En effet, la Cour des comptes a dans son rapport du 3 juillet 2023 [1] sur l’aide juridictionnelle invité la chancellerie à repenser l’attribution de l’AJ dans les grands procès (extraits des pages 54 à 56 du rapport) :
« L’expérience des grands procès consécutifs aux attentats de 2015 et 2016 montre que des dérives ont eu lieu et appelle une réflexion pour en éviter la réitération. Les sommes versées pour le procès suite aux attentats de novembre 2015 ont atteint plus de 54 M€ alors qu’elles avaient initialement été évaluées à moins de la moitié. Le cumul de plusieurs causes est à l’origine de cette situation. En premier lieu, le nombre de parties civiles (plusieurs milliers) a eu pour conséquence un montant d’aide juridictionnelle important.
En deuxième lieu, compte tenu des règles de sécurité, des décisions spécifiques ont été prises pour garantir aux avocats un niveau de rémunération jugé cohérent avec leur mobilisation. Le cadre normal d’exécution de l’aide juridictionnelle pose comme principe que chaque demi-journée d’audience supplémentaire donne lieu à une rétribution à hauteur de huit UV, sans définir ce qu’est une demi-journée. Or, pour le procès suite aux attentats du 13 novembre 2015, les audiences débutaient à midi et demi et terminaient souvent tard, au-delà de 20 heures. La décision a été prise par le garde des sceaux, par courrier au bâtonnier de Paris du 10 août 2021, du principe d’une majoration pour demi-journée supplémentaire par tranche de cinq heures d’audience. Toute audience se terminant au-delà de 17h30 a donc donné lieu à une rétribution supplémentaire pour huit UV. Cette décision a eu des conséquences financières très importantes, conduisant en première analyse à un possible surcoût d’environ 50°%. En effet elle a été mise en œuvre dans des conditions qui en ont accentué le caractère favorable pour les avocats. Tout en précisant qu’une application stricte des textes ne permet la prise en compte que d’une seule majoration par demi-journée supplémentaire par jour et par avocat, le ministre de la justice précise que deux audiences prévues pour durer sept heures et demi chacune sur deux jours donnent lieu à majoration de trois demi-journées supplémentaires, soit une majoration de plus que ce que le droit commun prévoit. Il indique aussi que la majoration serait retenue même en cas de durée inférieure à cinq heures. L’exemple donné était le suivant : pour 153 jours d’audience d’une durée quotidienne moyenne de sept heures et demi, l’avocat qui assiste un seul client à l’ensemble des audiences devait percevoir, outre sa rétribution prévue par le barème applicable, un montant d’environ 62 000 € HT au titre des majorations pour demi-journées d’audience supplémentaires. Ces dispositions dérogatoires aux règles applicables, cumulées au nombre très important de parties civiles, ont conduit, dans certains cas à une forte concentration de rétributions au bénéfice d’un seul cabinet d’avocats. Les modalités de versement des aides se sont également écartées du cadre de droit commun.
Compte tenu de la durée du procès, la décision a ainsi été prise, à titre exceptionnel, de mensualiser la rétribution des avocats. Cette dernière dérogation a aussi été appliquée au procès de l’attentat de Nice. Interrogé sur la base juridique de ces décisions, le ministère a simplement fait état du « pouvoir réglementaire propre à chaque ministre » sans préciser si ces modalités sont destinées à perdurer ou à ne s’appliquer qu’en cas de circonstances exceptionnelles. Dans l’une ou l’autre de ces hypothèses, elles auraient dû toutefois être fondées sur une disposition règlementaire explicite. En troisième lieu, il est apparu que la dégressivité prévue par les textes n’était pas adaptée à ces procès en raison du grand nombre de parties civiles. Cette spécificité a en effet conduit à un cumul de versements au bénéfice d’un petit nombre d’avocats qui ont bénéficié de sommes très importantes. Le tableau ci-dessous témoigne des disparités des rétributions des avocats et, pour certains d’entre eux, de leur montant extrêmement élevé. Elles ont en effet varié, selon le nombre de parties civiles représentées, de moins de 10 000 € à plus de 4 M€, pour un avocat représentant 144 parties civiles.
(…)
L’importance des sommes versées s’explique notamment par le fait que certains avocats ont assuré la représentation d’un nombre très important de parties civiles. Dans un tel cas de figure, des mécanismes de dégressivité auraient pu trouver à s’appliquer, selon le mécanisme explicité par le Conseil d’état dans son avis n° 398918 du 18 juillet 2017. Le Conseil indiquait que : « lorsque plusieurs bénéficiaires de l’aide juridictionnelle présentent, dans une même instance ou dans plusieurs instances, des conclusions identiques en demande ou en défense conduisant le juge à trancher les mêmes questions, l’avocat les représentant au titre de l’aide juridictionnelle réalise à leur égard une seule et même mission ». Un mécanisme de cette nature aurait pu être défini dans le cadre d’une procédure certes exceptionnelle dans son ampleur et dans sa gravité, mais qui justifiait néanmoins de mettre en place un dispositif de régulation adapté à ses enjeux et aux coûts engagés pour l’État.
Le ministère de la justice indique qu’un travail sur ce point est en cours et rappelle que les règles de dégressivité ont déjà joué un rôle dans la limitation de la dépense. Cependant les rétributions constatées, non contestées par le ministère, témoignent de concentrations possibles de sommes très importantes au bénéfice d’un seul avocat. Les enseignements doivent être tirés de ce précédent et un dispositif adapté de dégressivité doit être institué en vue de plafonner les rétributions en cas de demandes multiples. Des directives gagneraient également à être données aux Baj lorsqu’ils constatent l’accumulation de procédures introduites pour qu’elles soient recensées en vue de faire jouer une forme de dégressivité ».
C’est donc pour répondre à cette critique formulée par la Cour des comptes que le ministre de la Justice a pris le décret du 20 mars 2025.
Cependant, il faut savoir que le projet initialement porté par la chancellerie prévoyait une dégressivité beaucoup plus forte que celle qui a été finalement arrêtée. En effet, il prévoyait ainsi une indemnisation à hauteur de 50% pour la 2ᵉ personne, de 40% pour la 3ᵉ personne, de 30% pour la 4ᵉ personne, de 20% pour la 5ᵉ personne et de 10% pour la 6ᵉ et plus.
Lors de la séance du 23 avril 2024 du Conseil national de l’aide juridique, les représentants de la profession ont relayé la position portée par la commission accès au droit de l’Institution représentative de la profession d’avocat, présidée par Maître Anne-Sophie Lepinard, membre également du CNAJ.
Le tableau ci-dessous récapitule les taux de dégressivité actuelle ainsi que ceux qui ont été fixées par le décret du 20 mars 2025 :
Le décret du 20 mars 2025 ajoute donc trois tranches de dégressivité supplémentaires dans la rétribution versée au titre de l’aide juridictionnelle aux avocats qui assistent plusieurs parties, la première réduction nouvellement imposée n’intervenant qu’au-delà de 20 clients.
Cette modification ne devrait donc pas impacter la majorité des avocats intervenant dans le domaine assisté, l’assistance d’un nombre conséquent de parties dans un même procès par un même avocat restant très limitée.
Conformément à l’article 2 du décret précité, cette nouvelle grille de dégressivité est applicable aux missions pour lesquelles l’admission à l’aide juridictionnelle est prononcée à compter du 1ᵉʳ jour du 5ᵉ mois suivant la date du 22 mars 2025, c’est-à-dire à compter du vendredi 1ᵉʳ août 2025.