On a dit, écrit, lu beaucoup de choses sur les travaux de la commission Darrois. Aujourd’hui, le rapport voit enfin le jour et un certain nombre de points de réforme peuvent être discutés, mais un point particulier a déjà retenu mon attention. Il concerne le futur avocat d’entreprise.
Lorsque l’on devient avocat, on nous enseigne qu’un avocat est, et doit rester indépendant. L’ouvrage « Les règles de la profession d’avocat » coécrit par mes confrères Jacques Hamelin et André Damien, Conseiller d’Etat, précise que « L’avocat a le devoir de demeurer indépendant à l’égard de tous et notamment à l’égard de son client. Il doit conserver son indépendance matérielle (...) il doit garder son indépendance morale et intellectuelle et il doit pouvoir refuser ou rendre un dossier, si en conscience, il estime devoir le faire (...) Il est maître de l’argumentation qu’il présente devant les Tribunaux et peut même avoir une conception différente de celle de son client en ce qui concerne la défense de ses intérêts ».
L’indépendance de l’avocat est –elle remise en cause ?
Aujourd’hui, la Commission Darrois propose de créer le statut d’avocat en entreprise. L’avocat d’entreprise aura donc un unique client. Comment doit-on envisager son indépendance au regard du code de déontologie des avocats alors qu’un lien de subordination est créé ? La question est plus criante dans le cas de rupture des relations de travail ou de procédure disciplinaire. Aujourd’hui, l’avocat est sanctionné par ses pairs et élève la contestation relative à la rupture de sa collaboration, devant une commission d’arbitrage. Le Bâtonnier, et plus généralement, l’Ordre des Avocats est seul compétent pour statuer sur un litige relevant de l’exercice de la profession.
Qui serait compétent si l’employeur devait « licencier » un avocat d’entreprise ? L’Ordre des Avocats ou le Conseil de Prud’hommes ?
La confidentialité pour tous
La revendication des juristes d’entreprise est de pouvoir bénéficier, comme les avocats, ou les « futurs avocats d’entreprise », du « legal privilege », c’est-à-dire la confidentialité juridique. Je pense qu’il est nécessaire que les juristes puissent bénéficier de la confidentialité pour une meilleure « sécurisation » juridique de leurs interventions pour le compte de leur employeur. Il n’est nullement besoin de créer un statut d’avocat d’entreprise pour cela.
La place de l’avocat d’entreprise dans la hiérarchie de l’entreprise
Imaginons un directeur ou un responsable juridique dont l’un des collaborateurs est avocat. Le directeur ou le responsable ne bénéficiera pas des mêmes latitudes que l’avocat d’entreprise. Il va se créer de fait, une situation juridique complexe, l’avocat d’entreprise disposera de responsabilités plus importantes et de facto de prérogatives supérieures à celle de son collègue, voir de son N+1... Quel sera alors le sort réservé aux juristes d’entreprise qui ne pourront être avocats ? Quels seront les « privilèges » accordés aux avocats d’entreprise au détriment des juristes ?
Qu’en est-il de la mission première de l’avocat : défendre son client ?
L’avocat d’entreprise n’aura pas le droit de plaider pour le compte de son employeur. La question légitime du bien-fondé de l’existence de ce nouveau statut se pose. Pourquoi créer un tel statut si l’avocat ne peut remplir une de ses missions premières : défendre son client…
On comprend finalement tout l’intérêt pour l’entreprise en ce qui concerne le Conseil. Elle disposera dans sa masse salariale d’avocats nécessaires pour suivre les dossiers et n’aura plus recours aux cabinets d’avocats avec lesquelles elle travaillait auparavant. L’intérêt économique pour l’entreprise est évident... et les contours d’une réduction massive de la clientèle d’entreprise pour les avocats restés en libéral se profile à l’horizon.
Notre Confrère Darrois sonnerait-il le glas de notre profession ? Une réforme est nécessaire, mais elle ne doit pas pour autant être aussi désastreuse.
Accordons à l’ensemble des juristes d’entreprise la possibilité d’obtenir ce « legal privilège ». Aujourd’hui, les juristes d’entreprise peuvent devenir avocat en remplissant certaines conditions. La Commission Darrois maintient la passerelle durant 8 ans. Les juristes qui débutent leur carrière aujourd’hui auront 8 ans pour devenir des avocats d’entreprise. Au-delà de ces 8 ans, la profession de juriste disparaîtra, emportant avec elle ceux qui ont fait le libre choix de ne pas être des avocats. Je ne crois pas que cela soit indispensable, au contraire, maintenons cette possibilité, la profession ne pourra qu’en tirer des bénéfices. Dans le même sens, si certains de nos confrères préfèrent exercer leurs talents en entreprise, leur choix doit être respecté.
Karine Geronimi, avocate au Barreau de Paris