C’est sur ce fondement que le Conseil national des barreaux a adopté par décision à caractère normatif n° 2005-003 le Règlement Intérieur National de la profession (RIN) qui constitue le socle de la déontologie commune des avocats, constamment mis à jour par voie de décisions normatives. Il intègre également le Code de déontologie des avocats européens tel qu’il résulte des délibérations du CCBE.

[5Inspection générale de la Justice, Rapport Mission sur la discipline des professions du droit et du chiffre, Octobre 2020 n° 074-20.

[6Patrick Lingibé, Le décret du 30 juin 2022, volet discipline : simple réforme ou changement de paradigme pour la profession d’avocat ? https://dev.gazettedupalais.com/article/GPL439b0/, Gazette du Palais, 26 juillet 2022.

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Discussions en cours :

  • par Boyancé Jean-Pierre - avocat honoraire Barreau de Bordeaux , Le 12 juillet 2023 à 09:31

    Dans un temps proche de la publication et l’application du décret du 30 juin, cette analyse permet au lecteur d’intégrer aisément les dispositions modificatives. Merci

  • par Claude Volny-Anne , Le 4 juillet 2023 à 16:03

    Article très bien argumenté de la part d’un juriste qui faitl’honneur de l’outre-mer français et du monde du barreau . C’est toujours avec un immense plaisir que je prends connaissance des publications de M.Le Bâtonnier LINGIBE qui représente la famille judiciaire avec talent et élégance . Qu’il soit remercié pour son grand professionnalisme .

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