Introduction.
La Constitution française de la Vᵉ République, adoptée en 1958, a été conçue pour établir un régime politique stable et équilibré, à l’abri des combines partisanes qui avaient fini par désagréger la IVᵉ République. La révision de 2000, réduisant la durée du mandat présidentiel de sept à cinq ans, et la réforme de 2008, limitant le mandat présidentiel à deux quinquennats consécutifs, ont renforcé ce cadre institutionnel. Ces réformes visent à prévenir les dérives autocratiques et à promouvoir le renouvellement démocratique au plus haut niveau de l’État.
Cependant, la démission volontaire d’un Président en cours de mandat pose des questions juridiques spécifiques, en particulier en ce qui concerne les répercussions sur la limitation à deux quinquennats successifs.
L’étude de la manière dont le droit constitutionnel s’en saisit nécessite une double approche : d’une part, l’examen des garanties de sécurité juridique applicables à cette restriction en cas de démission(I) ; d’autre part, l’étude des implications juridiques d’une telle démission dans l’hypothèse d’un troisième mandat consécutif (II).
I. La limitation des mandats face à la démission du Président de la République.
L’article 6 de la Constitution de 1958 impose une limitation stricte : un Président de la République ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs. Cette disposition vise à préserver l’équilibre des pouvoirs et à éviter la concentration du pouvoir exécutif.
A. L’encadrement constitutionnel des mandats présidentiels : un principe d’ordre public.
L’encadrement du nombre de mandats présidentiels à deux quinquennats successifs répond à une exigence de limitation du pouvoir exécutif, qui est un principe fondamental du constitutionnalisme moderne. Ce principe est réaffirmé par l’article 6 de la Constitution, qui constitue une norme d’ordre public constitutionnel, à laquelle il ne peut être dérogé, même en cas de démission présidentielle.
La jurisprudence constitutionnelle n’a jamais été explicitement confrontée à la question de la démission volontaire d’un Président ayant exercé deux mandats consécutifs. Cependant, le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2000-428 DC du 30 mars 2000, a rappelé que « la limitation du nombre des mandats présidentiels concourt à assurer le respect des principes de la souveraineté nationale et de la séparation des pouvoirs ».
Le texte constitutionnel ne prévoit aucune exception à la limitation des mandats présidentiels, même en cas de démission. En effet, si un Président ayant exercé deux quinquennats consécutifs démissionne avant la fin de son second mandat, il ne peut se présenter à la prochaine élection présidentielle. Cette interprétation est conforme à l’esprit de la réforme de 2008, qui visait à empêcher toute forme de continuité excessive du pouvoir.
La démission d’un Président en cours de second mandat ne saurait être utilisée comme un moyen de contourner la limitation constitutionnelle des deux mandats consécutifs. Le Conseil d’État, dans son avis du 11 décembre 2007 relatif à la révision constitutionnelle de 2008, a souligné que « la limitation du nombre de mandats successifs est une garantie de la démocratie représentative, et ne saurait être remise en cause par des manœuvres juridiques ou politiques ».
B. La limitation des mandats présidentiels à deux quinquennats consécutifs : une condition juridique d’alternance démocratique.
La limitation à deux mandats consécutifs inscrite à l’article 6 de la Constitution de 1958 est une règle de droit public qui constitue une garantie de l’alternance démocratique. Cette règle est conçue pour empêcher la monopolisation du pouvoir par un seul individu et garantir le renouvellement régulier du leadership politique. D’un point de vue juridique, cette disposition vise à prévenir l’usure du pouvoir et à maintenir une dynamique institutionnelle en phase avec les attentes des citoyens.
La limitation des mandats participe également de la logique de responsabilité politique inhérente au système constitutionnel français. Elle garantit une durée limitée à l’exercice du pouvoir exécutif suprême, l’article 6 de la Constitution assure la redevabilité constante du président de la République devant le corps électoral. Cette responsabilité est renforcée par l’impossibilité de solliciter un troisième mandat consécutif, comme l’a réaffirmé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2008-569 DC du 9 juillet 2008, qui précise que cette limitation vise à « préserver le principe démocratique en évitant la concentration excessive du pouvoir entre les mains d’un même dirigeant ».
Comparée à d’autres systèmes constitutionnels, la règle française de limitation des mandats se distingue par sa rigueur. Aux États-Unis, par exemple, le 22ᵉ amendement de la Constitution impose également une limitation à deux mandats, mais les cas de démission n’ont jamais été utilisés pour contourner cette règle. En France, une telle possibilité serait contraire à l’esprit de la Constitution de 1958, qui cherche à éviter toute forme de pérennisation du pouvoir. Cette intention a été explicitement mentionnée dans les travaux préparatoires à la révision constitutionnelle de 2008, où le constituant a souligné l’importance de garantir une alternance effective.
Dans d’autres systèmes constitutionnels : au Brésil et en Argentine, les Constitutions prévoient la possibilité d’un second mandat consécutif pour le président. En Bolivie, la Constitution limite le mandat présidentiel à une réélection consécutive. En Équateur, la Constitution de 2008 prévoit la possibilité d’une réélection unique après un mandat présidentiel de quatre ans.
En Colombie, l’interdiction de la réélection consécutive a été rétablie en 2010 après une période de réélection consécutive permise entre 2005 et 2010. Au Pérou, le mandat présidentiel est limité à un quinquennat, avec une interdiction de réélection immédiate.
Malgré ses avantages pour l’alternance démocratique, la limitation des mandats n’est pas exempte de critiques. La perte de dirigeants expérimentés, capables de mener à bien des politiques à long terme, est un risque. Cependant, cette limitation est compensée par la solidité des institutions françaises, qui assurent la continuité de l’État au-delà des mandats présidentiels individuels. Les transitions sont encadrées par des règles constitutionnelles claires, comme celles régissant l’intérim présidentiel et les élections anticipées, qui minimisent les risques d’instabilité.
L’histoire constitutionnelle française révèle très peu de cas de démission présidentielle. Adolphe Thiers, le premier Président de la Troisième République, a démissionné le 24 mai 1873. Sa démission est survenue après un vote de défiance de l’Assemblée nationale, dominée par une majorité monarchiste insatisfaite de sa politique.
Sous la Vᵉ République, Charles de Gaulle a également démissionné de la présidence de la République française. Après avoir été réélu en 1965, il a démissionné au cours de son second mandat le 28 avril 1969, au lendemain d’un référendum qu’il avait proposé sur la réforme du Sénat et la régionalisation. Le « non » l’avait emporté avec environ 52,41% des voix. Fidèle à sa promesse, De Gaulle avait quitté ses fonctions après la défaite référendaire.
Cependant, De Gaulle n’ayant pas envisagé de se représenter à la prochaine élection, la question d’un éventuel troisième mandat pour un président démissionnaire au cours de son second mandat reste théorique. Que se passerait-il si un Président, renonçant à son second quinquennat ou l’interrompant, souhaitait briguer un troisième mandat ? Quelle en serait la conséquence en droit constitutionnel au regard du verrou limitatif des mandats à deux quinquennats consécutifs ? La démission pourrait-elle être considérée comme une exception à ce dispositif ?
II. Le corollaire juridique d’une démission au regard de l’éventualité d’un troisième mandat présidentiel consécutif.
L’analyse des implications juridiques d’une démission présidentielle en vue d’un troisième mandat consécutif nécessite d’abord de comprendre l’inflexibilité de la règle de limitation des mandats telle qu’établie par la Constitution française (A), puis de démontrer que cette limitation constitue une pierre angulaire de l’ordre public constitutionnel (B).
A. L’immutabilité de la limitation des mandats à deux quinquennats successifs opposable à une démission présidentielle.
En cas de démission d’un Président en cours de second mandat, la Constitution de 1958 est claire : l’intérim est assuré par le Président du Sénat conformément à l’article 7. Le Président démissionnaire, ayant déjà exercé deux quinquennats consécutifs, se voit interdit de se représenter immédiatement, et ce, même s’il démissionne avant la fin de son second mandat. Cette conception repose sur une lecture stricte de l’article 6, qui ne fait aucune exception en cas de démission. Le Conseil d’État, dans son avis du 10 juillet 2008, a confirmé que toute manœuvre visant à contourner cette limitation constituerait une violation flagrante de la norme constitutionnelle.
L’article 6 de la Constitution française du 4 octobre 1958 impose une limitation stricte des mandats présidentiels à deux quinquennats consécutifs. Juridiquement, cette limitation est revêtue d’un caractère impératif, ce qui signifie qu’elle ne peut être modifiée que par une révision constitutionnelle conforme à l’article 89 de la Constitution. Une telle révision exige non seulement l’adoption par les deux assemblées parlementaires en termes identiques, mais aussi une approbation référendaire.
Toute tentative de contourner cette limitation par une démission présidentielle, suivie d’une nouvelle candidature, serait juridiquement contestable. Le Conseil constitutionnel, en tant que garant du respect de la Constitution, pourrait être saisi pour examiner la conformité d’une telle manœuvre. Dans ce contexte, une telle tentative serait susceptible d’atteinte à l’esprit de la Constitution et à l’intention du constituant, qui a explicitement cherché à restreindre la possibilité de réélection continue du chef de l’État.
L’exemple de la décision du Conseil d’État du 15 décembre 2022, dans l’affaire du président de la Polynésie française, pourrait être invoqué, mais il est important de noter que les circonstances juridiques sont différentes et ne peuvent être directement transposées à la présidence de la République française. Dans ladite cause, le Conseil d’État, interprétant les dispositions statutaires spécifiques à la Polynésie française, a eu à se prononcer sur la possibilité pour le président de cette collectivité d’outre-mer de se représenter immédiatement après avoir démissionné de son mandat en cours.
La situation était unique en raison du statut particulier de la Polynésie française, qui dispose d’une autonomie législative au sein de la République française. Le Conseil d’État a jugé que le président de la Polynésie française pouvait se représenter immédiatement après avoir démissionné, sans qu’il soit nécessaire de respecter un délai entre la démission et la nouvelle candidature. Cette décision s’appuyait sur les spécificités du cadre juridique local, notamment sur l’interprétation des dispositions propres au statut de la Polynésie française.
Toutefois, la portée de cette décision est limitée à son contexte spécifique et ne s’étend pas à la présidence de la République française pour plusieurs raisons :
- Différence de cadre juridique : la Polynésie française a un statut d’autonomie qui lui permet de gérer ses affaires internes avec des règles distinctes de celles applicables à l’ensemble du territoire français. Les règles constitutionnelles françaises concernant la présidence de la République sont plus strictes et rigoureuses, notamment en ce qui concerne la limitation des mandats.
- Absence de disposition équivalente : la Constitution française ne prévoit pas de possibilité similaire pour le président de la République de se représenter après une démission en cours de mandat pour contourner la limitation des mandats successifs. Toute tentative visant à se soustraire à cette règle pourrait entrer en collision avec l’esprit de la Constitution.
- Contexte politique et institutionnel : le Conseil d’État, en statuant sur la situation du président de la Polynésie française, a pris en compte un contexte politique et institutionnel spécifique qui n’existe pas au niveau national. La présidence de la République française est soumise à un cadre constitutionnel plus rigide qui vise à garantir la stabilité de l’État et à prévenir tout abus de pouvoir.
Ainsi, une démission stratégique pour contourner la limitation des mandats heurte non seulement lettre de l’article 6, mais aussi son esprit, qui visent à prévenir toute tentative de prolongation indue du pouvoir exécutif.
B. La limitation des mandats à deux quinquennats successifs : un principe d’ordre public constitutionnel.
Le caractère inaltérable de la limitation des mandats présidentiels s’inscrit dans la logique d’ordre public constitutionnel. Cette notion, qui relève du droit public, désigne l’ensemble des règles essentielles au maintien de l’ordre institutionnel et à la garantie des principes démocratiques. En France, la limitation des mandats à deux quinquennats consécutifs est un élément central de cette structure.
La jurisprudence constante du Conseil constitutionnel en la matière montre son engagement à faire respecter l’article 6 comme une norme impérative.
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2008-569 DC du 9 juillet 2008, a précisé que la limitation des mandats successifs du président de la République contribue à la « vitalité démocratique » en assurant une « véritable alternance au sommet de l’État ». Cette interprétation consacre la limitation des mandats comme une règle de droit public d’une importance primordiale pour la stabilité institutionnelle et la légitimité du système démocratique.
En outre, la limitation des mandats renforce la sécurité juridique en empêchant toute tentative de remise en cause des règles constitutionnelles par des moyens détournés. Le principe d’interdiction de troisième mandat consécutif est ainsi protégé, y compris à la suite d’une démission juste avant la fin du second quinquennat, non seulement par le texte de la Constitution, mais également par la jurisprudence du Conseil constitutionnel dont l’office assure le plein effet au principe « interpretatio cessat in claris », en matière des règles de dévolution du mandat présidentiel.
Résumé en anglais de l’article :
The French Constitution of the Fifth Republic, dated October 4, 1958, as amended in 2008, limits the presidential term to two consecutive five-year terms. De lege lata, it follows that if a President steps down after serving two terms, they cannot immediately run for office again ; they must wait for an intermediate election to ensure regular political alternation and prevent any undue extension of executive power. However, if a President resigns during their second term, can they run for the subsequent election, as long as they have not yet completed two consecutive terms ? The answer to this question and its related issues, which the doctrinal debate raises with particular acuity in the French institutional landscape, forms the backbone of this reflection.