L’avocat pourra-t-il très prochainement exercer son métier au sein d’une entreprise en tant que salarié, comme c’est le cas aujourd’hui dans d’autres pays tels que l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays Bas, l’Italie, l’Espagne ou encore les Etats-Unis et le Japon ? La question est de nouveau à l’ordre du jour avec la sortie du pré-projet porté par la chancellerie et le Ministre de la justice Monsieur Eric Dupont-Moretti. Retour sur les enjeux d’une question cruciale qui a fait son chemin.
Retour sur le Rapport Gauvain de 2019.
Ce débat de l’avocat en entreprise ne date pas d’aujourd’hui. En effet, le 26 juin 2019, le député Raphaël Gauvain relançait un débat vieux de 20 ans en remettant au Premier ministre de l’époque, Monsieur Édouard Philippe, son rapport intitulé « Rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale ». Rien que cela, l’enjeu est de taille, il s’agit de rétablir la souveraineté de la France.
Car oui, la France est en effet l’un des derniers pays au monde à ne pas protéger la confidentialité des avis et consultation juridiques des entreprises. De ce fait, « les entreprises françaises sont aujourd’hui en situation de très grande vulnérabilité dans les procédures extraterritoriales au civil comme au pénal » comme le rappelait le député Raphaël Gauvain.
Enjeu de la confidentialité des avis juridiques.
L’enjeu de la création d’un statut d’avocat en entreprise est alors de « protéger les avis juridiques internes des entreprises, comme le font (déjà) la plupart des pays occidentaux ». En France, ce legal privilege n’est pas reconnu. Conséquence, les avis juridiques des juristes des entreprises françaises ne sont donc pas protégés face aux procédures à portée extraterritoriale, faisant de la France l’un des rares (dernier ?) pays à ne pas garantir cette confidentialité.
Et concernant le risque, il n’est autre que celui de mettre les entreprises dans une situation de concurrence asymétrique par rapport à leurs concurrentes, notamment celles des pays anglo-saxons et faire de la France une cible de choix. L’introduction du statut de l’avocat en entreprise permettrait ainsi de réinstaller un équilibre et une équité dans ces rapports.
En effet l’avocat resterait soumis aux obligations déontologiques garantes de son Indépendance et de son intégrité. Parmi elle, la confidentialité des avis juridiques. Ces avis ne seraient donc plus communicables à l’extérieur de l’entreprise.
Et, cette confidentialité se doit d’être globale, et être opposable aux autorités d’enquête pénale ou administrative. Ce que ne permet pas la profession réglementée de juriste en entreprise, dotée d’une confidentialité limitée aux seules procédures civiles. D’où la nécessité de faire entrer l’avocat dans l’entreprise.
A l’époque, les critiques sont nombreuses et les opinions divisent, opposant notamment le barreau de Paris, plutôt favorable à la création d’un tel statut, et les barreaux de Provinces, plus divisés. Certains « ne comprenant pas comment l’indépendance de l’avocat peut se concilier avec le lien de subordination du contrat de travail ».
En 2020, la mission Perben avait longuement évoqué cette réforme, tout en soulignant les multiples obstacles à sa mise en œuvre. En 2021, la création d’un statut d’avocat en entreprise continue son bonhomme de chemin puisque le Ministre de la justice vient de proposer de l’expérimenter dans un premier temps pour en démontrer l’efficacité.
La proposition d’expérimentation du « legal privilege ».
L’idée est donc aujourd’hui de pouvoir expérimenter pendant 5 ans le statut de l’avocat en entreprise. L’avocat serait donc un salarié de l’entreprise, inscrit au barreau sur une liste spéciale et soumis aux obligations déontologiques. Il/elle serait un collaborateur(rice) normale de l’entreprise pour laquelle il/elle travaille. Il ne pourra pas exercer de fonctions judiciaires, se voir confier des missions par la justice ou exercer sa profession sous une autre forme. Enfin il n’aura pas non plus vocation à plaider pour son entreprise, lorsque la représentation par un avocat est notamment obligatoire.
Le pré-projet prévoit que « dans l’exercice des missions qui lui sont confiées, l’avocat salarié d’une entreprise bénéficie de l’indépendance que comporte son serment. Il est astreint au secret professionnel sans que celui-ci puisse être opposé à l’entreprise qui l’emploie ». Il prévoit également une passerelle pour les juristes en entreprise, ayant exercé depuis cinq ans, pour devenir avocat salarié, sous réserve d’un examen déontologique.
L’expérimentation aurait lieu sur certains barreaux choisis par arrêté du garde des Sceaux. Les barreaux seraient désignés sur proposition de leur conseil de l’ordre.