L’articulation avortée des objectifs politiques et juridictionnels du Tribunal pénal international pour le Rwanda.

Par Xavier Muhunga Kafand, Doctorant.

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En prenant l'exemple du Tribunal pénal international pour le Rwanda, créé en 1994, cet article rappelle les limites de la justice pénale internationale lorsqu'elle cherche à répondre à des objectifs politiques de paix et de réconciliation nationales.
Description rédigée par l'IA du Village

La justice pénale internationale a récemment connu des mutations fonctionnelles à travers lesquelles elle s’est progressivement investie d’une mission complexe et ambitieuse : celle de contribuer à la réconciliation nationale dans des sociétés déchirées par des conflits atroces et des violences de masse. En intégrant cet objectif dans ses mandats, comme ce fut le cas pour l’activité contentieuse du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), la justice internationale a tenté de dépasser sa fonction rétributive classique pour embrasser un rôle réparateur et reconstructeur. Cependant, cette "juridictionnalisation de la réconciliation nationale" - c’est-à-dire l’intégration formelle de la réconciliation au sein des procédures judiciaires répressives - s’est heurtée à des contradictions résolument incompressibles.

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Introduction.

Créé en novembre 1994 par la Résolution 955 du Conseil de sécurité des Nations Unies adoptée le 8 novembre 1994, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) avait une double mission : non seulement celle de rendre justice pour les violations graves du droit international humanitaire commises lors du génocide rwandais, mais aussi celle de contribuer à la paix et à la réconciliation nationale. Or, bien que le tribunal ait largement atteint ses objectifs de justice pénale, ses résultats en matière de réconciliation nationale et de consolidation de la paix restent plus discutés.

I. La juridictionnalisation de la réconciliation nationale, un idéal cosmétique dans la fabrique de la justice pénale internationale.

Après plus de 20 ans d’opérations, le TPIR a clos la plupart de ses dossiers et jugé un grand nombre de hauts responsables impliqués dans les crimes de masse commis au Rwanda entre avril et juin 1994, établissant des précédents importants pour la justice pénale internationale.

Depuis sa fermeture en décembre 2015, le TPIR a vu ses fonctions résiduelles transférées au Mécanisme pour les Tribunaux pénaux internationaux (MTPI) pour le Rwanda et pour l’ex-Yougoslavie, aussi appelé Mécanisme résiduel.

À travers la Résolution 955 qui avait institué le TPIR, l’ONU espérait non seulement punir les coupables mais aussi dissocier les crimes individuels des communautés ethniques impliquées, afin de désamorcer les tensions collectives et prévenir de nouveaux cycles de violence. L’idée sous-jacente était que la responsabilisation individuelle contribuerait à la réconciliation nationale, en remplaçant les sentiments de vengeance par la reconnaissance officielle des crimes et la justice. Cependant, cette idée s’est vite confrontée à des contraintes substantielles.

L’idéal de réconciliation, enchâssé dans la structure judiciaire du TPIR, a laissé entrevoir les limites d’une justice internationale déconnectée des dynamiques sociales qu’elle ambitionnait de transformer.

A. L’antinomie entre la fonction intrinsèquement rétributive de la justice pénale et l’objectif substantiellement politique de réconciliation nationale.

En établissant la responsabilité pénale des principaux auteurs du génocide, le TPIR a rendu des décisions qui ont marqué l’histoire de la justice internationale. Les procès de figures de haut rang, telles que les anciens ministres, militaires et leaders politiques (Affaire Jean-Paul Akayesu, Affaire Theoneste Bagosora, Affaire Georges Rutaganda, etc) ont permis de mettre en lumière la planification du génocide et la gravité des crimes commis.

Cependant, cette justice rétrospective, centrée sur la culpabilité individuelle, s’est parfois heurtée aux attentes locales de justice et de réconciliation. Les Rwandais, particulièrement ceux des communautés les plus touchées, attendaient des réparations tangibles et une justice plus enracinée dans le tissu social local. Dans ce contexte, le TPIR, en tant qu’entité internationale éloignée des réalités locales, n’a pas offert de mécanismes de compensation pour les familles éplorées ou les communautés affligées, limitant ainsi son impact potentiel sur la guérison des traumatismes et la reconstruction du lien social.

B. L’impact limité sur la paix et la réconciliation nationale.

Alors que le TPIR visait à instaurer la paix et à restaurer la cohésion sociale, son influence en matière de réconciliation nationale s’est révélée relativement restreinte. La justice punitive, consolidée par les articles 1 et 8 du statut du TPIR annexé à la Résolution 955, bien que nécessaire, n’a pas suffi à répondre aux besoins complexes d’une société profondément divisée.

La réconciliation nationale est un processus délicat et multidimensionnel qui vise à ressouder l’unité nationale au sein des sociétés marquées par des conflits violents ou des violations massives des droits de l’homme. Pour qu’elle soit effective, elle nécessite des efforts soutenus dans plusieurs domaines, notamment le dialogue, la reconnaissance des souffrances endurées et la réparation des torts causés. Ces données sont essentielles pour établir un climat de confiance et de compréhension entre les différentes communautés touchées par le conflit.

Le dialogue, par exemple, constitue un pilier fondamental de la réconciliation. Il permet de créer des espaces d’échange où les victimes et les auteurs de violations peuvent s’exprimer et témoigner de leurs expériences respectives, contribuant ainsi à la construction d’une mémoire collective partagée. Cela nécessite des initiatives qui vont au-delà des procédures judiciaires, incluant des forums communautaires, des commissions de vérité et de réconciliation, et d’autres mécanismes participatifs qui encouragent l’interaction et le respect mutuel.

La reconnaissance des souffrances des victimes est également cruciale. Elle peut prendre différentes formes, allant des excuses publiques à des déclarations officielles, et constitue un acte réparateur fort qui valide les expériences des victimes et leur douleur.

Pourtant, le droit et la pratique judiciaire du TPIR n’ont pas suffisamment intégré ces considérations. Dès lors, la question de la réconciliation nationale sous la tutelle de ce tribunal révèle un hiatus entre les objectifs juridiques, politiques et sociaux de cette institution. Pour approfondir les dynamiques de cette césure, il est essentiel de naviguer entre les particularités du système pénal international, de la fonction de la sanction, et du rôle limité de la victime dans le cadre de ce mécanisme juridictionnel.

II. L’architecture rétributive de la justice pénale internationale et son effet sur la réconciliation.

Le droit pénal international, tel qu’il a été conçu et appliqué par le TPIR, repose sur une infrastructure essentiellement rétributive. Cette approche vise principalement à punir les individus responsables des crimes les plus graves contre le droit international humanitaire, et non à favoriser un dialogue de réconciliation. La rétribution, en tant que fonction centrale de la sanction, ne s’attache qu’à infliger une peine proportionnée à l’infraction, sans chercher à réintégrer l’individu dans le tissu social, comme cela pourrait être le cas dans une justice restaurative ou communautaire.

Cette trajectoire se comprend dans un contexte de crimes de masse, où l’impératif de justice est souvent associé à l’idée de châtier les auteurs. Cependant, cette démarche ignore le fait que la réconciliation, en particulier dans une société marquée par le choc d’un génocide, nécessite plus qu’une justice strictement axée sur la condamnation. Cette quête exacerbée de la rétribution a fini par corroder l’opportunité d’établir un pont entre la reconnaissance des crimes et la réhabilitation sociale. Elle a cloisonné l’action du TPIR dans une posture punitive, qui certes, rend justice, mais reste éloignée des besoins de réconciliation d’une société profondément divisée.

A. L’absence de la victime comme acteur central de la procédure.

L’une des limites majeures de la justice pénale internationale réside dans l’absence de la victime comme partenaire de la procédure. Alors que les juridictions nationales reconnaissent souvent aux victimes un statut actif, le TPIR a fait de l’État, sujet par excellence de droit international, et non de la victime individuelle, le représentant légitime des intérêts à défendre. Pourtant, les individus sont reconnus comme sujets de droit international lorsqu’ils se rendent coupables ou sont victimes de crimes internationaux, en vertu des principes du droit international humanitaire et des droits de l’homme, codifiés notamment dans le Statut de Rome (article 25) et le droit coutumier international.

Cette distance institutionnelle entre la procédure et les victimes a produit une justice perçue comme formelle, voire déracinée, pour ceux qu’elle était censée représenter.

L’omission des victimes comme actrices centrales et sujets actifs de cette entreprise de justice a entraîné des conséquences caustiques. Dans une société dévastée par la violence, la participation des victimes aurait pu favoriser l’acceptation de la justice rendue et encourager la réconciliation. Cependant, au TPIR, bien que les témoignages des victimes aient été sollicités pour établir les faits, leur rôle s’arrêtait là. En conséquence, la justice rendue par le TPIR apparaissait souvent comme une démarche détachée de la réalité des victimes, rendant difficile l’adhésion de la population à ses décisions et, par extension, la réalisation de ses objectifs de réconciliation finalement dilués par les pesanteurs politiques.

B. Une approche progressiste limitée par des influences politiques.

L’une des innovations du TPIR réside dans son interprétation progressiste des normes internationales, en particulier en matière de reconnaissance du génocide et des crimes contre l’humanité. Cependant, cette approche novatrice s’est confrontée aux limites imposées par des considérations politiques et diplomatiques. En effet, le TPIR, en tant qu’institution dépendant du Conseil de sécurité des Nations Unies, était soumis à des pressions politiques, notamment de la part des puissances internationales ayant des intérêts dans la région.

Ainsi, le TPIR n’a jamais poursuivi les membres du Front patriotique rwandais (FPR), mouvement armé dirigé par les forces tutsies qui a pris le pouvoir après le génocide. Pourtant, le FPR a lui-même été accusé d’exactions contre des populations civiles hutus. Cette asymétrie de la justice a nourri un sentiment de partialité chez certains segments de la population rwandaise, limitant encore la capacité du TPIR à être perçu comme une institution légitime et équitable. La justice étant perçue comme sélective, la réconciliation en a inévitablement pâti, car les griefs d’injustice, lorsqu’ils sont collectifs, empêchent tout processus de rémission sociale et nationale.

D’un autre côté, en raison de son caractère international, le TPIR a eu du mal à sortir du cadre des formalismes répressifs propres au droit international. En effet, en s’efforçant de maintenir son caractère strictement juridictionnel, le tribunal a privilégié les critères rigides du droit international au détriment des attentes sociales et culturelles des victimes et des communautés. Cette approche a rendu la justice pénale internationale peu flexible et souvent déconnectée des réalités des sociétés post-conflit.

Conclusion.

L’expérience du TPIR témoigne des limites de la justice pénale internationale lorsqu’elle cherche à répondre à des objectifs politiques de paix et de réconciliation nationales. Les institutions de justice internationale, en s’enfermant dans des approches rétributives rigides, n’ont pas encore trouvé le moyen de pleinement répondre aux besoins de sociétés en reconstruction.

Cette expérience juridictionnelle souligne la nécessité d’une évolution vers un modèle plus inclusif du futur de la justice internationale, qui ne peut espérer se réaliser pleinement sans prendre en compte les aspirations des sociétés auxquelles elle s’adresse.

Pour qu’une justice internationale atteigne pleinement ses objectifs de paix et de réconciliation, elle doit s’articuler avec des approches locales qui intègrent les spécificités culturelles et les dynamiques sociales propres à chaque contexte.

La reconnaissance de la souffrance des victimes et la participation de celles-ci au processus, tout comme l’intégration d’une dimension réhabilitative, apparaissent comme des pistes nécessaires pour renforcer l’efficacité de ces tribunaux en matière de réconciliation.

Références.

1. Textes normatifs.
Charte des Nations Unies, Chapitre VII (sur la paix et la sécurité internationales)
Résolution 955 du Conseil de sécurité des Nations Unies
Résolution 60/147, Assemblée générale des Nations Unies, 2005
Statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda
Règlement de procédure et de preuve du TPIR.

2. Jurisprudence.
TPIR, Le Procureur c. Jean-Paul Akayesu, Affaire No. ICTR-96-4-T, Jugement, 2 septembre 1998
TPIR, Le Procureur c. Théoneste Bagosora, Gratien Kabiligi, Aloys Ntabakuze et Anatole Nsengiyumva, Affaire No. ICTR-98-41-T, Jugement, 18 décembre 2008
TPIR, Le Procureur c. Georges Rutaganda, Affaire No. ICTR-96-3, Jugement, 6 décembre 1999
TPIR, Le Procureur c. Clément Kayishema et Obed Ruzindana, Affaire N° ICTR-95-1-T, Jugement, 21 mai 1999
TPIR, Le Procureur c. Jean Kambanda, Affaire N° ICTR-97-23-S, Jugement, 4 septembre 1998.

3. Rapports.
- Rapport du Secrétaire général sur la création du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (S/25704, 1993)
- Rapport final du TPIR (2015)
- Rapport sur l’impact du TPIR au Rwanda (2010).

4. Doctrine.
A. Des Forges et D. Forsythe, The Legacy of the International Criminal Tribunal for Rwanda, Cambridge University Press, 2011
A. Jones, Genocide, War Crimes, and the West : History and Complicity, Zed Books, 2004
A. Klip et G. Sluiter, The International Criminal Tribunal for Rwanda : A Decade of Contribution to the Development of International Law, Intersentia, 2008
C. Riziki Majinge, Justice internationale et réconciliation nationale : le Tribunal pénal international pour le Rwanda, L’Harmattan, 2006
G. Kirk McDonald et O. Swaak-Goldman, Le Tribunal pénal international pour le Rwanda : dix ans après, Bruylant, 2003
H. Ascensio, Les juridictions pénales internationales : TPIR, TPIY, Cour pénale internationale, PUF, Collection « Que sais-je ? », 2001
J. de Dieu Basabose, La réconciliation après un conflit de masse : le cas du Rwanda, L’Harmattan, 2012
L. Waldorf et P. Clark, Justice in Africa : Rwanda’s Genocide, its Courts, and the UN Criminal Tribunal, Columbia University Press, 2010
P. Clark et Z. Kaufman, After Genocide : Transitional Justice, Post-Conflict Reconstruction, and Reconciliation in Rwanda and Beyond, Columbia University Press, 2009
P. Hazan, Les acteurs du génocide rwandais et la réponse du droit international, Complexe, 2001.

Xavier Muhunga Kafand
Doctorant et chercheur en Droit public, Aix-Marseille Université, Groupe d’Etudes et de Recherche sur la Justice Constitutionnelle (GERJC) ; Membre du corps scientifique à la Faculté de Droit de l’Université de Kikwit (RDC) ; chargé des enseignements.

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