Le droit de la propriété intellectuelle protège les photographies qui présentent un caractère original.
Toutefois, le plus souvent, les photographies prises par des journalistes ne relèvent pas de cette catégorie et le droit d’auteur est revendiqué abusivement.
Si l’intitulé de notre article est volontairement provocateur, il correspond pourtant parfaitement à une réalité juridique bien affirmée par les juridictions : le plus souvent une photographie n’est pas une œuvre originale et ne peut faire l’objet d’une revendication en propriété !
Certes le Code de la propriété intellectuelle affirme que la protection du droit d’auteur s’applique à toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination, y compris les œuvres photographiques [1] mais seulement à la condition qu’elle soit originale [2].
Hélas, le législateur ne s’est pas donné la peine de définir cette notion, laissant aux juges le soin d’en dessiner les contours d’appréhension [3], refusant de transmettre à la Cour de cassation une question préjudicielle de constitutionnalité portant sur l’exigence d’originalité imposée par les juges. Force fût alors pour eux de constater que le travail photographique s’apparentait davantage à un savoir-faire technique qu’artistique et ne revêtait que très rarement la qualification d’œuvre de l’esprit originale susceptible d’être protégée par un droit de propriété. Ils en ont alors tiré la conséquence naturelle : chacun d’entre nous sommes disposés à faire le plus libre usage des photographies que nous picorons ici ou là selon les sublimes mots de l’article 5 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 « tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas ».
L’originalité, une notion laissée à la libre appréciation du juge.
Rares sont les concepts juridiques aussi flous et incertains que celui de l’originalité d’une œuvre.
La première raison tient à l’absence de définition dans le Code de la propriété intellectuelle. Il en est résulté des interprétations diverses données par les juridictions au fil du temps. Une première conception classique, considère le caractère original comme l’empreinte de la personnalité de l’auteur [4]. Une seconde conception plus contemporaine qui semble actuellement avoir les faveurs des juges fonde l’originalité d’une œuvre sur son apport intellectuel [5]. Ces divergences jurisprudentielles [6] sont étrangères aux pays anglo-saxons dans lesquels la création est protégée dès lors qu’elle ne constitue pas la copie d’une création antérieure et qu’elle révèle un effort intellectuel même des plus humbles. C’est la fameux « copyright » inscrit sur les recoins de diverses œuvres ou documents dont le simple tampon suffit à protéger la propriété d’une « création » si elle est nouvelle ou se prétend comme telle. Rappelons qu’en France une « œuvre originale » ne veut pas dire nouvelle, bien qu’il arrive que les juges s’y trompent [7].
La seconde raison de ce manque de clarté tient à la libre appréciation du caractère original des créations en cause. La notion est appréciée par les juridictions de façon subjective et repose sur l’appréciation de « choix esthétiques arbitraires » de l’auteur [8]. Une telle appréciation est ainsi soumise, s’il y a procès, aux talents de conviction de l’avocat et aux impressions du juge.
Cette incertitude donne lieu à l’instrumentalisation du concept d’originalité par des intérêts privés tentés de revendiquer abusivement la propriété d’une œuvre pour entraver la liberté du commerce et de l’industrie et ainsi freiner les initiatives concurrentielles.
C’est ainsi que les photographes de presse et leurs agences telles que l’Agence France Presse (AFP), Associated Press (AP) Reuters ou encore BestImages se croient autorisés à revendiquer abusivement la propriété des clichés pris par leurs journalistes en invoquant des choix esthétiques de manière arbitraire. L’internaute qui aura repris sur son site internet une photographie collectée sur le web se voient ainsi mis en demeure de payer des indemnités pour contrefaçon de droit d’auteur au motif qu’il aurait réutilisé des photographies, pourtant d’une rare banalité.
L’impossible démonstration de l’originalité d’une photographie.
Il appartient cependant à celui qui revendique la protection accordée à l’auteur d’une œuvre de démontrer qu’elle répond aux critères d’originalité révélant l’empreinte de la personnalité de son créateur. S’ils s’appliquaient ce principe, les ayants droits de photographies peineraient à faire valoir leurs droits.
Ils trouvent toutefois un nouvel allié dans des sociétés utilisant l’intelligence artificielle et qu’ils mandatent pour balayer le web et repérer les contrefacteurs supposés sur internet en les sommant de leur payer des indemnités pour atteinte à leurs prétendus droits d’auteur.
Les sociétés PicRights [9], RightsControl [10] ou encore PermissionMachine [11] se mettent ainsi au service d’une entreprise systématique et irraisonnée de réclamations indemnitaires, en jouant ad nauseam de la notion d’originalité, et en tentant de tirer profit du manque de clarté de cette notion.
En contrepoint de ces revendications, l’on sait que les juges adoptent un regard critique, selon lequel « la seule saisie du réel même avec talent mais sans parti pris esthétique ou travail créatif est insuffisante » à démontrer l’originalité de la photographie [12]. Or, les photographes de presse ont pour but premier de saisir un fait, un événement ou un personnage public. Le plus souvent, la prise de vue et le résultat visuel s’imposent au photographe : cadrage, ombres, lignes de fuite, éclairage, attitude du/des personnage(s), mais aussi la focale, la distance ou le positionnement du photographe, ne découlent pas de ses choix créatifs et esthétiques [13].
Quant aux photographies prises en rafale, elles limitent d’autant plus la marge d’intervention humaine.
En outre, la preuve des choix opérés par un photographe contemporain est d’autant plus délicate que ce dernier
« appartient (…) à une époque où le maniement des appareils photographiques numériques est devenu courant et banal, où les réglages se font généralement automatiquement sans plus aucune intervention humaine si ce n’est dans le choix du sujet et du déclenchement de l’appareil » [14].
Lorsque l’utilisateur d’une image conteste le caractère illicite de sa reproduction [15], il lui est généralement répondu que l’originalité du cliché repose dans la présence de tel ou tel élément visuel, dont la disposition révélerait un effort esthétique et créatif. Pourtant, le simple fait d’indiquer que « la photographie résulte de la composition et de l’organisation de l’image, de son cadrage et de l’angle de prise de vue n’est pas en soi suffisant » [16], de même que des « commentaires généraux » sur les choix opérés et le « savoir-faire » du photographe [17].
Il est même revenu à une juridiction de considérer que la photographie de mannequins qui posent pour un magazine de mode ne pouvaient se voir conférer le titre d’œuvre originale [18].
Ces agences sont aussi tentées de justifier l’originalité de leurs photographies en employant des termes qui relèvent de la pure interprétation, faisant reposer l’originalité sur la lecture que le spectateur est porté à faire. Mais les juridictions sont venues affirmées en réponse qu’il ne suffit pas à celui qui revendique des droits d’auteur de décrire et d’interpréter une image pour démontrer son originalité [19].
Le Code de la propriété intellectuelle recèle ainsi des concepts flous dont le manque de clarté est volontairement entretenu par des forces économiques et sociales dominantes dans le champ culturel et qui ont l’oreille des pouvoirs publics.
Elles permettent d’instrumentaliser la notion originalité et ainsi revendiquer abusivement la propriété d’œuvre photographique en entravant la liberté du commerce et de l’industrie.
Puisse le législateur se saisir de cette question et dessiner une régime juridique clair quant à la protection des œuvres artistiques. Si la lutte contre la contrefaçon est un combat légitime, il ne peut se faire sur la base d’un concept aussi incertain et en définitive dangereux pour la sécurité juridique du justiciable.
Discussions en cours :
Je suis poursuivi par le cabinet Reynal-Perret qui représente l’AFP et PICRIGHTS pour utilisation abusive d’une photo soumise au droit d’auteur. Après leur avoir répondu par une série d’arguments que vous avez développé brillamment dans vos articles, ils me répondent maintenant que je leur fait de la concurrence déloyale et invoque le parasitisme pour justifier leurs indemnités. Que leur répondre ?
Bonjour,
Vous écrivez au sujet d’une photo réalisée par un journaliste qu’elle "ne peut faire l’objet d’une revendication en propriété !".
Elle est à qui alors cette photographie ? a tout le monde parce qu’elle a été publiée une fois ? quid des frais et charge pour la réalisation (personnel, matériel, logiciels, déplacement). La photo même numérique est bien un produit qui a été fabriqué. Il n’y a pas de propriétaire ?
Merci pour votre réponse.
Cordialement.
bonjour
je suis dans le même cas que M. Stéphane Lamy.
Même protagonistes : cabinet Reynal-Perret à Bordeaux, et Picrights.com. un courrier RAR très incisif, avec injonction de payer !
En parcourant internet on s’aperçoit que cette démarche est assez répandue ! Elle doit être lucrative... !
a part menacer, et harceler, quelles actions pourraient ils engager ?
Ils ne produisent aucune preuve de l’appartenance de la photo en question et le montant demandé semble totalement arbitraire.
De 500€ à 1200€ suivant les différents cas évoqués dans les forums.
je vous remercie pour les explications détaillées, qui permettent d’y voir plus clair.
cordialement.
Denis
Même problème pour une photographie publiée sur mon site internet pour illustrer une chronique discographique. 880 € demandés pour une photo (type photomaton) intégrée dans un montage de plusieurs photos (donc à l’écran un petit carré d’à peine un centimètre de côté), sachant que l’article depuis 2019 (nous sommes en 2021) n’a été regardé que 77 fois.
Voici ce que le cabinet Reynal-Perret répond :
"Toutefois, le nombre de visites sur votre site internet ou encore la durée pendant laquelle la photographie a été utilisée ’est pas pertinent à ce stade de ce dossier. En effet, le montant de l’indemnité est fixé par ma Cliente selon le prix de la licence d’exploitation dont vous auriez dû vous acquitter auprès d’elle et des préjudices qui ont été causés du fait cette utilisations sans autorisation.
J’ai discuté avec ma Cliente, laquelle n’a pas accepté votre contre-proposition à hauteur de 50 euros.
Cependant, elle accepterait de réduire le montant de l’indemnité à hauteur de 680 euros.
Si cela vous convient, nous pourrions alors clôturer définitivement ce dossier. "
Est-ce qu’il est normal de continuer la discussion alors que dans mon précédent mail je demandais aussi à ce que l’on me communique le nom du photographe et ses coordonnées ? Dans leur courrier, aucune réponse à cette question. Donc aucun moyen de vérifier quoi que ce soit. Aucune preuve d’utilisation frauduleuse...
On parle de plus en plus actuellement de fraude de ce type via internet. Qu’en est-il réellement ici ?
je serai curieux de connaître les suites données à ces menaces de mise en demeure de la part de ce cabinet. Comment ces affaires se sont résolues ou bien éteintes et si jugées quel lecture les juges font de ces demandes extravagantes au regard du tout petit lectorat des blogs incriminés qui, somme toute, ne font qu’un citation et non une exploitation des images glanées…
Je vous tiendrais au courant des suites données a cette affaire . Je ne peux pas prendre un avocat a 250€ HT pour deux heures ( 500€ ) consultation et rédaction courrier , pour 846€ réclamé par l’avocate .
Elle m’a mis le nom de l’auteur de la photographie , mais sans mettre ses coordonnées et le courrier de l’AFP qu’elle m’a envoyé par mail , qui n’est pas daté et ne donne pas les dates , ni délais de ces protections .
De quelle manière peut-on vérifier qu’une photographie est sous droits d’auteur ?
Y a -t-il un organisme comme l’INPI pour les brevets ??
J’ai retiré la photo de mon blog , j’en ai mise une autre a la place , venant d’une bibliothèque numérique gratuuite , qui n’existait pas en 2015 .
Il semblerait que l’impression d’écran , n’a de valeur juridique , qu’à condition d’être effectuée par acte d’huissier .
Sans constat d’huissier , pas de preuve valable de la diffusion .
Maître Lazaregue ,
Je vous remercie pour vos informations précieuses .
En effet , je viens de recevoir une mise en demeure d’une avocate de Bordeaux qui me réclame 846€ pour une image ( une carte vitale avec un flacon de médicaments ouvert dont les pilules sont éparpillées ) que j’ai mise sur mon blog " zeropaperasse.com " depuis 2015 à titre d’information et de conseils pour les personnes vulnérables ou en difficultés , rappelant les différents régimes de sécurité sociale . Etant " Mandataire Judiciaire à la protection des Majeurs " .
Aucune indication sur cette photo trouvée en libre accès sur Google , à l’époque .
Ecrivant que l’AFP jouit du droit exclusif d’accorder des licences et est bien fondée à demander réparation contre toutes reproductions intégrales ou partielles de photographies originales faites sans son consentement , constitutives d’actes de contrefaçon . Rappelant l’Art . L.122-4 du Code de Propriété Intellectuelle : " Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite " .
En 2015 , rien n’indiquait que cette image ( diffusée sur d’autres sites ) était protégée par des Droits d’auteur .
Combien dure la période des droits d’auteurs, en terme de protection ? y a t-il un délai de prescription ?
De plus Pic Rights Europe dit m’avoir envoyé Quatres lettres de demande de règlement amiable en 2023 , pour un montant de 446€ alors que je n’ai jamais reçu leurs courriers , ni par mail , ni par courrier postal , ni contact téléphonique . J’avais pourtant mis mes coordonnées sur mon blog .
L’Avocate écrit que " le détournement de la valeur commerciale de photographies sans autorisation peut également être sanctionnée sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle pour parasitisme" ( Art. 1240 du CC )
Elle réclame 846 € , calculé à partir du montant de la licence que j’aurai dû acquérir pour une utilisationpassée sur internet, au regard du type de site concerné, de l’emplacement et de la durée d’utilisation de l’image ainsi que des frais de dossier exposés .
Pourquoi n’ont-ils pas réagit avant sa diffusion , en 2015 ?
Je trouve cela abusif et la photographie est commune , sans caractère d’originalité .
Toutes les photographies ne sont pas originales, soit.
Mais je trouve incroyable votre manière de vous poser du côté des "victimes" des photographes. Si l’on utilise des images que l’on n’a pas produites ou payées, alors, c’est au mieux du parasitisme, ou au pire de la contrefaçon. Et je trouve savoureux que vous prétendiez que les revendications des photographes à se faire payer pour l’utilisation de leurs images soit contraires aux règles du commerce. Où et le commerce lorsqu’un internaute utilise des contenus pour son propre profit sans rémunérer leur créateur ?
Un peu de sérieux, Maître. Les victimes dans le grand marché des photographies, ce ne sont pas les diffuseurs des images. Ce sont les photographes qui peinent à se faire payer par les diffuseurs.