Introduction.
Dans sa rédaction de 2015, l’article 515-14 du Code civil précise que « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens ». En dehors de son énoncé tautologique, ce texte évite avec prudence d’aborder la question de la nature juridique de l’animal, se contentant de définir le régime qui lui est applicable : celui des biens, généralement meubles et éventuellement immeubles par destination.
Même protégés par des textes spéciaux relevant du Code rural et du Code pénal [1], ceux-ci sont donc gérés comme des "choses" et dès lors, la mise en pension d’un chien, d’un chat ou d’un cheval va être soumise aux règles du contrat de dépôt des articles 1915 et suivants du Code civil, ce qui n’est pas sans poser quelques difficultés.
I - De quelques principes du contrat de dépôt.
Le contrat de dépôt lie deux personnes : le déposant et le dépositaire.
Si j’amène mon chien chez mon beau-frère pour qu’il le garde pendant que je pars en week-end, je suis le déposant et lui le dépositaire. Il s’agit le plus souvent d’un contrat réel qui se forme par la remise de la chose, c’est-à-dire ici de mon chien.
Le dépositaire est soumis à deux obligations principales :
conserver la chose déposée [2] ;
restituer « identiquement la chose même qu’il a reçu » [3]. Il ne peut donc ni me rendre un autre chien ni un castor ni un raton-laveur.
Dans les deux cas, ledit dépositaire est tenu d’une obligation de moyens et seule une cause extérieure peut l’en exonérer.
Les rédacteurs du Code civil en de 1804 avaient raisonné le dépôt comme devant être principalement conclu dans le cercle familial ou amical et donc gratuit par principe.
Bien entendu, ce n’est plus réellement le cas aujourd’hui puisque je peux déposer mon canapé chez le garde-meubles, mon chien à la pension canine et mon poney dans un centre équestre [4] : il s’agit alors d’une prestation payante, dite dépôt salarié.
Indépendamment de l’onérosité ou non du dépôt, le déposant doit rembourser au dépositaire les dépenses qu’il a dû engager pour conserver la chose. Si le garde-meubles a été obligé de traiter mon canapé contre les mites, je devrais lui régler la dépense [5].
Nous allons voir immédiatement que ces dispositions ont toute leur importance lorsque le dépôt porte sur des animaux vivants.
II - Même si l’on peut s’asseoir dessus, un cheval n’est pas un canapé.
L’une des difficultés avec les animaux est qu’ils ne participent pas de bon gré au système des objets [6].
Même assignés à un rôle décoratif ou statutaire, ils refusent de se comporter comme de simples "choses" : ils mangent, boivent, peuvent tomber malade et mourir, ce qui confère à l’obligation d’entretien précitée une importance qu’elle n’a évidemment pas pour des meubles meublants ou des véhicules stockés dans un garage. Nos amis canins, félins, équins et autres peuvent également mordre, griffer et donner des coups de pied, ce qui est beaucoup plus rare chez les canapés. Cheval se blessant tout seul au pré ou chien attaqué au chenil par des congénères, les possibilités sont innombrables.
Pourtant, la partie du Code civil consacrée au dépôt ne distingue absolument pas les animaux des autres biens, la seule mention les concernant portant sur l’exclusion des animaux vivants des garanties du « dépôt hôtelier » de l’article 1952 du Code civil.
En clair, les chevaux de mon carrosse ne font pas partie des vêtements, bagages et objets divers dont l’aubergiste doit répondre quand ils sont apportés par des voyageurs dans son établissement.
Dès lors que le même régime s’applique aux objets inertes et animés alors que les risques encourus ne sont pas les mêmes, des solutions jurisprudentielles adaptées sont forcément apparues.
Tel est en particulier le cas pour le dépôt salarié. L’article 1927 pose comme principe que « le dépositaire doit apporter à la garde des choses déposées les mêmes soins qu’il apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent » et le 1928 précise que :
« La disposition de l’article précédent doit être appliquée avec plus de rigueur : …
3° s’il (le dépositaire) a stipulé un salaire pour la garde du dépôt ».
Cette affirmation a été interprétée par la jurisprudence comme créant une obligation de moyens renforcée impliquant que c’est au dépositaire de prouver que le dommage subi n’est pas imputable à sa faute mais provient d’une cause étrangère [7], inversant ici la charge usuelle de la preuve.
Cet exercice, qui revient à tenter de démontrer l’inexistence de quelque chose, est particulièrement périlleux et l’un des rares moyens d’y parvenir est d’invoquer la force majeure. On peut en trouver un exemple récent [8] dans une affaire où un poulain nouveau-né a été hospitalisé avec sa mère en clinique vétérinaire. Le poulain a été retrouvé mort le matin dans le box et l’autopsie a permis de déduire qu’il avait dû être piétiné par la jument pendant la nuit. La cour en a conclu que le cas répondait à la définition de la force majeure, le piétinement étant considéré ici comme « accidentel et imprévisible ».
Pour l’article 1928, la Cour de cassation - qui défend le consensualisme - a estimé dans un arrêt de 2007 consacré à une jument accidentée [9] « … que les parties à un tel contrat de dépôt salarié sont libres de convenir de mettre à la charge du déposant, qui entend se prévaloir d’un manquement du dépositaire à l’obligation de moyens qui lui incombe, la preuve de ce manquement ».
Et voilà comment on inverse l’inversion… à condition bien sûr de disposer d’un contrat écrit et surtout d’être soit entre deux professionnels, soit entre deux non-professionnels. Une telle possibilité est exclue dans un contrat entre un déposant amateur ("consommateur") et un dépositaire professionnel, la clause étant alors réputée abusive.
Pour revenir sur l’arrêt précité de la Cour d’appel de Caen, celui-ci présente un second intérêt qui est de bien distinguer contrat de dépôt et contrat d’entreprise.
III - De la double nature des contrats.
Si j’emmène ma voiture chez le garagiste, elle va probablement dormir chez lui quelques jours. Il existe donc dans ce cas :
une partie du temps consacrée aux réparations ;
d’autres moments où elle est simplement stationnée au garage qui (éventuellement) facturera des frais de garde ; nous sommes ici dans un dépôt, salarié ou non.
Comme on peut supposer qu’il ne lui arrivera rien pendant ce temps, la différence entre ces deux moments est de peu d’importance. Ce n’est pas le cas pour les animaux.
Chien au dressage ou apprenant son métier de guide d’aveugle, cheval à l’entraînement ou en phase de valorisation pour être vendu, jument venant à la saillie, ils sont alors au travail [10] ou en position que l’on exerce un travail sur eux, qui alterne avec des phases de repos.
Ce moment de prestation de service (de l’entraîneur, du dresseur, du vétérinaire…) correspond à un contrat d’entreprise au sens de l’article 1710 du Code civil : contrat par lequel une personne s’engage à faire quelque chose pour l’autre moyennant un prix convenu entre elles.
Pendant longtemps, la règle a été que la prestation de service était principale et la pension n’en était que l’accessoire qui suivait donc le même régime. Cette conception avait l’inconvénient de ne pas correspondre à la réalité des litiges et était au surplus moins protectrice des intérêts des déposants "amateurs" qui devaient systématiquement démontrer une faute du dépositaire/prestataire.
A partir de la fin des années 1990, les cours d’appel ont commencé à faire une application distributive entre ce qui relevait du contrat d’entreprise et du contrat de dépôt, évolution entérinée par la Cour de cassation en 2001 [11] dans un arrêt où « Classic Crown », cheval de course à l’entraînement, avait été blessé au repos dans son box.
La qualification retenue (comme dans l’arrêt ci-dessus de la Cour d’appel de Caen) a
été celle du contrat de dépôt salarié avec une inversion de la charge de la preuve, le dépositaire devant alors démontrer ne pas avoir commis de faute, ce qui est nettement favorable au déposant [12].
Bien entendu, il peut exister un effet de seuil entre ces deux moments contractuels : quelle sera la qualification retenue pour un cheval qui a un accident sur le parcours entre la piste d’entraînement (dont il vient de sortir) et son lieu de repos (ou il n’est pas encore arrivé) ? La réponse ne pourra être donnée que in concreto, en fonction des circonstances de l’espèce.
Finissons rapidement ce tour d’horizon par un nouvel élément démontrant la difficile adéquation du contrat de dépôt au cas des animaux.
Le dépositaire salarié dispose normalement d’un droit de rétention [13] des objets en dépôt en cas d’impayé et il s’agit là pour lui d’à peu près sa seule possibilité de se faire payer un jour. En tant que gestionnaire d’un chenil (par exemple), je serais donc en droit de retenir Kiki dont la pension n’est pas payée mais je devrais alors continuer à le loger, le nourrir et le soigner tout en respectant son bien-être et en assumant les risques liés à sa garde.
Il aurait dû être une garantie ; il est devenu un fardeau.
Conclusion.
La question de la création d’un statut propre de l’animal, à situer quelque part entre les personnes et les biens, préoccupera probablement encore nombre de juristes pendant quelques dizaines d’années tant elle pose de difficultés théoriques et pratiques.
Jusqu’ici, certaines avancées ont eu lieu dans la protection des animaux et dans leur reconnaissance comme êtres sensibles (voir l’introduction) mais elles n’ont eu que peu d’impact sur le terrain du droit civil. Les éléments développés dans ces pages montrent que certaines adaptations du régime du contrat de dépôt seraient sans doute nécessaires pour prendre en compte les particularités présentées par les animaux vivants. Le débat mérite certainement d’être ouvert.
En attendant ce jour, déposant ou dépositaire, concluez des contrats écrits qui précisent les obligations de chacun, soyez correctement assurés et (surtout) tentez de trouver une solution amiable à vos éventuels litiges.
Discussions en cours :
Excellent article de Gérard MAJOURAU toujours très actif en matière de droit Equin, récemment diplômé en tant que médiateur et dont on apprécie l’humour de ces chroniques autant que leur pertinence.
En cas de dépôt salarié, pour mieux dormir, il faut préférer le canapé à l’équidé...