Les AAI : constitutionnelles ou non ?

Par Diane Assoko Mve, Juriste.

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Explorer : # séparation des pouvoirs # autorités administratives indépendantes # indépendance institutionnelle # anticonstitutionnalité

Les autorités administratives indépendantes (AAI) [1] sont des institutions de l’État, chargées de missions spécifiques de régulation de secteurs variés.

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Elles ont un caractère d’indépendance. Leurs pouvoirs émanent de l’État [2] mais n’en dépendent pas car elles sont autonomes dans leur gestion. Elles aident l’État en répondant rapidement aux besoins du peuple.

L’État est censé être souverain et donc doit avoir une emprise sur toutes les administrations qui en dépendent. En aucun cas, une administration doit pouvoir y échapper. Les AAI font exception à l’article 20 de la Constitution en son alinéa 2 [3].

Force est de constater que les AAI ont des pouvoirs dits réglementaires, de décision individuelle, de recommandation ou d’avis et de sanction.

Dans le cadre de la loi organique relative aux autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes, actuellement en discussion devant le Sénat, les sénateurs ont constaté que « la prolifération de ces autorités (AAI) contribue de plus en plus fortement à l’illisibilité et au dysfonctionnement du système institutionnel (…) ».

Mais n’y-a-t-il réellement qu’un problème de « prolifération » ? A notre sens la réponse est négative puisque les AAI constituent à l’évidence un réel obstacle au principe de séparation de pouvoirs.

Pour Locke et Montesquieu, le principe de séparation des pouvoirs « vise à séparer les différentes fonctions de l’État, afin de limiter l’arbitraire et d’empêcher les abus ».

La séparation des pouvoirs permet la bonne organisation et gestion de l’État. C’est le fait de confier certaines fonctions et missions de l’État à des corps dits « pouvoirs », qui en détiennent l’exclusivité.

Une institution ne peut donc détenir à la fois tous les trois pouvoirs réunis que sont l’exécutif, le législatif et le judiciaire.

Il est évident que le législateur ne pourra pas empiéter sur le pouvoir du gouvernement ainsi que sur celui du juge. Ce serait alors un abus de pouvoirs qui causerait une confusion. Une seule et même personne ne peut à la fois donner des règles, contrôler et sanctionner. Elle se favoriserait en créant des lois et principes en sa faveur.

Essayons de « décortiquer » les pouvoirs dont disposent les AAI.

Les AAI ont un pouvoir règlementaire, bien qu’exceptionnel et limité selon le respect des lois et décrets.

Elles créent des règles qui régissent certains secteurs d’activités. Les acteurs des secteurs doivent s’y conformer scrupuleusement. Ces règles donnent des conduites à suivre et à respecter pour la pratique. Cela fait allusion au pouvoir législatif accordé au Parlement (Assemblée nationale et Sénat) qui crée des lois que les administrés doivent respecter sous peine de sanction.

Certaines AAI ont un pouvoir de sanction lorsqu’il y a un acteur qui n’a pas respecté les règles posées par l’institution contrôlant ce secteur d’activité. Par exemple, elles peuvent donner des amendes à cet acteur. Or, ce pouvoir est conféré souverainement au juge. On voit donc un empiétement au pouvoir judiciaire. Ainsi, l’Autorité de la concurrence peut infliger des amendes importantes en cas d’actes anti concurrentiels.

Ces institutions représentent l’État en agissant en son nom, bien qu’elles soient indépendantes. L’État est donc au cœur de ces institutions. Il ne peut donc pas détenir ces trois pouvoirs. C’est une forme d’abus de pouvoirs déguisée.

L’État se sert de ces autorités pour sanctionner, créer des lois et diriger aisément la population sans se faire « taper sur le bout des doigts ». La séparation des pouvoirs n’existe donc pas avec les AAI.

L’article 16 de la DDHC dispose que « toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Dès lors il apparaît d’évidence que ces institutions sont anticonstitutionnelles. Elles doivent disparaître pour qu’une véritable séparation de pouvoirs soit établie.

La démocratie englobe la séparation des pouvoirs. Sans séparation de pouvoirs, il ne peut y avoir une réelle liberté.

« Il n’y a point encore de liberté si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice  » (Montesquieu).

Diane Assoko Mve
Juriste

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Notes de l'article:

[1Terme apparu avec la loi du 6 janvier 1978 créant la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).

[2Article 3 de la DDHC de 1789 « Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément ».

[3« Il dispose de l’administration et de la force armée ».

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