1/ Le rôle du médecin traitant.
L’article L162-4-1 du Code de la Sécurité sociale prévoit que les médecins sont tenus de mentionner, sur la prescription d’arrêt de travail destinée au service du contrôle médical, dont la transmission conditionne le versement au salarié des indemnités journalières, « les éléments d’ordre médical justifiant l’interruption de travail ».
Ainsi, lorsque le salarié est victime d’un burn-out et qu’il décrit son état à son médecin traitant, il peut sembler légitime que ce dernier en fasse état sur la prescription d’arrêt de travail.
Cependant, aux termes de l’article R4127-28 du Code de la santé publique :
« La délivrance d’un rapport tendancieux ou d’un certificat de complaisance est interdite ».
L’article 28 du Code de déontologie médicale reprend ces dispositions règlementaires que le Conseil National de l’Ordre des médecins éclaire en ces termes [1] :
- Le médecin ne doit certifier que ce qu’il a lui-même constaté. Ont été sanctionnés des médecins dont les certificats avaient été rédigés sans examen du patient.
- Si le certificat rapporte les dires de l’intéressé ou d’un tiers, le médecin doit s’exprimer sur le mode conditionnel et avec la plus grande circonspection ; le rôle du médecin est en effet, d’établir des constatations médicales, non de recueillir des attestations ou des témoignages et moins encore de les reprendre à son compte.
- Un certificat médical ne doit pas comporter d’omission volontaire dénaturant les faits. Cela suppose un examen et un interrogatoire préalables soigneux.
- Il y a des demandes de certificat que le médecin doit rejeter. S’il est tenu de délivrer à son patient un certificat des constatations médicales qu’il est en mesure de faire, il reste libre du contenu du certificat et de son libellé qui engagent sa responsabilité.
Pour le Conseil d’Etat, l’employeur est recevable à introduire une plainte disciplinaire à l’encontre du médecin traitant, dans la mesure où les mentions portées sur le certificat médical produit par le salarié devant le Conseil de prud’hommes peuvent lui porter préjudice [2].
La Fédération des Médecins de France illustre la problématique rencontrée par les médecins confrontés à cette situation :
« Les CDOM [3] se trouvent ainsi surchargés par ces dossiers où le médecin est mêlé, malgré lui, dans un conflit employeur-employé. Cela représente plusieurs dossiers chaque mois.
Lors des conciliations, les conseillers ont beau argumenter :
- Que la symptomatologie psychologique est subjective et que le médecin ne peut établir son diagnostic que sur les symptômes rapportés et le récit du patient,
- Que les psychiatres spécialisés en psychopathologies du travail ne pourraient alors plus donner leur avis lorsqu’ils sont interrogés par les médecins traitants ou ceux du travail,
- Que si le médecin propose à l’assurance maladie une qualification « Accident du travail / Maladie Professionnelle » (AT/MP) le seul fait d’utiliser cet imprimé établit de facto la relation avec le travail,
- Qu’il revient alors à l’assurance maladie et non au médecin de qualifier l’arrêt en maladie ou AT/MP.
Rien n’y fait, et les avocats défendant les employeurs refusent systématiquement tout lien entre une pathologie, notamment psychologique, et l’activité professionnelle, ce qui place en situation difficile notamment les psychiatres spécialisés dans les psychopathologies au travail qui sont interrogés sur le sujet par les médecins du travail et se retrouvent alors systématiquement poursuivis. Leurs courriers en réponse au médecin du travail sont de la même manière instrumentalisés : tout ce qu’un médecin écrit, y compris à un confrère, est considéré comme un certificat » ! [4].
2/ La décision du Conseil d’Etat.
Le 9 octobre 2020, la Chambre disciplinaire de première instance du Grand Est de l’Ordre des médecins a infligé un avertissement à un médecin généraliste pour avoir délivré un avis portant, dans la rubrique « éléments d’ordre médical », la mention « burn out ».
Le 22 septembre 2022, sa décision a été confirmée par la Chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins.
Au soutien de sa décision, la Chambre disciplinaire a invoqué la recommandation de bonne pratique de la Haute Autorité de santé, en date du 22 mai 2017.
Selon cette dernière :
- La démarche diagnostique permet de caractériser le syndrome en repérant des pathologies sous-jacentes éventuelles telles que, notamment, un trouble de l’adaptation, un trouble anxieux, un trouble dépressif ou un état de stress post-traumatique. Le risque suicidaire 3 doit être particulièrement évalué. Cette démarche implique une recherche des facteurs de risque.
- Un bilan somatique doit rechercher une pathologie organique associée qui aurait pu se manifester par certains des symptômes cités précédemment.
- L’analyse des conditions de travail est faite prioritairement avec le médecin du travail ou le centre de consultation de pathologie professionnelle.
Ainsi, pour la Chambre disciplinaire, le médecin incriminé ne pouvait pas
« pour motiver la prolongation de l’arrêt de travail par l’existence d’un burn out, se fonder sur les seules déclarations de M. A... indiquant que son stress et son angoisse trouvaient leur origine dans son activité professionnelle sans disposer de l’analyse de ses conditions de travail émanant notamment du médecin du travail ».
Cette décision est annulée par Conseil d’Etat, pour lequel la seule circonstance que le médecin ait fait état de ce qu’il avait constaté l’existence d’un syndrome d’épuisement professionnel, sans disposer de l’analyse des conditions de travail du salarié émanant notamment du médecin du travail, ne saurait caractériser l’établissement d’un certificat tendancieux ou de complaisance au sens des dispositions de l’article R4127-28 du Code de la santé publique.
Pour la Fédération des Médecins de France
« les élus ordinaux de tout le pays attendent avec impatience la décision de la chambre disciplinaire nationale qui va devoir rejuger cette affaire » [5].