[Point de vue] La motion de censure : une règle constitutionnelle majeure en régime parlementaire.

Par Raphael Piastra, Maître de Conférences.

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Explorer : # motion de censure # régime parlementaire # séparation des pouvoirs # crise politique

Ce que vous allez lire ici :

L'article 49-2 de la Constitution permet à l'Assemblée nationale de voter une motion de censure contre le Gouvernement. Ce processus conduit souvent à un changement de Premier ministre et implique des négociations complexes, surtout dans un contexte politique délicat comme celui actuel en France, sans majorité claire.
Description rédigée par l'IA du Village

Nous venons donc de vivre [1] la seconde motion de censure de la Vᵉ République faisant tomber un gouvernement. Il est plus que nécessaire de préciser les choses sur cette règle constitutionnelle majeure en régime parlementaire. En effet, au sein de la majorité de ce qui se dit et s’écrit, il y a de fieffées bêtises.
Il faut toujours revenir au texte constitutionnel dans ces cas-là.

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L’article 49-2 de la Constitution énonce :

« L’Assemblée nationale met en cause la responsabilité du Gouvernement par le vote d’une motion de censure. Une telle motion n’est recevable que si elle est signée par un dixième au moins des membres de l’Assemblée nationale. Le vote ne peut avoir lieu que quarante-huit heures après son dépôt. Seuls sont recensés les votes favorables à la motion de censure qui ne peut être adoptée qu’à la majorité des membres composant l’Assemblée. Sauf dans le cas prévu à l’alinéa ci-dessous, un député ne peut être signataire de plus de trois motions de censure au cours d’une même session ordinaire et de plus d’une au cours d’une même session extraordinaire ».

Le texte de la motion a donc été signé par un dixième au moins des députés. Puis, il a été déposé comme il se doit. Et, comme il se doit, un délai de 48 heures a été respecté.

Ce délai sert deux objectifs (totalement éludé par les commentateurs) : permettre à la « négociation » de se poursuivre et aux censeurs de réfléchir à ce geste lourd de conséquences.
Puis c’est le vote fatidique. Comme le précise l’art 49-2 seuls sont recensés les votes favorables à la censure. Et il faut alors la majorité des membres formant l’AN, soit 289. La censure NFP/RN a donc recueilli 331 voix.

Quelles sont les conséquences d’un tel vote ? La première c’est un changement de Premier Ministre. Contrairement aux inepties qui sont dites çà et là, ce n’est absolument pas une crise de régime. C’est une application du régime parlementaire qu’on avait un peu oublié, négligé. Car il faut rappeler que nous sommes dans un régime parlementaire. C’est ce que Michel Debré annonça dans son discours de présentation de la Constitution au Parlement en 1958 : "Donner un régime parlementaire à la France". A l’heure où les esprits s’emmêlent un peu donnons une petite définition : un régime parlementaire est un régime politique fondé sur une séparation souple des pouvoirs (contrairement au régime présidentiel où la séparation est stricte, ex : USA). Dans le régime parlementaire, le Gouvernement qui incarne le pouvoir exécutif, peut être renversé par le Parlement devant lequel il est politiquement responsable. Les membres du Gouvernement ne sont pas élus, mais sont issus de la majorité parlementaire à laquelle ils doivent leur pouvoir. Précisons que pour faire bonne mesure à une censure, le président peut dissoudre l’AN. Là il se trouve que M. Macron s’est autobloqué jusqu’à juin prochain.

Alors certes notre régime parlementaire s’est présidentialisé depuis 1962 et ce jusqu’en 1986 avec la consécration du présidentialisme. Hormis les cohabitations (1986, 1993, 1997 et 2024), il est vrai que le régime parlementaire se trouve assez largement diminué. 2024 ? Le régime connait un contexte tout à fait inédit qui est celui d’une absence totale de majorité. C’est donc une cohabitation hybride. Lorsque M. Barnier arrive à Matignon c’est mission quasi impossible notamment avec la présence de deux gros blocs (RN, NFP) avec lesquels la cohabitation relève de la gageure totale. Alors on s’en remet au jeu parlementaire. Mais on n’est plus très habitué. Une dette abyssale, un budget impossible ? On négocie, on fait des tractations. C’était le mode d’action des IIIᵉ et IVᵉ Républiques ! Mais M. Barnier ne veut pas tout lâcher lui qui hérite d’une situation financière catastrophique à laquelle il n’a en rien participé. L’opposition joue son jeu et active l’arme fatale de la censure.

Cette procédure parlementaire se pratique couramment chez nos principaux voisins européens (Allemagne, Italie, Espagne). C’est aussi le cas en Israël.
Seconde conséquence : le président prend acte de la censure et doit nommer un nouveau premier ministre. Rappelons ici la formule pertinente de F. Mitterrand en 1986 (à l’aube de la cohabitation) : "Le président de la République nomme qui il veut. Il doit naturellement se placer en conformité avec la volonté populaire. (...) Je devrais m’adresser à une personnalité de la majorité pour conduire le gouvernement (...)". Et ce fut J. Chirac. Mais Mitterrand avait plus d’atouts que n’en a Macron.

Nous avons ici la simple utilisation de l’art. 8 de la C selon lequel : Le président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement. n fois celui-ci en place, il va falloir nomme le gouvernement. Article 8-2 : sur la proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions.
Bien évidemment, la majorité restant la même et le contexte politique étant ce qu’il est, cela ne va pas être une sinécure. M. Macron va devoir faire vite comme le lui a suggéré les présidents des chambres. Des inquiétudes quant au budget 2025 ? La donne va certes changer et l’on va, peu ou prou, réactiver d’abord celui de 2024. Les cartes vitales vont continuer à fonctionner n’en déplaise à Mme Borne (!), les fonctionnaires seront payés, les retraites aussi. Le shutdown est impossible en France justement grâce à la Constitution et aux mécanismes budgétaires qu’elle prévoit, soit directement, soit par la loi organique. Dans le pire des cas si le blocage budgétaire persiste (avant le 31 décembre), l’article 47 de la Constitution permet au gouvernement de promulguer son projet de budget par ordonnance, sans vote, si jamais le Parlement ne s’est pas prononcé dessus au bout de soixante-dix jours. Le chef de l’Etat signera bien entendu lesdites ordonnances.

Donc à la suite de cette motion de censure, troisième conséquence, la France va avoir un nouveau gouvernement. Mais toujours pas de majorité sur laquelle s’appuyer. Et là le seul levier théorique qui existe est dans les mains du chef de l’Etat avec la dissolution. Mais, de son fait, elle sommeille jusqu’à juin prochain. Alors on peut aussi songer à un départ anticipé du président de la République pour tout remettre à plat. Nous sommes de ceux qui l’évoquons depuis assez longtemps. Bien sûr rien dans les textes ne l’y oblige, on est bien d’accord. On nous dit çà et là qu’il est l’élément stabilisateur des institutions (art.5C). « La clef de voûte » disait M.Debré. Nous posons une question. Quid de celui qui censé protéger le système institutionnel, le déséquilibre par des choix hasardeux ? Quitter le pouvoir comme de Gaulle l’a fait en 1969, c’est aussi sortir par le haut. Macron a dit qu’il resterait jusqu’à la dernière seconde. Et sauf « faute grave », prévue aux articles 53-2 et 68, il en sera ainsi.

Pour achever, rappelons qu’une motion de censure a déjà eu lieu en 1962. A la vérité, elle visait le général de Gaulle qui, après avoir fait l’objet d’une tentative d’assassinat, par des généraux de l’OAS, lors de l’attentat du Petit-Clamart, décide d’asseoir sa légitimité mais surtout celle de ses successeurs. Ainsi il fait adopter par référendum l’élection du président au suffrage direct. Le Parlement, majoritairement opposé à cette réforme (sur le fond et la forme) dont il estime qu’elle le dépouille (le président est alors lu par lui) décide de censurer le gouvernement Pompidou (ne pouvant le faire contre le président lui-même bien sûr). Si Georges Pompidou présente sa démission à Charles de Gaulle 24 heures plus tard, le président ne l’accepte que formellement et l’exécutif reste en place. Ainsi le plus célèbre des cantaliens est re-nommé à Matignon et la quasi-totalité des ministres confirmée. Dans l’élan de Gaulle dissout l’AN et conforte sa majorité.

O tempora, o mores !

Raphael Piastra, Maitre de Conférences en droit public des universités

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[1Le 5 décembre 2024.

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