Langues régionales : quel statut juridique en France ?

Par Yassin Jarmouni, Juriste.

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Explorer : # langues régionales # droit linguistique # constitution française

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Depuis 1539, le français est la seule langue officielle en France, y compris dans la Justice et l'Administration. Malgré quelques avancées pour les langues régionales, comme le catalan et le corse, les tribunaux continuent de restreindre leur usage, laissant la reconnaissance des droits linguistiques incertaine.
Description rédigée par l'IA du Village

La France est le pays d’Europe avec la plus riche diversité linguistique (langues romaines, polynésiennes, celte, germaniques, isolée (basque), créoles…) et paradoxalement celui qui leur accorde la moindre protection sur le plan juridique.
Toutefois, un statut de « langues régionales » existe et permet à ces langues d’avoir une reconnaissance très limitée dans quelques textes de loi et à l’article 75-1 de la Constitution mais qui les subordonne à la primauté du français. L’année 2024 a laissé trois affaires en cours qui concernent trois collectivités locales qui tentent de faire reconnaître le droit d’usage facultatif de ces langues par les collectivités, les élus ou les administrés.

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Cadre législatif actuel.

Depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts (texte de loi plus ancien encore en vigueur) d’août 1539, le français est imposé comme la seule langue de la justice. Avec la Révolution, le français s’impose aussi comme la langue de l’Administration. L’article 2 de la Constitution de 1958 énonce que la langue de la République est le français et la loi Toubon de 1994 rappelle qu’elle demeure la langue du travail, enseignement et les services publics.

Le droit français confère un statut de « langue régionale » à quelques langues autochtones, ce qui se traduit par une certaine reconnaissance dans l’enseignement (Code de l’Éducation) et la culture. Ceci fait figure d’exception en Europe où la plupart des Etats connaissent plus d’une langue officielle au niveau régional ou local.

En droit français, les pouvoirs publics ne sont tenus qu’à participer ou collaborer à la préservation de ces langues « L’Etat et les collectivités territoriales concourent à l’enseignement, à la diffusion et à la promotion de ces langues » (LOI n° 2021-641 du 21 mai 2021). Cette participation dépend du bon vouloir des pouvoirs publics sans aucune obligation légale concrète.

La notion de droits linguistiques n’existe pas en droit français. Les administrés et usagers des services publics ne peuvent pas réclamer le droit de communiquer avec les pouvoirs publics dans ces langues. Ce cadre juridique hostile contribue à rendre ce patrimoine, aujourd’hui en risque de disparition, encore plus vulnérable.

Tentatives de remise en cause de la primauté du français par les collectivités locales.

1/ Commune d’Elne et autres.

Le 21 avril 2022 Elne (Elna) et une quinzaine d’autres communes catalanes modifient leurs réglements intérieurs pour permettre l’usage du catalan, suivi d’une traduction en français : « Le rapporteur pourra présenter la délibération en langue catalane mais il devra toujours l’accompagner de la traduction en français. De même, les interventions des conseillers municipaux pourront se faire en langue catalane mais elles devront toujours être accompagnées de la traduction en français ».

Dans un arrêt rendu le 12 décembre 2024, la Cour Administrative d’Appel de Toulouse considère que la possibilité pour les élus de s’exprimer en catalan avec traduction méconnaît l’article 2 de la Constitution même si c’est accompagné d’une traduction en français [1].
Toutefois, pour la Cour, cet article de la Constitution ne fait pas obstacle à ce que les interventions en français puissent ensuite être traduites en catalan. Elle censure la liberté des élus de choisir la langue d’intervention (catalan avec traduction en français ou français) et refuse l’octroi de ce droit linguistique.

Les communes ont formé un pourvoi devant le Conseil d’État et il est possible qu’elles portent cette affaire jusqu’à la CEDH.

2/ Assemblée et Conseil exécutif de Corse.

Par une délibération du 16 décembre 2021 l’Assemblée de Corse avait adopté un règlement intérieur qui donnait la possibilité aux élus de s’exprimer en corse ou en français lors des débats.
Par un arrêté du 8 février 2022, le président du conseil exécutif de Corse a approuvé son règlement intérieur, qui prévoit en son article 16 que « les membres du conseil et les agents du secrétariat général utilisent les langues corse et française dans leurs échanges oraux et électroniques et dans les actes résultant de leurs travaux ».

À la suite d’une procédure entamée par le préfet pour annuler ces deux actes, La Cour Administrative d’Appel de Marseille y fait droit dans un arrêt du 19 novembre 2024 [2].

Elle considère que :

« ces dispositions qui prévoient l’usage facultatif du corse par les organes de la collectivité, « quoiqu’elles n’imposent pas l’usage exclusif d’une langue autre que la langue française, sont ainsi contraires aux exigences de l’article 2 de la Constitution ».

L’article l’article 75-1 de la Constitution (« Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France »), n’institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit ».

La Collectivité a formé un pourvoi devant le Conseil d’État et a annoncé son intention de poursuivre la procédure en espérant une décision favorable de la CEDH.

3/ Le cas de la Martinique.

Le 23 mai 2023, l’Assemblée de Martinique a voté à l’unanimité la reconnaissance du créole comme langue officielle de l’île au même titre que le français. Cette décision octroyait aux administrés le droit de communiquer avec l’administration en créole et obligeait celle-ci à le faire en cette langue en plus d’en français.

Le Tribunal administratif de Fort de France a fini par annuler cette décision le 3 octobre 2024 au motif qu’elle serait contraire à l’article 2 de la Constitution et à l’article 1er de la loi du 4 août 1994, dite loi Toubon, qui impose le français comme la seule langue qui peut être utilisé légalement par les administrations et les usagers des services publics [3].
En réalité cet article énonce que :

« Langue de la République en vertu de la Constitution, la langue française est un élément fondateur de la personnalité et du patrimoine de la France. Elle est la langue de l’enseignement, du travail, des échanges et des services publics ».

Pour les juges du Tribunal administratif, l’emploi du français exclut celui d’une autre langue, ce qu’à mon sens la loi ne dit pas.
Cette décision mérite de faire trois observations :

  • Le Tribunal ne se prononce pas sur l’article 21 de la loi Toubon ajouté en 2021 qui énonce que : « Les dispositions de la présente loi s’appliquent sans préjudice de la législation et de la réglementation relatives aux langues régionales de France et ne s’opposent pas à leur usage ». Les parties ne l’ont pas soulevé comme moyen d’appui à leurs prétentions.
  • Le Tribunal rajoute que sa décision ne remet pas en cause le statut de « langue régionale » du créole martiniquais, qui permet aux pouvoirs publics de « concourir » à son enseignement, diffusion et promotion.
  • Le Tribunal laisse sous-entendre que si la Charte européenne des langues régionales était ratifiée par l’État français, la décision de l’Assemblée de Martinique ne serait pas annulée.

Dans ces trois affaires, les tribunaux ont fait une interprétation très stricte de l’article 2 de la Constitution (« la langue de la République est le français »). Pour eux, cet article empêcherait l’emploi d’une autre langue, même facultatif et avec traduction, comme langue de travail des élus ou de communication avec les administrés par les pouvoirs publics. Reste à voir si le Conseil d’État et la CEDH feront cette même interprétation.

Quelques avancées vers la reconnaissance de droits linguistiques.

Une pratique pas encore censurée semble s’être instaurée discrètement. Au Conseil Régional de Bretagne, depuis 2022 une traduction simultanée en français et langue des signes est fournie pour les élus souhaitant parler en gallo ou en breton. Dans l’Assemblée de Corse, les interventions à l’oral en langue corse sont courantes et tolérées.

En 2012, les affaires concernant les panneaux bilingues dans certaines communes [4] ont abouti à la reconnaissance express de la signalétique bilingue dans la loi du 21 mai 2021, dite loi Molac.
Son article 8 permet désormais aux communes d’afficher la traduction du français en langue régionale sur « les inscriptions et signalétiques apposées » sur la voie publique.

D’autres affaires opposant des parents à l’État pour faire reconnaitre les prénoms d’enfants utilisant des signes diacritiques absents du français [5] n’ont pas eu de succès.

Dans l’enseignement, il est possible désormais de choisir une langue régionale à l’épreuve de langue vivante au BAC ou de passer l’agrégation en langue régionale, l’enseignement de la langue corse en raison de trois heures par semaine est généralisé en Corse depuis 2002 [6] et dans le secondaire et pour d’autres collectivités depuis 2021.

Ces avancées démontrent que malgré les réticences, certains droits linguistiques limités à l’enseignement et la culture peuvent être reconnus. Les langues régionales auront peut-être un jour un droit de cité ?

Yassin Jarmouni,
Avocat au Barreau de Nîmes
www.jarmouni-avocat.fr

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Notes de l'article:

[4Villeneuve-lès-Maguelone, CA Marseille.

[5Affaire du prénom Fañch ou Martí.

[6Art.L312-11-1 Code de l’éducation.

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